Subjectivations politiques et économie des savoirs - Service de ...
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– Oriane P<strong>et</strong>teni : « L’argot dans les discours hugolien <strong>et</strong> célinien. Une lecture<br />
symptômale <strong><strong>de</strong>s</strong> apories du concept <strong>de</strong> fraternité » – p. 179<br />
donc une catégorie très étrange que ces misérables décrit par Victor Hugo, qui habitent<br />
certes la nation française, mais dans <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux interlopes : <strong><strong>de</strong>s</strong> ban-lieues comme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
« chiourmes, <strong><strong>de</strong>s</strong> bagnes, <strong><strong>de</strong>s</strong> prisons, tout ce que la société a <strong>de</strong> plus abominable 23 ».<br />
Victor Hugo va même plus loin dans la <strong><strong>de</strong>s</strong>cente aux enfers, allant jusqu’à dire qu’il<br />
s’agit <strong><strong>de</strong>s</strong> « bas-fonds <strong>de</strong> l’ordre social, là où la terre finit <strong>et</strong> où la boue commence 24 ».<br />
C<strong>et</strong>te population-là n’est plus d’aucun territoire pour faire allusion à Carl Schmitt 25 , qui<br />
voit dans la possession <strong>de</strong> terre l’origine du droit <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’instauration d’un ordre légal.<br />
Celui qui n’est d’aucun territoire est plongé dans une sorte d’état <strong>de</strong> nature : les<br />
misérables, issus du mon<strong>de</strong> souterrain <strong>et</strong> nocturne, n’habitant que <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux bannis <strong>de</strong><br />
la nation, sont donc dans la situation a-nomique <strong><strong>de</strong>s</strong> sans-droits qui n’ont plus rien à<br />
perdre ; ou plutôt, qui ont à gagner à se lancer dans la criminalité, aux marges <strong>de</strong> la<br />
société.<br />
C<strong>et</strong>te idée se r<strong>et</strong>rouve dans la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> L’impérialisme par Hannah Arendt, dans<br />
le chapitre « Déclin <strong>de</strong> l’État-nation <strong>et</strong> crise <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l'homme ». Les sans-droits ou<br />
apatri<strong><strong>de</strong>s</strong> ont, dit-elle, tout intérêt à comm<strong>et</strong>tre un crime afin d’être réintroduit dans un<br />
système <strong>de</strong> droit <strong>et</strong> <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver une i<strong>de</strong>ntité. Pour le sans-droit, paradoxalement, se<br />
r<strong>et</strong>rouver en prison le réintroduit <strong>de</strong> fait dans un espace <strong>de</strong> droit. Il peut avoir <strong>de</strong> la<br />
nourriture, un avocat <strong>et</strong> être jugé par une Cour. Ce cas-limite montre bien les rapports<br />
paradoxaux <strong>et</strong> mobiles entre l’exclusion sociale <strong>et</strong> l’intégration à un système <strong>de</strong> droit <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> protection juridique. En occultant les misérables dans le point aveugle <strong>de</strong> son<br />
espace représentatif, la société <strong><strong>de</strong>s</strong> citoyens éclairés n’offre à la populace que c<strong>et</strong><br />
espace obscur dans lequel évoluer <strong>et</strong> exister. Cependant, elle a beau plonger les<br />
misérables dans l’obscurité, comme son refoulé, elle n’est pas moins consciente du<br />
danger <strong>de</strong> révolte qu’ils représentent. D’où l’instauration d’un système juridique qui<br />
institue tout un dispositif <strong>de</strong> jugements <strong>et</strong> <strong>de</strong> peines légales afin <strong>de</strong> punir les crimes<br />
perpétrés par les misérables. La criminalisation est le seul biais par lequel la société<br />
<strong>de</strong> droit parvient à inclure ses marges exclues.<br />
Ces misérables sont en eff<strong>et</strong> souterrains, <strong>et</strong> donc invisibles ; invisibles donc<br />
protéiformes <strong>et</strong> insaisissables. C’est la métaphore du déguisement, <strong>de</strong> la mascara<strong>de</strong><br />
<strong>et</strong> du carnaval qui est alors privilégiée par Hugo : « Ses habilleurs l’ont grimée; elle [la<br />
langue <strong><strong>de</strong>s</strong> Misérables] se traîne <strong>et</strong> se dresse, double allure du reptile. Elle est apte à<br />
tous les rôles désormais, faite louche par le faussaire, vert-<strong>de</strong>-grisée par<br />
l’empoisonneur 26 . » Ces métaphores font sens vers la dissimulation <strong>et</strong> la subversion (le<br />
déguisement se porte normalement lors <strong><strong>de</strong>s</strong> jours <strong>de</strong> fête, qui viennent interrompre un<br />
23<br />
24<br />
25<br />
26<br />
Ibid., p. 313.<br />
Ibid., p. 314.<br />
C. Schmitt, Le Nomos <strong>de</strong> la Terre, Paris, PUF, 2001.<br />
Ibid., p. 319.