Subjectivations politiques et économie des savoirs - Service de ...
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– Revue <strong>de</strong> philosophie politique <strong>de</strong> l’ULg – N°5 – Mai 2013 – p. 184<br />
doit donc disparaître, en s’assimilant au « bon peuple », car le mon<strong>de</strong> postrévolutionnaire<br />
ne peut pas accepter une société duale.<br />
Il faut bien souligner ici que c’est à l'ai<strong>de</strong> du concept <strong>de</strong> fraternité que Hugo parvient à<br />
rem<strong>et</strong>tre la dialectique en marche <strong>et</strong> à dépasser la contradiction qui fait que la plèbe<br />
qui parle argot est justement c<strong>et</strong>te populace dont Hugo clame qu’elle a disparu avec la<br />
souverain<strong>et</strong>é du peuple. C<strong>et</strong>te fraternité se traduit juridiquement dans l’État français<br />
par l’accession à la citoyenn<strong>et</strong>é. Insistons donc, à la lumière <strong>de</strong> notre lecture<br />
hugolienne, sur la charge idéologique que porte ce concept <strong>de</strong> citoyen. Parce qu’il<br />
intègre, il exclut tout aussi bien. Parce qu’il prétend représenter, il invisibilise <strong>de</strong> la<br />
même façon. Parce qu’il protège juridiquement, il fragilise d’autant plus ceux qui en<br />
sont exclus. Enfin, parce qu’il est valorisé socialement, élevant ceux qui en bénéficient<br />
au rang <strong>de</strong> frères 40 , il expose ceux qui en sont privés à l’opprobre morale.<br />
La République idéale, pour Hugo, est donc à venir <strong>et</strong> ne sera pleinement réalisée que<br />
quand c<strong>et</strong>te phtisie sera guérie. « Oui, le Peuple, ébauché par le dix-huitième siècle,<br />
sera achevé par le dix-neuvième 41 . » Hugo n’accepte ce reste <strong>de</strong> populace que comme<br />
un moment, une transition vers la République idéale <strong>de</strong> la Nation française, la Nation<br />
révolutionnaire, qui ne saurait à terme renfermer en son sein ces insectes populaciers<br />
grouillants. Ils sont un résidu monarchique, héritiers <strong><strong>de</strong>s</strong> distinctions d’ordres, <strong>et</strong> plus<br />
particulièrement du Tiers-État. La souverain<strong>et</strong>é leur étant désormais confiée, c<strong>et</strong>te<br />
maladie ayant trouvé son vaccin, elle ne peut qu’appartenir au passé. Autrement, elle<br />
m<strong>et</strong>trait en crise la fiction originaire sur laquelle repose l’idéal <strong>de</strong> la Révolution<br />
française (la re-naissance d’un homme libre <strong>et</strong> égal à ses concitoyens) <strong>et</strong> ses héritières<br />
<strong>politiques</strong>, comme la République française.<br />
L’argot célinien ou la voix haineuse du r<strong>et</strong>our du refoulé<br />
C’est ce fantasme politique, ce proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> société idéale qu’il nous intéresse<br />
maintenant <strong>de</strong> confronter à l’autre gran<strong>de</strong> figure du paysage littéraire français à avoir<br />
usé <strong>de</strong> l’argot, Céline. Nous aimerions montrer comment Céline convoque l’argot d’une<br />
façon très différente <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Hugo, <strong>et</strong> comment c<strong>et</strong> usage même est solidaire d’une<br />
vision <strong>de</strong> la communauté, <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong>, plus largement, <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes<br />
<strong>politiques</strong> liés à la constitution <strong>de</strong> l’État mo<strong>de</strong>rne, totalement dissi<strong>de</strong>nte. Quant à<br />
l’usage <strong>de</strong> l’argot, Céline déclare à propos <strong>de</strong> ses sources : « Non l'argot ne se fait pas<br />
40<br />
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Et non <strong>de</strong> sœurs. Derrida insistera beaucoup dans son livre Politiques <strong>de</strong> l’amitié sur le caractère<br />
phallocratique à l’œuvre dans les métaphores amicales <strong>et</strong> familiales du lien politique.<br />
V. Hugo, Les Misérables, vol. II, p. 338.