Subjectivations politiques et économie des savoirs - Service de ...
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– Yves Citton, Laurent Demoulin, Antoine Janvier <strong>et</strong> François Provenzano : « Exploitation,<br />
interprétation, scénarisation. Entr<strong>et</strong>ien avec Yves Citton » – p. 235<br />
dimensions suivantes : types d’eff<strong>et</strong>s sociaux induits, rapport aux valeurs dominantes,<br />
pluralisme <strong><strong>de</strong>s</strong> sources, proximité envers l’expérience, types <strong>de</strong> modulation <strong>de</strong> l’attention,<br />
marges d’interprétation, puissance d’inspiration. Je les passe rapi<strong>de</strong>ment en revue pour<br />
indiquer ce que j’entends par là :<br />
1. Je commence avec le plus important, celui <strong><strong>de</strong>s</strong> types d’eff<strong>et</strong>s sociaux induits. En<br />
regardant le journal télévisé, je ne peux pas m’empêcher <strong>de</strong> ressentir une colère énorme<br />
contre les journalistes qui en sont responsables. Une bonne moitié <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires qu’ils nous<br />
racontent ne peuvent avoir que <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s délétères, sans presque aucun eff<strong>et</strong> positif. Qu’estce<br />
qui peut résulter du fait d’apprendre à <strong><strong>de</strong>s</strong> millions <strong>de</strong> téléspectateurs français qu’un p<strong>et</strong>it<br />
garçon a été kidnappé par un pervers, qu’un couple <strong>de</strong> touristes français a été poignardé à la<br />
sortie d’un Night Club dans un pays lointain, ou qu’une femme adultère a été assassinée par<br />
son mari musulman intégriste ? Un tout p<strong>et</strong>it gain en pru<strong>de</strong>nce, peut-être, mais surtout<br />
beaucoup d’eau apportée aux moulins <strong>de</strong> la peur <strong>et</strong> <strong>de</strong> la xénophobie, <strong>et</strong> par conséquent <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
discours sécuritaires <strong>et</strong> néofascistes qui s’en alimentent.<br />
Peu importe que ces « informations » soient « vraies » : ce qui compte, c’est qu’elles déforment<br />
les perceptions qu’elles in-forment, en surdimensionnant certains problèmes sociaux<br />
par rapport à d’autres. La logique narrative du fait divers est fondée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> prémisses<br />
étroitement individualistes : on me raconte l’histoire d’un autre individu, auquel je suis<br />
conduit à m’i<strong>de</strong>ntifier en tant qu’individu. Contre c<strong>et</strong>te logique du fait divers, il faudrait<br />
impérativement que les journalistes apprennent à raconter <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires collectives, qui<br />
m<strong>et</strong>tent en scène <strong><strong>de</strong>s</strong> données statistiques, <strong><strong>de</strong>s</strong> conditionnements sociologiques, <strong>et</strong> non<br />
seulement <strong><strong>de</strong>s</strong> actes individuels.<br />
2. Parmi ces eff<strong>et</strong>s sociaux, j’analyse plus précisément dans le livre le rapport aux<br />
valeurs dominantes que peuvent entr<strong>et</strong>enir les récits. Je distingue ainsi entre <strong><strong>de</strong>s</strong> récits qui<br />
ten<strong>de</strong>nt à reconduire les valeurs dominantes, par exemple lorsque les « gentils », armés <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
valeurs officiellement prônées dans un groupe social, font finalement triompher ces valeurs<br />
en vainquant les « méchants », <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> récits qui ten<strong>de</strong>nt à reconfigurer ces valeurs, par<br />
exemple lorsque le « méchant » s’avère sympathique <strong>et</strong> muni <strong>de</strong> bonnes raisons pour faire ce<br />
qu’il fait.<br />
3. La troisième dimension est celle du pluralisme <strong><strong>de</strong>s</strong> sources. Plus les histoires qui<br />
circulent entre nous proviendront <strong>de</strong> sources différentes, plus riche sera la représentation<br />
globale que chacun <strong>de</strong> nous pourra se faire <strong>de</strong> notre réalité. Au contraire, plus la provenance<br />
ou la circulation <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires seront concentrées en quelques points privilégiés, plus on<br />
pourra craindre que nos perceptions du mon<strong>de</strong> seront biaisées <strong>et</strong> leurrantes.<br />
4. Le critère <strong>de</strong> la proximité envers l’expérience est lié au point précé<strong>de</strong>nt sans se<br />
confondre avec lui. Je peux raconter une histoire fondée sur ce que j’ai lu ou entendu, ou je<br />
peux raconter quelque chose dans lequel j’ai joué moi-même un rôle direct. J’ai envie <strong>de</strong> dire<br />
que plus une histoire est proche <strong>de</strong> l’expérience active <strong>de</strong> celui qui la raconte, plus elle a à