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Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

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situation. Nous prolongerons les remarques faites plus haut en tentant de préciser quelqueséléments fondant <strong>la</strong> distance de <strong>MSF</strong> d’avec les discours ou les actions «de <strong>protection</strong> ».Discours de <strong>la</strong> <strong>protection</strong> <strong>et</strong> fausses promesses – L’insuffisance / inadéquation de l’assistance<strong>et</strong> l’insécurité sont donc ici les deux vol<strong>et</strong>s peu glorieux d’<strong>une</strong> ‘politique de <strong>la</strong> <strong>protection</strong>’ quiest en réalité <strong>une</strong> politique des « fausses promesses de <strong>protection</strong> » : c’est d’abord c<strong>et</strong>te duplicitéqui est dénoncée, comme porteuse d’illusions <strong>et</strong> de radicalisation 104 . En réalité, le positionnement– interne <strong>et</strong> externe – ne nous semble pas si limpide. En interne, <strong>la</strong> disqualification de <strong>la</strong>« <strong>protection</strong> » par l’intervention militaire a été p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it entérinée par différents écrits (rapportmoral 2004-05, La Mancha, «L’humanitaire <strong>et</strong> <strong>la</strong> tentation des armes », références au Libéria, auRwanda), tout en demeurant source de discussions d’<strong>une</strong> part sur notre légitimité à nous prononcersur c<strong>et</strong>te <strong>question</strong>, d’autre part sur un jugement condamnant à l’avance <strong>et</strong> par principe touteintervention. En externe, l’abstention de juger de l’opportunité ou pas d’<strong>une</strong> intervention estposée, <strong>et</strong> c’est <strong>la</strong> dénonciation de <strong>la</strong> duplicité qui est mise en avant. Mais dans <strong>la</strong> trib<strong>une</strong> duMonde perce un doute assumé sur <strong>la</strong> réussite d’<strong>une</strong> intervention, si elle avait lieu. En somme,<strong>MSF</strong> décrit l’intervention à <strong>la</strong> fois comme <strong>une</strong> promesse à <strong>la</strong> réalisation improbable <strong>et</strong> un proj<strong>et</strong>à <strong>la</strong> réussite douteuse.Par ailleurs, l’insistance avec <strong>la</strong>quelle <strong>MSF</strong> veut s’assurer de ne pas être convoyeur de ces faussespromesses de <strong>protection</strong>, corré<strong>la</strong>tive de sa prudence par rapport à sa propre action (<strong>et</strong> auxespoirs suscités par sa présence) nous semble indiquer à nouveau <strong>la</strong> marque qu’ont impriméeSrebrenica <strong>et</strong> Kibeho dans <strong>la</strong> ‘culture institutionnelle’.Discours de <strong>la</strong> <strong>protection</strong>, cohérence <strong>et</strong> confusion des rôles – Dans ces conditions, <strong>la</strong>promotion de <strong>la</strong> « <strong>protection</strong> » par l’ONU <strong>et</strong> les ONG apparaît à <strong>MSF</strong> comme particulièrementproblématique. Elle implique que <strong>la</strong> <strong>protection</strong> serait un objectif partagé dont les actionsrespectives de ces agences seraient les déclinaisons concrètes (documenter, intervenir militairement,politiquement, …). Pour <strong>MSF</strong>, c<strong>et</strong>te conception intégrée, révé<strong>la</strong>trice du discours onusien de <strong>la</strong>« cohérence » (voir document principal) est dangereuse pour deux séries de raisons. D’<strong>une</strong> part,elle <strong>la</strong>isse penser que tout serait <strong>protection</strong>, que tous les objectifs seraient concordants <strong>et</strong> serenforceraient mutuellement (respect des droits de l’homme, efforts politiques en vue de <strong>la</strong> paix,imposition par <strong>la</strong> force de ces deux visées, <strong>et</strong> délivrance d’aide humanitaire). Or, derrière c<strong>et</strong>teapparente unité, chaque objectif est plus ou moins concrétisé selon qu’il est plus ou moinsrecherché en tant que tel. <strong>MSF</strong> s’inquiète donc des conséquences de c<strong>et</strong>te approche sur <strong>la</strong> capacitéà délivrer des secours, ayant constaté par le passé (en Ango<strong>la</strong> <strong>et</strong> en Sierra Leone) comment ceuxcipeuvent faire les frais des arbitrages politiques. D’autre part, <strong>la</strong> promotion de l’intervention« à but de <strong>protection</strong> » crée <strong>une</strong> confusion des rôles <strong>et</strong> des enjeux entre politiques <strong>et</strong> humanitaires,qui affecte directement <strong>la</strong> capacité de ces derniers à être respectés des différents acteurs armés.Selon <strong>MSF</strong>, il s’agit donc encore de r<strong>et</strong>ourner l’équation : alors que l’insécurité devient l’argumentmajeur avancé par ceux – y compris les ONG – qui demandent <strong>une</strong> intervention (m<strong>et</strong>tant à jourle lien entre protéger <strong>et</strong> sécuriser), <strong>MSF</strong> affirme dans son positionnement externe que c<strong>et</strong>teinsécurité est au contraire <strong>la</strong> conséquence du discours de <strong>la</strong> <strong>protection</strong> <strong>et</strong> de <strong>la</strong> confusion desrôles. On rejoint ici <strong>la</strong> problématique c<strong>la</strong>ssique de <strong>la</strong> neutralité dans le cadre militaro-humanitaire,104. En ce sens, <strong>MSF</strong> voit <strong>la</strong> non-réalisation des «appels à protéger les civils» comme étant non pas un raté ou un r<strong>et</strong>ard àm<strong>et</strong>tre en œuvre, mais comme <strong>la</strong> preuve même de c<strong>et</strong>te duplicité. Tout se passe comme si le discours de <strong>la</strong> <strong>protection</strong>était le nouvel habit de l’ «humanitaire-alibi», mais avec <strong>une</strong> complexité plus grande encore : au lieu de ‘donner du riz’,les Etats de <strong>la</strong> ‘communauté internationale’ désunie donnent à leurs opinions publiques (<strong>et</strong> aux victimes) du discoursde <strong>protection</strong> à se ‘m<strong>et</strong>tre sous <strong>la</strong> dent’ : un discours plus mouvant, plus ambitieux que le discours des secours des années1990, <strong>et</strong> qui de ce fait satisfait le besoin ressenti d’<strong>une</strong> action réelle, par opposition à <strong>une</strong> action-«feuille de vigne» (<strong>la</strong>«fig leaf» souvent mentionnée dans les fora sur <strong>la</strong> <strong>protection</strong>).105

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