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Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

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MORNAY, AU CŒUR DES VIOLENCES, UNE ‘PRÉSENCE PROTECTRICE’? - FÉVRIER 2004L’autorisation d’ouvrir un programme auprès des dép<strong>la</strong>cés à Mornay est donnée le 27 janvier ;l’équipe, qui avait initialement prévu de passer quelques jours à Zalingei, décide finalement derallier Mornay le plus vite possible, en raison des signes annonciateurs de crise. De fait, ellearrive le 31 au cœur d’<strong>une</strong> campagne de destruction qui vient de commencer. A peine installée,<strong>et</strong> alors qu’elle vient d’entamer <strong>une</strong> campagne de vaccination contre <strong>la</strong> rougeole, l’équipe doitfaire face à l’afflux de 80 blessés entre le 4 <strong>et</strong> le 15 février (qui viennent s’ajouter aux 480 qu’ellea trouvés en arrivant sur le site), <strong>et</strong> ce, en l’absence de chirurgien <strong>et</strong> avec <strong>une</strong> capacité infime àréférer, les routes étant trop dangereuses (<strong>une</strong> douzaine de patients le seront 78 ). Confinée dansle camp, l’équipe constate au quotidien les eff<strong>et</strong>s de <strong>la</strong> campagne de destruction méthodique quisévit tout autour. Outre l’afflux de blessés, c’est l’augmentation rapide du nombre de dép<strong>la</strong>cés :déjà passés de 7000 à 25 000 entre décembre <strong>et</strong> janvier, ils sont 60 000 courant février avec l’affluxde 40 000 nouveaux dép<strong>la</strong>cés. Tous fuient les attaques de leurs vil<strong>la</strong>ges, dont les bribes derécit suffisent à mesurer l’immense violence.C<strong>et</strong> épisode est vécu de façon extrêmement intense par l’équipe <strong>et</strong> par le siège. Il concentre eneff<strong>et</strong> quelques éléments très significatifs pour <strong>MSF</strong>.Signalons d’abord qu’il fait écho à ce qui est perçu dans <strong>la</strong> durée, <strong>et</strong> par <strong>une</strong> majorité de membresde <strong>MSF</strong>, comme le cœur même de notre légitimité d’action – prendre en charge les victimesdirectes de <strong>la</strong> violence de guerre, au plus près de c<strong>et</strong>te violence 79 . Une action qui, en l’occurrence,fait partie de ce que le DIH entend par «<strong>protection</strong> des popu<strong>la</strong>tions civiles » dans les conflits,soit <strong>la</strong> délivrance de secours à des popu<strong>la</strong>tions identifiées pour leur vulnérabilité spécifique(blessés, ma<strong>la</strong>des, réfugiés, civils).Dans ce contexte, toute <strong>une</strong> série de problèmes émergent où <strong>la</strong> <strong>question</strong> de <strong>la</strong> <strong>protection</strong> estplutôt posée à travers celle de l’exposition, <strong>la</strong> mise en danger. Les expatriés sont conscients queleur présence, perçue par les dép<strong>la</strong>cés comme <strong>la</strong> garantie d’<strong>une</strong> re<strong>la</strong>tive sécurité, donne au camp<strong>une</strong> qualité de sanctuaire <strong>et</strong> participe de l’attraction qu’il exerce sur ces personnes en quête d’asilesûr. Ils sont aussi témoins du déca<strong>la</strong>ge entre déferlement de violences à l’extérieur <strong>et</strong> immunitéfragile de c<strong>et</strong> espace du camp. La <strong>question</strong> du rôle qu’ils jouent <strong>et</strong> peuvent être amenés à jouerest alors posée : quelle assurance ont-ils que c<strong>et</strong>te immunité perdure ? Jouent-ils malgré eux lerôle d’appât dans ce qui pourrait bien se révéler un piège, exposant <strong>la</strong> vie des dép<strong>la</strong>cés, <strong>et</strong> <strong>la</strong>leur ? C’est en tout cas ainsi qu’ils vivent l’épisode : ils «se sont longtemps demandé s’ils n’étaientpas en train d’attirer les gens dans un piège. D’un côté, les gens pensent que <strong>la</strong> présence de <strong>MSF</strong> est<strong>une</strong> garantie de sécurité. De l’autre, vu l’ampleur des violences tout autour de Mornay, il est à craindreque tôt ou tard les hommes en armes fondent sur les dép<strong>la</strong>cés » (CR entr<strong>et</strong>ien log Mornay préparatoireà <strong>la</strong> RCO).78. A c<strong>et</strong>te occasion, l’équipe doit prendre des paris sur <strong>la</strong> sécurité des gens: lors de <strong>la</strong> première référence, pour ne pas utiliser<strong>la</strong> voiture <strong>MSF</strong>, le logisticien paie un taxi pour envoyer <strong>une</strong> patiente à El Geneina. En dépit des instructions reçues, lechauffeur fera monter à bord des policiers ; le taxi est attaqué <strong>et</strong> tous sont tués. La patiente est épargnée. A un autremoment, à des patients qui refusent de voyager avec le convoi du ministre de <strong>la</strong> santé, un médecin proche des Jenjaweeds,l’équipe dit «qu’elle s’assurera de leur état de santé <strong>et</strong> de leur sécurité par <strong>la</strong> suite, à El Geneina. Ce qui rassure un peu lespatients qui acceptent de monter» (CR entr<strong>et</strong>ien logisticien Mornay, RCO).79. Or, précisément, <strong>la</strong> mise en conformité entre c<strong>et</strong>te visée (le conflit comme lieu de légitimité pour <strong>MSF</strong>, ‘depuis sa naissance’….)<strong>et</strong> <strong>la</strong> réalité concrète de nos interventions a été l’obj<strong>et</strong> d’efforts récents de l’institution – en direction de <strong>la</strong> chirurgie,de <strong>la</strong> prise en charge directe des conséquences de <strong>la</strong> violence (cf document général, section 3, A l’ère de <strong>la</strong> désillusion,l’émergence de <strong>la</strong> figure du secouriste). Avec <strong>la</strong> difficulté de prise en charge, le manque de moyens humains, le soin ‘malgrétout’ aux blessés à Mornay cristallise ces enjeux – en l’occurrence, aucun des blessés pris en charge n’est décédé.89

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