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Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

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personnes lui soient livrées, ce à quoi l’équipe se refusa jusqu’au bout – c’est-à-dire jusqu’à ceque des hommes en armes pénètrent dans <strong>la</strong> clinique pour y chercher eux-mêmes ces personnes.L’équipe ne tenta pas de les en empêcher ; elle ne put qu’exprimer sa vive protestation en arguantde <strong>la</strong> vio<strong>la</strong>tion de l’espace de <strong>la</strong> clinique (cf supra). Comme pour les réfugiés nord-coréens, <strong>la</strong><strong>protection</strong> accordée à ces civils se révé<strong>la</strong>it ainsi bien frêle. Mais entre renvoyer des gens vers undanger supérieur, ou prendre le pari d’attendre le plus longtemps possible, l’équipe avait sanshésiter opté pour <strong>la</strong> deuxième position – ce qui n’exclut pas qu’un calcul des risques rapide <strong>et</strong>non explicité ait contribué à c<strong>et</strong>te réaction 58 .PARLERAu Nord-Kivu, comme sur tous les terrains <strong>MSF</strong> instables, le coordinateur de terrain rencontrerégulièrement les différents chefs armés en vue de sécuriser les mouvements des équipes <strong>MSF</strong>.Il les visite également pour leur rem<strong>et</strong>tre le rapport d’activités trimestriel en main propre. Plusieurscoordinateurs racontent avoir couramment profité de tels moments pour indiquer à leur interlocuteurque de nombreuses victimes de violence étaient originaires de <strong>la</strong> zone que celui-cicontrô<strong>la</strong>it : <strong>une</strong> façon de lui faire savoir qu’ils savaient, de lui rappeler qu’ils étaient un regardextérieur ; <strong>une</strong> façon aussi de ne pas devenir «auxiliaires » de ces violences par un silence quivaudrait acquiescement. C<strong>et</strong>te parole qui interpelle de façon non bruyante est dans ce type decontexte <strong>une</strong> pratique aussi répandue que discrète ; elle n’est que très rarement mentionnée oudiscutée dans les documents de liaison terrain-siège. L’espace dans lequel s’inscrit c<strong>et</strong>te pratiqueest étroit ; il est balisé d’un côté par <strong>la</strong> nécessité d’<strong>une</strong> «mise en tension » minimale face à desinterlocuteurs qui sont des auteurs de violences, de l’autre, par celle de ne pas comprom<strong>et</strong>trec<strong>et</strong>te interaction, donc de se garder de s’engager sur le terrain de <strong>la</strong> condamnation morale ouverte,par exemple.Autres temps, autres lieux, autre contexte : au Darfour début 2004, alors qu’<strong>une</strong> mise en tensionavec le gouvernement de Khartoum n’est précisément pas opport<strong>une</strong>, le siège décide d’entreprendre<strong>une</strong> stratégie de lobbying – briefing de journalistes, tournée aux Etats-Unis du coordinateurde r<strong>et</strong>our du terrain, avec pour objectif de pousser <strong>la</strong> «communauté internationale à assumerau plus vite <strong>une</strong> position politique forte » y compris concernant <strong>la</strong> « violence contre les civils » 59 .Avec c<strong>et</strong>te parole non publique adressée à des tiers (<strong>et</strong> non aux auteurs de violences eux-mêmes),nous avons ici encore affaire à un type de pratique tout à fait courant, aujourd’hui comme hier.Pratique explicitement en lien avec <strong>une</strong> visée de «<strong>protection</strong> » au sens <strong>la</strong>rge : il s’agit bien d<strong>et</strong>enter d’avoir un impact sur <strong>une</strong> situation de violences massives <strong>et</strong> <strong>la</strong>rgement ignorées (autantque sur les besoins également massifs qui en résultent), en <strong>la</strong> faisant connaître, d’<strong>une</strong> part, <strong>et</strong>en sollicitant des acteurs politiques influents, de l’autre.L’analyse du recours à <strong>la</strong> parole publique comme pratique ayant <strong>une</strong> telle visée paraît <strong>la</strong>rgementmoins aisée. Notre parcours chronologique l’a montré, l’évolution du contenu des communiqués depresse peut précisément être comprise comme celle d’un découp<strong>la</strong>ge progressif entre «témoignage»58. Calcul qui inclut d’un côté, les risques pour les personnes (<strong>la</strong> nature de <strong>la</strong> menace que les combattants faisaient peser sureux – mort certaine, ou maltraitance, ou enrôlement…) ; de l’autre, les risques pris par les membres de l’équipe en se trouvanten situation de possible interposition entre ces combattants <strong>et</strong> ceux qu’ils recherchent (fonction de <strong>la</strong> déterminationde ceux-là à les rechercher, de leur intérêt à respecter les humanitaires, de leur sensibilité à leur image publique…).59. Briefing cité (en ang<strong>la</strong>is) dans <strong>la</strong> RCO, op.cit., p.111.47

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