personnes lui soient livrées, ce à quoi l’équipe se refusa jusqu’au bout – c’est-à-dire jusqu’à ceque des hommes en armes pénètrent dans <strong>la</strong> clinique pour y chercher eux-mêmes ces personnes.L’équipe ne tenta pas de les en empêcher ; elle ne put qu’exprimer sa vive protestation en arguantde <strong>la</strong> vio<strong>la</strong>tion de l’espace de <strong>la</strong> clinique (cf supra). Comme pour les réfugiés nord-coréens, <strong>la</strong><strong>protection</strong> accordée à ces civils se révé<strong>la</strong>it ainsi bien frêle. Mais entre renvoyer des gens vers undanger supérieur, ou prendre le pari d’attendre le plus longtemps possible, l’équipe avait sanshésiter opté pour <strong>la</strong> deuxième position – ce qui n’exclut pas qu’un calcul des risques rapide <strong>et</strong>non explicité ait contribué à c<strong>et</strong>te réaction 58 .PARLERAu Nord-Kivu, comme sur tous les terrains <strong>MSF</strong> instables, le coordinateur de terrain rencontrerégulièrement les différents chefs armés en vue de sécuriser les mouvements des équipes <strong>MSF</strong>.Il les visite également pour leur rem<strong>et</strong>tre le rapport d’activités trimestriel en main propre. Plusieurscoordinateurs racontent avoir couramment profité de tels moments pour indiquer à leur interlocuteurque de nombreuses victimes de violence étaient originaires de <strong>la</strong> zone que celui-cicontrô<strong>la</strong>it : <strong>une</strong> façon de lui faire savoir qu’ils savaient, de lui rappeler qu’ils étaient un regardextérieur ; <strong>une</strong> façon aussi de ne pas devenir «auxiliaires » de ces violences par un silence quivaudrait acquiescement. C<strong>et</strong>te parole qui interpelle de façon non bruyante est dans ce type decontexte <strong>une</strong> pratique aussi répandue que discrète ; elle n’est que très rarement mentionnée oudiscutée dans les documents de liaison terrain-siège. L’espace dans lequel s’inscrit c<strong>et</strong>te pratiqueest étroit ; il est balisé d’un côté par <strong>la</strong> nécessité d’<strong>une</strong> «mise en tension » minimale face à desinterlocuteurs qui sont des auteurs de violences, de l’autre, par celle de ne pas comprom<strong>et</strong>trec<strong>et</strong>te interaction, donc de se garder de s’engager sur le terrain de <strong>la</strong> condamnation morale ouverte,par exemple.Autres temps, autres lieux, autre contexte : au Darfour début 2004, alors qu’<strong>une</strong> mise en tensionavec le gouvernement de Khartoum n’est précisément pas opport<strong>une</strong>, le siège décide d’entreprendre<strong>une</strong> stratégie de lobbying – briefing de journalistes, tournée aux Etats-Unis du coordinateurde r<strong>et</strong>our du terrain, avec pour objectif de pousser <strong>la</strong> «communauté internationale à assumerau plus vite <strong>une</strong> position politique forte » y compris concernant <strong>la</strong> « violence contre les civils » 59 .Avec c<strong>et</strong>te parole non publique adressée à des tiers (<strong>et</strong> non aux auteurs de violences eux-mêmes),nous avons ici encore affaire à un type de pratique tout à fait courant, aujourd’hui comme hier.Pratique explicitement en lien avec <strong>une</strong> visée de «<strong>protection</strong> » au sens <strong>la</strong>rge : il s’agit bien d<strong>et</strong>enter d’avoir un impact sur <strong>une</strong> situation de violences massives <strong>et</strong> <strong>la</strong>rgement ignorées (autantque sur les besoins également massifs qui en résultent), en <strong>la</strong> faisant connaître, d’<strong>une</strong> part, <strong>et</strong>en sollicitant des acteurs politiques influents, de l’autre.L’analyse du recours à <strong>la</strong> parole publique comme pratique ayant <strong>une</strong> telle visée paraît <strong>la</strong>rgementmoins aisée. Notre parcours chronologique l’a montré, l’évolution du contenu des communiqués depresse peut précisément être comprise comme celle d’un découp<strong>la</strong>ge progressif entre «témoignage»58. Calcul qui inclut d’un côté, les risques pour les personnes (<strong>la</strong> nature de <strong>la</strong> menace que les combattants faisaient peser sureux – mort certaine, ou maltraitance, ou enrôlement…) ; de l’autre, les risques pris par les membres de l’équipe en se trouvanten situation de possible interposition entre ces combattants <strong>et</strong> ceux qu’ils recherchent (fonction de <strong>la</strong> déterminationde ceux-là à les rechercher, de leur intérêt à respecter les humanitaires, de leur sensibilité à leur image publique…).59. Briefing cité (en ang<strong>la</strong>is) dans <strong>la</strong> RCO, op.cit., p.111.47
<strong>et</strong> visée «de <strong>protection</strong>». La mise à distance de l’appel aux armes ou de celui à «prendre ses responsabilités»,<strong>la</strong> raréfaction des références au DIH <strong>et</strong> au respect des civils, <strong>la</strong> mise en avant de faitsmédicaux, de réalités épidémiologiques, les contenus désormais majoritairement liés à nos secours(entraves, accès, insécurité, détournement), autant d’éléments qui l’indiquent.Ce nouveau <strong>la</strong>ngage ne signifie cependant pas que <strong>la</strong> mention des faits de violence n’ait plus sap<strong>la</strong>ce à <strong>MSF</strong> : nous avons vu plus haut qu’elle continue d’être présente dans nombre de CP dontl’obj<strong>et</strong> principal est l’entrave à notre action ou, certes rarement, d’être le cœur du message lorsd’événements particulièrement sérieux (tels le bombardement ou le massacre de civils ; le caractèremassif <strong>et</strong>/ou intentionnel de violences nous semble ici intervenir, entre autres critères, dans<strong>la</strong> perception que nous avons de seuils de gravité).C<strong>et</strong>te évolution ne signifie pas non plus que <strong>la</strong> volonté de parler d’<strong>une</strong> situation de violence subie par<strong>une</strong> popu<strong>la</strong>tion, de <strong>la</strong> faire connaître, ait cessé d’être présente chez les acteurs <strong>MSF</strong>, parmi d’autresmotivations à p<strong>la</strong>ider pour <strong>une</strong> prise de position publique à un moment précis. Mais, d’<strong>une</strong> part, c<strong>et</strong>tevolonté de parler est désormais reformulée dans les termes du secouriste. Ainsi de «l’accès aux soins»,concernant <strong>la</strong> Somalie par exemple: là où il y a dix ou vingt ans nous aurions «témoigné» des conséquencesdésastreuses des violences <strong>et</strong> du chaos sur <strong>la</strong> situation des gens, nous exprimons aujourd’-hui notre inquiétude sur le «manque d’accès des popu<strong>la</strong>tions aux soins» du fait de l’insécurité (cfsupra). Et <strong>la</strong> demande que nous adressons aujourd’hui aux parties de «perm<strong>et</strong>tre aux ma<strong>la</strong>des l’accèsaux soins» fait écho à celle, hier, de «respecter les civils»: en dépit du changement de vocabu<strong>la</strong>ire, ils’agit de parler de <strong>la</strong> situation critique dans <strong>la</strong>quelle se trouve <strong>une</strong> popu<strong>la</strong>tion dans son entier davantageque de poser <strong>une</strong> demande concrète qui aurait trait au passage des ma<strong>la</strong>des.D’autre part, <strong>la</strong> <strong>question</strong> du ‘pour quoi parler’ d’<strong>une</strong> situation semble plus systématiquement opposéeaux volontés de communication sur un suj<strong>et</strong> particulier. L’émergence puis l’abandon (peut-êtreprovisoire) de l’idée de prendre <strong>une</strong> position publique sur l’Irak à <strong>la</strong> fin de l’été 2007 l’illustrent 60 .Dans les débats suscités au siège par ce proj<strong>et</strong>, de nombreuses divergences de conceptions, d’attentes,d’objectifs de <strong>la</strong> prise de parole furent exprimées – certaines personnes vou<strong>la</strong>nt avant tout parler desconséquences de <strong>la</strong> violence sur les civils à partir de l’exemple de nos patients; d’autres souhaitantsoulever <strong>la</strong> <strong>question</strong> de l’accès aux soins pour les blessés irakiens en général, en demandant explicitementun engagement de <strong>la</strong> communauté internationale; d’autres encore estimant que seule <strong>la</strong>mention des entraves à notre action constituait <strong>une</strong> base légitime à <strong>une</strong> parole <strong>MSF</strong> dans un contextede chaos par ailleurs <strong>la</strong>rgement médiatisé. Ces divergences de positions recouvraient en somme différentesconceptions de <strong>la</strong> légitimité <strong>et</strong> de l’opportunité de nous positionner sur des problématiques de<strong>protection</strong> ou dépassant <strong>la</strong> sphère étroite de notre action, dans le contexte spécifique de l’Irak 61 .Au final, l’accès pour nos patients (donc l’enjeu lié à notre action) s’étant amélioré, le proj<strong>et</strong> decommuniquer fut suspendu.Les éléments que nous voyons mis en tension au cœur de ces débats sont ceux qui ont toujoursnourri les arbitrages de <strong>MSF</strong> lorsqu’il s’est agi de prendre <strong>la</strong> parole sur <strong>la</strong> situation de popu<strong>la</strong>tions4860. Voir les discussions au CA du 31 août 2007, en réunion des opérations le 4 septembre 2007, ou les échanges de mailsentre présidence, desk, communication, fondation autour du 11-13 septembre 2007.61. A c<strong>et</strong> égard, il est intéressant de remarquer que certains ont développé, parmi d’autres arguments, <strong>la</strong> comparaison avec des exemplespuisés du côté du médical (l’interpel<strong>la</strong>tion par <strong>MSF</strong> de <strong>la</strong> communauté internationale sur le sida ou <strong>la</strong> réponse à <strong>la</strong> crisenutritionnelle au Niger) pour avancer que l’on détient pareillement aux marges de l’Irak <strong>une</strong> ‘solution’ que l’on voudrait voirgénéraliser; comparaison dont d’autres contestaient <strong>la</strong> validité, puisqu’en Irak nous ne pouvions m<strong>et</strong>tre en avant des objectifsprécis (telle l’utilisation d’un médicament particulier contre <strong>la</strong> malnutrition ou le sida). Le recours à ces exemples médicaux noussemble manifester par défaut comment <strong>la</strong> légitimité de l’interpel<strong>la</strong>tion s’est progressivement dép<strong>la</strong>cée des situations de violence(dans les années 1990) vers les problématiques médicales aujourd’hui (cf le vocabu<strong>la</strong>ire re<strong>la</strong>tivement ‘dénonciatoire’ utilisé dansles CP sur le sida ou <strong>la</strong> tuberculose, alors qu’il est abandonné sur les situations politiques).
- Page 1 and 2: LES CAHIERS DU CRASHMSF ET LA PROTE
- Page 3 and 4: DANS LA COLLECTIONDES CAHIERS DU CR
- Page 5 and 6: RemerciementsJe tiens à remercier
- Page 7 and 8: ANNEXESANNEXE 1: 53Etude de cas - T
- Page 9 and 10: Variété des registres d’abord :
- Page 11 and 12: négatives, indiquant l’ambivalen
- Page 14 and 15: I - L’ÈRE DU TÉMOIN - SENTINELL
- Page 16 and 17: Il n’est pourtant pas certain que
- Page 18: Dureté des faits du côté des ré
- Page 21 and 22: Pendant cette période, MSF prend d
- Page 23 and 24: esponsabilités » (CA octobre 1992
- Page 25 and 26: la protection des populations civil
- Page 27 and 28: Ces deux événements uniques, cibl
- Page 29 and 30: témoignage, d’un côté l’assi
- Page 31 and 32: 30valeur encore accordée à la pr
- Page 33 and 34: Conséquence de cette volonté de r
- Page 35 and 36: impose un démarquage mais n’a pa
- Page 37 and 38: (RM 1999-2000). Un questionnement r
- Page 39 and 40: Par suite, chez la majorité de ceu
- Page 41 and 42: les plus instables en leur sein, ce
- Page 43 and 44: des hommes en armes pénétrèrent
- Page 45 and 46: De façon similaire, l’idée qu
- Page 47: personnes ne pouvant rentrer chez e
- Page 51 and 52: Fruit d’arbitrages complexes, d
- Page 53 and 54: cet espace qui devient parfois celu
- Page 55 and 56: PROLOGUE - 1996, AVANT L’AVANCEE
- Page 57 and 58: PROLOGUE - 1996, AVANT L’AVANCÉE
- Page 59 and 60: les violences sont évoquées en fi
- Page 61 and 62: - Alors que la pression des ONG (et
- Page 63 and 64: autres occasions : d’une part, l
- Page 65 and 66: ou produites): la moindre évidence
- Page 67 and 68: il a failli) : «face à ce bilan p
- Page 69 and 70: détourné : « Deux jours plus tar
- Page 71 and 72: éfugiés ont à dire» «MSF n’a
- Page 73 and 74: éléments objectifs, validés. La
- Page 75 and 76: La tension entre présence et parol
- Page 77 and 78: l’apogée des tensions inter-sect
- Page 79 and 80: et les limites du processus de rapa
- Page 81 and 82: EPILOGUEDE LA CONSOLIDATION DES INF
- Page 84 and 85: ANNEXE N ° 2 / ÉTUDEDECASINTERVEN
- Page 86 and 87: Comme dans le document sur la « Tr
- Page 88 and 89: d’assistance dans les villages pr
- Page 90 and 91: MORNAY, AU CŒUR DES VIOLENCES, UNE
- Page 92 and 93: Cet appel à prendre ses responsabi
- Page 94 and 95: C’est ensuite autour du poids res
- Page 96 and 97: déplacés fuient les «attaques de
- Page 98 and 99:
importants. Selon leur conception d
- Page 100 and 101:
embarrassante (celle par les tenant
- Page 102 and 103:
de leur impact sur la population ;
- Page 104 and 105:
(p.57-60). La question a donc été
- Page 106 and 107:
situation. Nous prolongerons les re
- Page 108 and 109:
LE DÉBAT AUTOUR DES VICTIMES PRIOR
- Page 110 and 111:
ANNEXE N ° 3 / ÉTUDEDECASPRISE EN
- Page 112 and 113:
La présente étude de cas porte su
- Page 114 and 115:
Promesses non tenues - un semblant
- Page 116 and 117:
logistique. Le projet Kayna, dont l
- Page 118 and 119:
part, en dehors de ces moments sail
- Page 120 and 121:
2 - ACTES, PRATIQUES, AUTOUR DE / F
- Page 122 and 123:
violer / être exclue par mon mari
- Page 124 and 125:
Concrètement, nous parlons ici de
- Page 126 and 127:
collective », de sensibiliser diff
- Page 128 and 129:
à des appels : le 12 mai, Oxfam ap
- Page 130 and 131:
éclairer la suite. Il nous semble
- Page 132 and 133:
A chaque fois, ils voient mal quell
- Page 134 and 135:
le coordinateur Nord Kivu disait é
- Page 136 and 137:
ANNEXE N ° 4OCCURRENCES DE MOTS-CL
- Page 138 and 139:
le problème réel n’est pas celu
- Page 140 and 141:
CA 2 mars 2001 :Guinée-Sierra Leon
- Page 142 and 143:
faut dénoncer les atteintes au dro
- Page 144 and 145:
coller le plus possible au médical
- Page 146 and 147:
OCCURRENCES DU MOT «CIVILS / POPUL
- Page 148 and 149:
RM 2000-2001 :« L’intervention m