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Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

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Le contenu du discours externe, en somme, renvoie de plus en plus explicitement à <strong>la</strong> responsabilitédu secouriste prenant en charge les victimes des violences, <strong>la</strong> description des conséquencessanitaires de celles-ci étant alors de plus en plus indexée aux enjeux liés aux secours.Ainsi, <strong>la</strong> quasi-totalité des prises de positions publiques où sont mentionnées des violencesm<strong>et</strong>tent en avant d’abord des <strong>question</strong>s d’entrave aux secours, d’insuffisance de ceux-ci, d’absenced’accès (des humanitaires aux popu<strong>la</strong>tions <strong>et</strong> vice-versa), de <strong>protection</strong> de l’espace d<strong>et</strong>ravail (<strong>et</strong> en particulier de sécurité des équipes), de détournement du <strong>la</strong>bel humanitaire – <strong>une</strong>même prise de parole contenant en général plusieurs de ces <strong>question</strong>s du fait de leur interconnexion.En somme, elles ont quelque chose à demander qui concerne directement notre action– un espace à défendre, <strong>une</strong> amélioration ou <strong>une</strong> ouverture à obtenir – qu’il s’agisse du Sri Lanka(entraves à l’accès, violences contre les humanitaires), du Darfour en 2004 (insuffisance dessecours), en 2005 (insécurité pour les humanitaires, accès), de l’Ouganda, de <strong>la</strong> Somalie oud’Haïti (insécurité rendant difficile l’accès des civils aux soins, à <strong>MSF</strong>). Seuls quelques événementsparticulièrement graves aux yeux de <strong>MSF</strong> (bombardements de civils au Tchad ou en Côted’Ivoire, rapatriement forcé) font l’obj<strong>et</strong> de CP en l’absence d’enjeux liés aux secours eux-mêmes.La prise de parole sur les violences au Darfour (avec le rapport Le pire est à venir, en juin 2004,faisant suite à des CP où les violences ne sont pas mentionnées <strong>et</strong> où les « dép<strong>la</strong>cés » ont des« besoins ») est l’occasion d’expliquer c<strong>et</strong>te inflexion ; le président de <strong>MSF</strong> précise comment il <strong>la</strong>conçoit :[A propos de <strong>la</strong> non-prise de parole fin 2003, regr<strong>et</strong>tée] : « Il était absolument nécessaire, pour queles secours s’amplifient sur le Darfour, que <strong>la</strong> gravité de c<strong>et</strong>te crise soit publiquement connue » ;[Sur <strong>la</strong> prise de position en juin 2004]: « Je voudrais revenir sur nos prises de parole à propos duDarfour. Je par<strong>la</strong>is tout à l’heure de l’utilité de communiquer sur <strong>la</strong> gravité des événements. Ce<strong>la</strong>sert à appeler à <strong>une</strong> intensification des secours. Nous ne nous voyons pas <strong>la</strong> responsabilité d’être,dans c<strong>et</strong>te mission, <strong>une</strong> sorte d’observateur des atteintes aux droits de l’homme. Mais en revanche,nous avons <strong>une</strong> responsabilité c<strong>la</strong>ire dans le domaine des secours » (RM 2004-05)Ce faisant, il conteste que <strong>la</strong> prise de parole sur les violences puisse être mue par <strong>une</strong> responsabilité‘intrinsèque’. Il pose qu’au fondement de c<strong>et</strong>te prise de parole se trouve <strong>la</strong> nécessité d’assurer,d’améliorer, de renforcer les secours : en somme, <strong>la</strong> nécessité de «préserver ou restaurerdes conditions compatibles avec l’accomplissement de [notre] tâche» 46 . Ainsi, le point d’ancrage, lecentre de gravité se sont dép<strong>la</strong>cés : dans les années 1970-80, le regard, <strong>la</strong> responsabilité étaienttout entiers portés sur l’extérieur, dans un rapport direct entre l’acteur humanitaire <strong>et</strong> le «théâtredes guerres » <strong>et</strong> les vio<strong>la</strong>tions des droits de l’homme ; à partir de 1985, s’y adjoint l’impératifde répondre de sa propre action ; les deux logiques co-existent tout au long de <strong>la</strong> décennie 1990.C<strong>et</strong>te deuxième logique, celle du regard sur sa propre action <strong>et</strong> de <strong>la</strong> défense contre le détournement,devient progressivement celle par <strong>la</strong>quelle se fait l’articu<strong>la</strong>tion entre <strong>MSF</strong> <strong>et</strong> son environnement.En somme, il n’y aurait pas de rôle ou de responsabilité face aux violences, mais <strong>la</strong>responsabilité de <strong>MSF</strong> par rapport à sa propre action.46. A nouveau M. Feher, dans «Constance déroutante», Vacarme n°31, printemps 2005. L’auteur soutient que des positionnementsapparemment contradictoires (référence au positionnement sur le Darfour) cachent <strong>une</strong> constance doctrinale de <strong>MSF</strong>, qui portesur c<strong>et</strong> ancrage dans l’action, le soin, comme «seule raison d’être». C’est pourquoi il avance que les positionnements publics del’association sont nécessairement motivés par ce qui menace l’action : l’entrave, <strong>la</strong> perversion (détournement), <strong>et</strong> l’appropriationabusive (par les puissances occidentales) sont donc les trois motifs de prise de parole. Tout en le rejoignant sur <strong>la</strong> primautéaujourd’hui accordée à l’ancrage dans l’action, il nous semble que c<strong>et</strong>te présentation cohérente masque <strong>la</strong> complexité des motifsen lien avec <strong>la</strong> violence, que nous avons tenté de m<strong>et</strong>tre au jour tout au long de ce document.37

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