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Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

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vulnérables ou en danger là où nous intervenions : gravité de c<strong>et</strong>te situation, soit nature <strong>et</strong> gravitédes violences <strong>et</strong> de leurs conséquences ; capacité à être opérationnels, c’est-à-dire à prendre encharge ces conséquences ; degré de médiatisation ; degré de proximité entre <strong>la</strong> problématiquecommentée <strong>et</strong> notre action ; qualité des informations <strong>et</strong> éléments factuels possédés ; nature desrapports de force en interne, entre sections ; <strong>et</strong>c ; autre élément d’importance (absent de l’exempleirakien du fait de <strong>la</strong> distance de nos opérations d’avec le théâtre des violences), l’évaluationdes risques pesant sur notre opérationnalité <strong>et</strong> notre sécurité. C’est le poids respectif accordé àchacun de ces éléments qui a probablement changé au sein des arbitrages opérés, d’où <strong>une</strong> évolutiondes prises de parole dont nous avons plus haut évoqué les grandes lignes.Constance des éléments en présence, donc – mais aussi indétermination des réponses à <strong>la</strong> <strong>question</strong>de l’opportunité <strong>et</strong> de <strong>la</strong> façon de parler des situations où nous travaillons : ces débats viennentnous rappeler qu’au-delà des évolutions auparavant soulignées, <strong>la</strong> pratique de <strong>la</strong> prise deparole demeure un lieu où s’expriment les tensions qui traversent l’institution <strong>MSF</strong> <strong>et</strong> les individusen son sein. Ces tensions attestent l’ambivalence existant autour des enjeux de faire savoir,faire pression, décriés en tant qu’objectifs outrepassant notre cadre de légitimité, ou simplementen tant qu’actions inopport<strong>une</strong>s selon le contexte, <strong>et</strong> en même temps défendus comme étant cequi nous préserve de devenir les « auxiliaires » des politiques dont nous prenons en charge lesconséquences. Ambivalence exprimée en entr<strong>et</strong>ien par le président à propos de <strong>la</strong> communicationpublique sur « l’intensité de <strong>la</strong> répression » au Darfour au mois de juin 2004, <strong>et</strong> dont je luidemande de préciser <strong>la</strong> logique 62 :« – (…) On faisait de l’advocacy, comme on dit.– L’objectif de c<strong>et</strong>te ‘advocacy’ c’était quoi ? faire savoir ? créer un débat ? alerter ?– Je ne le vois pas comme ce<strong>la</strong>. Je pense que dans de nombreuses situations, pour pouvoir travaillersur le terrain, ce<strong>la</strong> n’est pas acquis, il faut créer un rapport de force afin que l’action humanitairesoit respectée, qu’elle ne soit pas cooptée, il faut travailler politiquement ton espace de travail,<strong>et</strong> [<strong>la</strong> prise de parole] est l’un des éléments (…) Donc il y a tout un jeu, dans lequel il y ades rapports de force à gérer, <strong>et</strong> parler de ce que tu vois ce<strong>la</strong> en fait partie, je crois que c’est pourne pas se faire coopter sa propre action (…). C’est <strong>une</strong> conséquence, que tu ne dois pas chercherà éviter, de notre déploiement opérationnel. »«Ne pas se faire coopter», ne pas devenir «auxiliaires», faire savoir que l’on sait, créer <strong>une</strong> «tension»perm<strong>et</strong>tant de ne pas « perdre le sens de notre action » 63 , autant de façons de nommer en internel’un des soubassements majeurs de <strong>la</strong> parole (publique ou non) sur des violences : à défaut del’ambition d’agir sur les causes à l’origine des situations que nous prenons en charge, l’exigencede ne pas les oblitérer.« Est-ce que les gens qui sont victimes de violences ont le droit d’aboutir chez toi pour se faire soigner? C’est à travers des <strong>question</strong>s comme celles-ci que tu vas soulever des <strong>question</strong>s qui concernent<strong>la</strong> sécurité / <strong>la</strong> <strong>protection</strong> (…) Le travail d’auxiliaire commence lorsque tu as <strong>une</strong> épidémie decas <strong>et</strong> que tu ne <strong>la</strong> mentionnes pas (…) <strong>une</strong> épidémie de viols par exemple… (…) Quand tu verrouillesc<strong>et</strong> étage-là, celui de ta propre responsabilité, si tu le mesures bien, si tu l’assumes d’<strong>une</strong>manière assez politique, évidemment ce<strong>la</strong> a aussi un impact sur <strong>la</strong> <strong>protection</strong> des popu<strong>la</strong>tions (…)Ton centre de traitement des VVS peut aussi bien servir d’étouffoir à <strong>la</strong> <strong>question</strong> que ce<strong>la</strong> pose dans<strong>la</strong> société, si tu n’es pas un minimum actif sur tes propres prises de position par rapport à ce<strong>la</strong>: estceque tu fais du compassionnel qui perm<strong>et</strong> à <strong>la</strong> société d’oublier les problèmes, est-ce que, si tuvois beaucoup de cas, tu acceptes de décrire un peu les histoires médicales – [auquel cas] immédiatementtu contribues à un débat dans <strong>la</strong> société» (entr<strong>et</strong>ien J-H Bradol)63. Expression utilisée au sein du débat autour de <strong>la</strong> diffusion d’un film sur les dép<strong>la</strong>cés du Darfour à l’automne 2007.62. Prise de parole dont nous avons vu plus haut qu'elle était décrite à distance comme visant à l'augmentation des secours(RM 2004-05).49

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