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Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

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communicante, le témoignage, qui est aujourd’hui dans toutes les bouches <strong>et</strong> jusque dans nos principesd’action. <strong>MSF</strong> informe des situations dans lesquelles il agit, premièrement parce que c’estnotre seule façon de faire soutenir notre action (…) <strong>MSF</strong> alerte des manipu<strong>la</strong>tions <strong>et</strong> dénonce, lorsqu’ilen est le témoin, les vio<strong>la</strong>tions des conventions de Genève <strong>et</strong> autres déc<strong>la</strong>rations dont tous lesEtats ou presque sont signataires, pas pour se dédouaner ni pour geindre de son impuissance maispour les rappeler à leurs obligations respectives. Ne nous enfermons pas dans des mots qui empêchentde penser <strong>et</strong> que nous répétons à l’envi comme : ‘le témoignage fait partie de <strong>la</strong> mission de<strong>MSF</strong>’ (…) » (ibid.)La réitération du caractère non-systématique du témoignage, l’ancrage dans le droit humanitaire(par opposition aux références utilisées les années précédentes), <strong>la</strong> primauté des secours, autantd’éléments qui annoncent les orientations à venir. En ce sens, il est certain que ce que nousavons appelé l’ère de l’interpel<strong>la</strong>tion porte déjà en elle le <strong>question</strong>nement de l’interpel<strong>la</strong>tion.FACE À LA « LOGIQUE D’EXTERMINATION»: L’IMPUISSANCE ENCORELes <strong>question</strong>nements sont démultipliés lors de <strong>la</strong> crise connue sous le nom de «traque des réfugiésrwandais» dans l’est du Zaïre en 1996-97, qui porte en elle l’ensemble des enjeux de responsabilitéface à <strong>la</strong> violence que <strong>MSF</strong> a pu expérimenter jusqu’alors (voir étude de cas).C<strong>et</strong>te crise d’<strong>une</strong> gravité exceptionnelle est pour <strong>MSF</strong> <strong>une</strong> longue expérience de l’impuissance – <strong>et</strong><strong>une</strong> violente expérience du déchirement inter-sections. Elle intervient à l’issue du pourrissement de<strong>la</strong> situation des camps de réfugiés rwandais (ceux-là même que <strong>MSF</strong> avait quittés) lorsque les forcesmilitaires rwandaises <strong>et</strong> <strong>la</strong> rébellion menée par Kabi<strong>la</strong> progressent dans l’est du Zaïre <strong>et</strong> attaquent lescamps l’un après l’autre. La difficulté d’accéder aux réfugiés court tout au long de <strong>la</strong> crise, <strong>et</strong> donnelieu au début de celle-ci au deuxième appel à intervention armée de l’histoire de l’organisation, où estdemandé l’envoi d’<strong>une</strong> force «pour protéger les réfugiés <strong>et</strong> garantir l’accès à l’aide» (novembre 1996).C<strong>et</strong>te intervention n’aura jamais lieu, les puissances politiques opposées à c<strong>et</strong> engagement utilisantle r<strong>et</strong>our au Rwanda d’<strong>une</strong> partie des réfugiés pour affirmer que le chapitre est clos. Mais des centainesde milliers d’autres ne sont pas rentrés. L’histoire est alors celle d’<strong>une</strong> longue série de tentativesd’accéder aux réfugiés qui, lorsqu’elles réussissent, sont au bout du compte marquées par l’échec: soitparce que les efforts pour atteindre ceux d’entre eux cachés dans <strong>la</strong> forêt se r<strong>et</strong>ournent contre eux,en devenant des moyens pour <strong>la</strong> rébellion <strong>et</strong> l’armée rwandaise de les localiser <strong>et</strong> les exécuter; soitparce que les camps qui se créent de facto lorsque des réfugiés se regroupent, <strong>et</strong> où des équipes <strong>MSF</strong>tentent de les «r<strong>et</strong>aper», sont finalement eux aussi attaqués. Dans tous les cas, l’aide devient appât– non plus appât pour dép<strong>la</strong>cer comme en Ethiopie, mais pour tuer. Dans ces conditions, le mêmesouci de sauver le plus de gens possibles va donner lieu à de violents désaccords entre sections autourde l’arbitrage entre présence médicale <strong>et</strong> dénonciation des violences. Pour <strong>MSF</strong>-F, il y a urgence àagir, à faire c<strong>et</strong> ‘autre chose que du soin’, <strong>et</strong> l’association va transgresser tous les « v<strong>et</strong>o sécurité» sur<strong>la</strong> communication publique posés par les autres sections. C<strong>et</strong>te urgence nous semble procéder d’<strong>une</strong>double transgression, celle que constitue l’humanitaire-appât, celle de <strong>la</strong> logique d’élimination:«comment peut-on être convaincu que tout est fait pour liquider les réfugiés <strong>et</strong> y opposer un ‘silent advocacy’?» s’insurge-t-on au CA à propos de <strong>la</strong> stratégie adoptée par <strong>MSF</strong>-Hol<strong>la</strong>nde. Contre c<strong>et</strong>te stratégiede diplomatie silencieuse, <strong>MSF</strong>-F affirme collectivement que «<strong>la</strong> finalité prioritaire de l’action des<strong>MSF</strong>, qui est <strong>une</strong> logique de défense des popu<strong>la</strong>tions en danger, doit guider notre action» (CA avril 1997).C<strong>et</strong>te phrase de combat, émise dans le cadre de <strong>la</strong> dissension inter-sections sur <strong>la</strong> politique de «témoignage»,résume bien <strong>la</strong> façon dont <strong>MSF</strong>-F conçoit sa responsabilité face aux violences dans lecontexte extrême de <strong>la</strong> traque des réfugiés <strong>et</strong> au-delà : il n’y a pas d’un côté le soin <strong>et</strong> de l’autre le27

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