communicante, le témoignage, qui est aujourd’hui dans toutes les bouches <strong>et</strong> jusque dans nos principesd’action. <strong>MSF</strong> informe des situations dans lesquelles il agit, premièrement parce que c’estnotre seule façon de faire soutenir notre action (…) <strong>MSF</strong> alerte des manipu<strong>la</strong>tions <strong>et</strong> dénonce, lorsqu’ilen est le témoin, les vio<strong>la</strong>tions des conventions de Genève <strong>et</strong> autres déc<strong>la</strong>rations dont tous lesEtats ou presque sont signataires, pas pour se dédouaner ni pour geindre de son impuissance maispour les rappeler à leurs obligations respectives. Ne nous enfermons pas dans des mots qui empêchentde penser <strong>et</strong> que nous répétons à l’envi comme : ‘le témoignage fait partie de <strong>la</strong> mission de<strong>MSF</strong>’ (…) » (ibid.)La réitération du caractère non-systématique du témoignage, l’ancrage dans le droit humanitaire(par opposition aux références utilisées les années précédentes), <strong>la</strong> primauté des secours, autantd’éléments qui annoncent les orientations à venir. En ce sens, il est certain que ce que nousavons appelé l’ère de l’interpel<strong>la</strong>tion porte déjà en elle le <strong>question</strong>nement de l’interpel<strong>la</strong>tion.FACE À LA « LOGIQUE D’EXTERMINATION»: L’IMPUISSANCE ENCORELes <strong>question</strong>nements sont démultipliés lors de <strong>la</strong> crise connue sous le nom de «traque des réfugiésrwandais» dans l’est du Zaïre en 1996-97, qui porte en elle l’ensemble des enjeux de responsabilitéface à <strong>la</strong> violence que <strong>MSF</strong> a pu expérimenter jusqu’alors (voir étude de cas).C<strong>et</strong>te crise d’<strong>une</strong> gravité exceptionnelle est pour <strong>MSF</strong> <strong>une</strong> longue expérience de l’impuissance – <strong>et</strong><strong>une</strong> violente expérience du déchirement inter-sections. Elle intervient à l’issue du pourrissement de<strong>la</strong> situation des camps de réfugiés rwandais (ceux-là même que <strong>MSF</strong> avait quittés) lorsque les forcesmilitaires rwandaises <strong>et</strong> <strong>la</strong> rébellion menée par Kabi<strong>la</strong> progressent dans l’est du Zaïre <strong>et</strong> attaquent lescamps l’un après l’autre. La difficulté d’accéder aux réfugiés court tout au long de <strong>la</strong> crise, <strong>et</strong> donnelieu au début de celle-ci au deuxième appel à intervention armée de l’histoire de l’organisation, où estdemandé l’envoi d’<strong>une</strong> force «pour protéger les réfugiés <strong>et</strong> garantir l’accès à l’aide» (novembre 1996).C<strong>et</strong>te intervention n’aura jamais lieu, les puissances politiques opposées à c<strong>et</strong> engagement utilisantle r<strong>et</strong>our au Rwanda d’<strong>une</strong> partie des réfugiés pour affirmer que le chapitre est clos. Mais des centainesde milliers d’autres ne sont pas rentrés. L’histoire est alors celle d’<strong>une</strong> longue série de tentativesd’accéder aux réfugiés qui, lorsqu’elles réussissent, sont au bout du compte marquées par l’échec: soitparce que les efforts pour atteindre ceux d’entre eux cachés dans <strong>la</strong> forêt se r<strong>et</strong>ournent contre eux,en devenant des moyens pour <strong>la</strong> rébellion <strong>et</strong> l’armée rwandaise de les localiser <strong>et</strong> les exécuter; soitparce que les camps qui se créent de facto lorsque des réfugiés se regroupent, <strong>et</strong> où des équipes <strong>MSF</strong>tentent de les «r<strong>et</strong>aper», sont finalement eux aussi attaqués. Dans tous les cas, l’aide devient appât– non plus appât pour dép<strong>la</strong>cer comme en Ethiopie, mais pour tuer. Dans ces conditions, le mêmesouci de sauver le plus de gens possibles va donner lieu à de violents désaccords entre sections autourde l’arbitrage entre présence médicale <strong>et</strong> dénonciation des violences. Pour <strong>MSF</strong>-F, il y a urgence àagir, à faire c<strong>et</strong> ‘autre chose que du soin’, <strong>et</strong> l’association va transgresser tous les « v<strong>et</strong>o sécurité» sur<strong>la</strong> communication publique posés par les autres sections. C<strong>et</strong>te urgence nous semble procéder d’<strong>une</strong>double transgression, celle que constitue l’humanitaire-appât, celle de <strong>la</strong> logique d’élimination:«comment peut-on être convaincu que tout est fait pour liquider les réfugiés <strong>et</strong> y opposer un ‘silent advocacy’?» s’insurge-t-on au CA à propos de <strong>la</strong> stratégie adoptée par <strong>MSF</strong>-Hol<strong>la</strong>nde. Contre c<strong>et</strong>te stratégiede diplomatie silencieuse, <strong>MSF</strong>-F affirme collectivement que «<strong>la</strong> finalité prioritaire de l’action des<strong>MSF</strong>, qui est <strong>une</strong> logique de défense des popu<strong>la</strong>tions en danger, doit guider notre action» (CA avril 1997).C<strong>et</strong>te phrase de combat, émise dans le cadre de <strong>la</strong> dissension inter-sections sur <strong>la</strong> politique de «témoignage»,résume bien <strong>la</strong> façon dont <strong>MSF</strong>-F conçoit sa responsabilité face aux violences dans lecontexte extrême de <strong>la</strong> traque des réfugiés <strong>et</strong> au-delà : il n’y a pas d’un côté le soin <strong>et</strong> de l’autre le27
témoignage, d’un côté l’assistance <strong>et</strong> de l’autre <strong>la</strong> <strong>protection</strong>. Il y a <strong>une</strong> «logique de défense des popu<strong>la</strong>tionsen danger», qui, loin de les opposer, irrigue tant le soin que <strong>la</strong> prise de parole:« Comme vous le savez, nous avons dénoncé c<strong>et</strong>te situation pour tenter de m<strong>et</strong>tre fin à l’abattage<strong>et</strong> attirer l’attention sur le nombre des manquants. Une fois encore, <strong>la</strong> tension entre les sièges de<strong>MSF</strong> a fait le lit d’<strong>une</strong> absurde bataille (…). L’absence de <strong>la</strong> section française en tant que telle surp<strong>la</strong>ce <strong>et</strong> notre attitude en faveur d’<strong>une</strong> dénonciation franche, les risques évoqués par les équipesprésentes ont extrémisé le débat sur le mode ‘parler <strong>et</strong> partir versus rester au prix du silence’. S<strong>et</strong>aire dans de telles conditions est inacceptable car c’est nier les massacres <strong>et</strong> s’en faire les complices.Partir dans ces conditions, c’est condamner ceux qui peuvent être sauvés, c’est sans doute toutaussi insupportable. Comment des choses aussi simples, archi-rabachées, peuvent-elles être remisesen <strong>question</strong> au moment précis où <strong>MSF</strong> peut faire preuve de discernement ? » (RM 1996-97)La virulence <strong>et</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté de c<strong>et</strong>te démonstration ne doivent pas occulter le sentiment très pessimistequi prévaut à l’issue de c<strong>et</strong>te crise. Elle a représenté <strong>une</strong> nouvelle situation-limite, où <strong>la</strong>perte de sens n’est pas loin 34 . Tous les enjeux possibles autour d’<strong>une</strong> responsabilité face à desviolences ont été présents : l’utilisation de l’argument <strong>et</strong> de l’action humanitaires par les Etatspour masquer <strong>la</strong> nature politique de ces crises <strong>et</strong> les responsabilités liées, d’où l’enjeu centralpour <strong>MSF</strong> de faire voir <strong>et</strong> faire savoir ; le r<strong>et</strong>ournement de <strong>la</strong> présence en appât ou son impuissanceà atténuer des violences; le dépassement dans ‘l’appel aux armes’ des limites qu’on s’estfixées à soi-même, suivi de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tivisation de <strong>la</strong> capacité agissante de <strong>la</strong> parole ; <strong>la</strong> précarité de<strong>la</strong> distinction fondatrice entre combattant <strong>et</strong> non-combattant, <strong>la</strong> difficulté à <strong>la</strong> défendre face auxacteurs politiques ; le désarroi de l’humanitaire face à des politiques jusqu’au-boutistes où lespersonnes protégées (civils, réfugiés) sont visées en tant que telles, <strong>et</strong> non plus ‘victimes col<strong>la</strong>térales’de combats ou de stratégies de puissance. A ce titre, le constat de «guerres totales qui nefont pas <strong>la</strong> différence entre combattants <strong>et</strong> popu<strong>la</strong>tions non combattantes », énoncé quelque tempsplus tôt par le président (RM 1994-95), s’est confirmé, <strong>et</strong> explique que c<strong>et</strong>te période voie apparaîtrechez <strong>MSF</strong> <strong>la</strong> figure du «civil » 35 .Au terme des ces trois années, où <strong>MSF</strong> a vécu «<strong>la</strong> confrontation systématique, répétitive <strong>et</strong> durablede l’action humanitaire avec <strong>une</strong> logique particulièrement singulière: <strong>la</strong> logique d’extermination», l<strong>et</strong>on est celui du doute, mais aussi de l’affirmation de <strong>la</strong> nécessité de faire :« Humaniser l’inhumain, est-ce possible ou faut-il y renoncer à priori ? » « Dans ce contexte, nousavons essayé de faire de notre mieux, de faire le moins de mal possible. Nous nous sommes abstenus,nous nous sommes r<strong>et</strong>irés, nous avons dénoncé, nous avons été menacés pour ce<strong>la</strong>, nous noussommes fâchés avec <strong>la</strong> terre entière, le HCR, les autres sections, nous nous sommes fait virer,menacer de mort, nous y sommes restés, nous y sommes revenus, nous avons été à nouveauchassés… »(RM 1996-97)<strong>MSF</strong> n’a pu déployer que des mauvaises solutions, des «solutions du moindre pire » 36 . Qu’il y aitde <strong>la</strong> désillusion, qu’<strong>une</strong> certaine confiance ait été perdue au terme de ces expériences, ce<strong>la</strong> estcertain. Ce sentiment de désillusion indique-t-il pour autant l’existence d’illusions préa<strong>la</strong>bles ?A-t-on cru pouvoir protéger physiquement les habitants de Srebrenica ou les réfugiés du Zaïre ?A-t-on vraiment eu foi en l’existence d’<strong>une</strong> nouvelle ère, celle de <strong>la</strong> communauté internationale ?2834. On peut penser que l’interpel<strong>la</strong>tion <strong>et</strong> <strong>la</strong> dénonciation ont servi d’exutoire face à c<strong>et</strong>te perte de sens. Le cib<strong>la</strong>ge du HCRen particulier, sur <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> crise, a probablement joué ce rôle : <strong>MSF</strong> n’a cessé de l’attaquer pour <strong>la</strong> médiocrité de seschoix, y compris quand il était devenu patent que toutes les solutions étaient désastreuses, c’est-à-dire au moment oùrester <strong>et</strong> être rapatrié apportaient des chances également infimes de survie, <strong>et</strong> où le HCR avait décidé d'accéder au souhaitdes réfugiés, quitte à mourir, de mourir chez eux.35. Ce recours (quasi-nul auparavant) va aller croissant jusqu’à aujourd’hui. Voir en annexe les occurrences du mot «civil» ou«popu<strong>la</strong>tion civile».36. Expression de Ph. Mesnard citée par R. Brauman dans « L’école des dilemmes », article cité, p. 12.
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violer / être exclue par mon mari
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le coordinateur Nord Kivu disait é
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