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Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

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esponsabilités » (CA octobre 1992) ; un rapport établi à partir de témoignages de déportés estpublié fin 1992 : il dénonce <strong>la</strong> «purification <strong>et</strong>hnique » <strong>et</strong> avance à son propos <strong>la</strong> notion de «crimecontre l’humanité ». Des articles publiés dans des revues perm<strong>et</strong>tent d’aller plus loin en fustigeant« l’inaction », le « manque de volonté », « l’impuissance » qui caractérisent <strong>la</strong> politique de <strong>la</strong>communauté internationale 23 , ou en requalifiant <strong>la</strong> «force ‘dite de <strong>protection</strong>’ » : « si les mots avaientun sens, <strong>la</strong> ‘force de <strong>protection</strong> des Nations unies’ devrait être rebaptisée ‘force d’observation de <strong>la</strong>purification <strong>et</strong>hnique’ » 24 – où l’« humanitaire-spectacle » deviendrait <strong>la</strong> nouvelle façon de <strong>la</strong>isserfaire les crimes à l’ère de <strong>la</strong> communauté internationale. Lors des débats internes, c’est l’hypocrisiede c<strong>et</strong>te politique de l’humanitaire-alibi <strong>et</strong> l’absurde auquel elle mène qui font l’obj<strong>et</strong> des plusvives critiques : <strong>la</strong> situation des civils internés ne pouvant être libérés faute de pays d’accueil est« inacceptable <strong>et</strong> absurde » (CA octobre 1992), « l’humanitaire d’Etat ne fait que travestir l’épuration<strong>et</strong>hnique <strong>et</strong> se substitue à <strong>une</strong> prise de responsabilité politique » <strong>et</strong> l’absence de <strong>MSF</strong>-F en Bosnieest à lire comme <strong>une</strong> « critique de l’aide humanitaire à des popu<strong>la</strong>tions en danger de mort » (débatau CA de janvier 1993). C<strong>et</strong>te perception d’un non-sens, d’un caractère dérisoire de l’action noussemble ici à m<strong>et</strong>tre en lien avec l’intentionnalité perçue du processus violent 25 . De façonsignificative, le mot de « limites » fait son apparition dans plusieurs débats, soit que l’on affirmeque l’humanitaire a « atteint ses limites », perdu son sens, n’étant pas <strong>une</strong> vraie réponse à ce quedemande <strong>la</strong> situation, soit pour souligner à l’inverse – ce que fait R. Brauman alors président –que c<strong>et</strong>te <strong>question</strong> de l’humanitaire «confronté à ses limites » n’est pas spécifique à <strong>la</strong> Bosnie (CAaoût, décembre 1992). Par <strong>la</strong> suite, le maniement de <strong>la</strong> notion de limite (à se donner, à accepter,à repousser) ne cessera d’irriguer <strong>la</strong> réflexion des dirigeants <strong>MSF</strong> sur le cadre <strong>et</strong> le sens de l’action.Ainsi, quelques années après <strong>la</strong> chute du Mur <strong>et</strong> peu avant 1994 <strong>et</strong> le génocide au Rwanda, lediscours de <strong>MSF</strong> sur le rôle de <strong>la</strong> communauté internationale face aux violences adopte déjà l<strong>et</strong>on de <strong>la</strong> désillusion, ou du moins du scepticisme: « ces interventions paradoxales qui se donnentdes moyens militaires pour atteindre des objectifs humanitaires n’annoncent pas l’avènement d’unnouvel ordre mondial où <strong>la</strong> communauté internationale se mobiliserait pour m<strong>et</strong>tre fin aux exactions<strong>et</strong> secourir les victimes… »«Le temps n’est plus où l’intervention en faveur des Kurdes était célébréecomme <strong>la</strong> promesse que les exactions (…) ne seraient plus tolérées… ». Ce discours critique s’appuiesur le constat que par ailleurs, <strong>la</strong> plupart des pays où intervient <strong>MSF</strong> demeurent «abandonnés àdes conflits meurtriers <strong>et</strong> leurs popu<strong>la</strong>tions sont victimes d’exactions massives dans l’indifférencegénérale » 26 . Le rôle de témoin assurant présence <strong>et</strong> regard dans les conflits est donc loin d’avoirdisparu – il s’est démultiplié avec l’investissement de terrains de plus en plus nombreux, duSoudan à l’Afghanistan <strong>et</strong> du Libéria à l’Ango<strong>la</strong>. Le « maintien du cadre d’intervention <strong>et</strong> des priorités,c’est-à-dire l’accent mis sur les crises <strong>et</strong> les urgences» (RM 1992-93) situe <strong>MSF</strong> plus que jamais aucœur des enjeux d’accès de l’aide <strong>et</strong> de «témoignage » face aux violences : à côté du «point fortde l’année » que constituent « les témoignages de dénonciation » (sur <strong>la</strong> Bosnie par exemple), <strong>la</strong>« campagne contre les exactions » au Soudan ou encore le «témoignage à huis-clos » sur les Royingasen Birmanie sont quelques uns des exemples de ce rôle de sensibilisation que continue de sedonner <strong>MSF</strong> face à des violences le plus souvent négligées.2223. Voir Popu<strong>la</strong>tions en danger 1993, op.cit., p 129-132.24. R. Brauman, « Un général au balcon », Le Monde, 3 avril 1993.25. Il nous semble que du fait de c<strong>et</strong>te perception, le sentiment d’intolérable y est beaucoup plus intense que dans descrises pourtant plus meurtrières. L’usage généralisé de l’expression de «purification <strong>et</strong>hnique» n’est probablement pasétranger à c<strong>et</strong>te perception. Ainsi que le montre A. Krieg-P<strong>la</strong>nque, <strong>la</strong> mise en avant <strong>et</strong> le ‘succès’ mêmes de l’expressionsont à m<strong>et</strong>tre en lien avec <strong>la</strong> charge d’intentionnalité qu’elle porte en elle. Voir A. Krieg-P<strong>la</strong>nque, « L’intentionnalité del’action mise en discours », in Crises extrêmes, op.cit., p.88-102.26. Popu<strong>la</strong>tions en danger 1993, op.cit., p 29, 35 <strong>et</strong> 36.

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