l’origine pour aider les Somaliens en fassent maintenant des victimes ?» (CA juin 1993), se demand<strong>et</strong>-onen interne. A l’externe, le réquisitoire est sans appel <strong>et</strong> souligne que « pour <strong>la</strong> première fois, enSomalie, on a tué sous <strong>la</strong> bannière de l’humanitaire» 21 .Que des civils soient tués au nom de l’humanitaireest un r<strong>et</strong>ournement aberrant, inacceptable: « on a vu sous l’étendard de <strong>la</strong> solidarité, des droits del’homme, de l’aide humanitaire, des hélicoptères de combat attaquer des manifestations (…) Les forcesde maintien de <strong>la</strong> paix, les forces militaro-humanitaires sont-elles, oui ou non, tenues de respecter lesprincipes du droit humanitaire ?» (RM 1993-94). C<strong>et</strong>te mention des « principes du droit humanitaire»est l’<strong>une</strong> des premières occurrences de <strong>la</strong> notion juridique de «<strong>protection</strong> des civils». De façon significative,elle intervient précisément à propos d’<strong>une</strong> intervention conduite par des Occidentaux; c’est souventdans de telles configurations qu’elle sera mobilisée par <strong>la</strong> suite.En somme, ces deux moments de défense du champ de l’humanitaire impartial par <strong>MSF</strong> sedéploient en <strong>une</strong> critique de l’humanitaire-secours oublieux de l’exigence de <strong>la</strong> <strong>protection</strong> (compriseici comme souci de <strong>la</strong> sécurité des gens, de leur vulnérabilité) <strong>et</strong> en <strong>une</strong> requalification des forces« militaro-humanitaires » comme belligérants (tenus de respecter le DIH). Ce faisant, ils suscitentde fait <strong>une</strong> (ré)affirmation de <strong>la</strong> référence juridique de <strong>la</strong> «<strong>protection</strong> des civils », du droithumanitaire, au moment où <strong>la</strong> confusion règne <strong>et</strong> où <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rification s’impose: «faut-il faire desdistinctions entre ce qui est de l’ordre de l’humanitaire, de l’intérêt général, de l’utilité sociale, de <strong>la</strong>défense des droits de l’homme ? Je crois que c’est nécessaire (…) dans un souci de cohérence, de c<strong>la</strong>rificationminimum ». Contrairement aux Etats qui défendent des intérêts particuliers, «<strong>la</strong> base denotre démarche, c’est l’éthique » (RM 1990-91).«<strong>MSF</strong> DEMANDE AUX GOUVERNEMENTS DE PRENDRE LEURS RESPONSABILITÉS»Si c<strong>et</strong> enjeu de défense du champ identifié à propos du Kurdistan <strong>et</strong> de <strong>la</strong> Somalie n’est pasabsent dans <strong>la</strong> critique de « l’humanitaire-alibi » déployé par <strong>la</strong> communauté internationale enBosnie, il n’est pourtant pas moteur ; il s’agit avant tout de dénoncer <strong>la</strong> démission du politique.Confrontée à <strong>une</strong> guerre de « purification <strong>et</strong>hnique » sur le sol européen, <strong>MSF</strong> va m<strong>et</strong>tre en œuvredes actions de secours auprès des dép<strong>la</strong>cés <strong>et</strong> des internés civils bosniaques. De nombreux <strong>question</strong>nementsr<strong>et</strong>ardent d’abord c<strong>et</strong>te décision d’intervention, notamment <strong>la</strong> répugnance à être le« service après-vente de <strong>la</strong> purification <strong>et</strong>hnique » en distribuant des secours en aval des dép<strong>la</strong>cements(choix pourtant préférable à <strong>une</strong> assistance sur les lieux de violence en amont), ou encoreà être partie prenante de l’internement de civils en travail<strong>la</strong>nt dans les camps où pour commencerils n’auraient jamais dû se trouver – en somme, <strong>la</strong> difficulté c<strong>la</strong>ssique à intervenir en aval deviolences que d’autres auraient pu empêcher. Mais c’est encore <strong>la</strong> captation de l’humanitaire parles Etats qui suscite les plus grandes réticences à s’engager 22 . Une fois <strong>la</strong> présence établie (<strong>et</strong>assumée : <strong>MSF</strong> remplit son rôle, ce sont les Etats qui ne le font pas), ces deux séries de réticencesse muent en indignation. D’où des interpel<strong>la</strong>tions répétées des autorités politiques <strong>et</strong> desdénonciations multiples de l’utilisation de l’«humanitaire-alibi », qui se posent comme les deuxfac<strong>et</strong>tes d’<strong>une</strong> même responsabilité de <strong>MSF</strong> face à <strong>la</strong> situation faite aux Musulmans de Bosnie.Le discours externe de <strong>MSF</strong> est ouvertement un appel à <strong>la</strong> <strong>protection</strong> comme appel auxpolitiques : plusieurs communiqués de <strong>MSF</strong> «demande[nt] aux gouvernements de prendre leurs21. R. Brauman, Le crime humanitaire, Paris, Arléa, 1993 (également disponible sur le site www.msf.fr. ; <strong>la</strong> citation se trouve p.13du document pdf)22. «Tout au long de l’année, nous avons tergiversé sur notre engagement en Bosnie» du fait du «ma<strong>la</strong>ise que nous éprouvions devantl’utilisation de l’humanitaire» (RM 1992-93).21
esponsabilités » (CA octobre 1992) ; un rapport établi à partir de témoignages de déportés estpublié fin 1992 : il dénonce <strong>la</strong> «purification <strong>et</strong>hnique » <strong>et</strong> avance à son propos <strong>la</strong> notion de «crimecontre l’humanité ». Des articles publiés dans des revues perm<strong>et</strong>tent d’aller plus loin en fustigeant« l’inaction », le « manque de volonté », « l’impuissance » qui caractérisent <strong>la</strong> politique de <strong>la</strong>communauté internationale 23 , ou en requalifiant <strong>la</strong> «force ‘dite de <strong>protection</strong>’ » : « si les mots avaientun sens, <strong>la</strong> ‘force de <strong>protection</strong> des Nations unies’ devrait être rebaptisée ‘force d’observation de <strong>la</strong>purification <strong>et</strong>hnique’ » 24 – où l’« humanitaire-spectacle » deviendrait <strong>la</strong> nouvelle façon de <strong>la</strong>isserfaire les crimes à l’ère de <strong>la</strong> communauté internationale. Lors des débats internes, c’est l’hypocrisiede c<strong>et</strong>te politique de l’humanitaire-alibi <strong>et</strong> l’absurde auquel elle mène qui font l’obj<strong>et</strong> des plusvives critiques : <strong>la</strong> situation des civils internés ne pouvant être libérés faute de pays d’accueil est« inacceptable <strong>et</strong> absurde » (CA octobre 1992), « l’humanitaire d’Etat ne fait que travestir l’épuration<strong>et</strong>hnique <strong>et</strong> se substitue à <strong>une</strong> prise de responsabilité politique » <strong>et</strong> l’absence de <strong>MSF</strong>-F en Bosnieest à lire comme <strong>une</strong> « critique de l’aide humanitaire à des popu<strong>la</strong>tions en danger de mort » (débatau CA de janvier 1993). C<strong>et</strong>te perception d’un non-sens, d’un caractère dérisoire de l’action noussemble ici à m<strong>et</strong>tre en lien avec l’intentionnalité perçue du processus violent 25 . De façonsignificative, le mot de « limites » fait son apparition dans plusieurs débats, soit que l’on affirmeque l’humanitaire a « atteint ses limites », perdu son sens, n’étant pas <strong>une</strong> vraie réponse à ce quedemande <strong>la</strong> situation, soit pour souligner à l’inverse – ce que fait R. Brauman alors président –que c<strong>et</strong>te <strong>question</strong> de l’humanitaire «confronté à ses limites » n’est pas spécifique à <strong>la</strong> Bosnie (CAaoût, décembre 1992). Par <strong>la</strong> suite, le maniement de <strong>la</strong> notion de limite (à se donner, à accepter,à repousser) ne cessera d’irriguer <strong>la</strong> réflexion des dirigeants <strong>MSF</strong> sur le cadre <strong>et</strong> le sens de l’action.Ainsi, quelques années après <strong>la</strong> chute du Mur <strong>et</strong> peu avant 1994 <strong>et</strong> le génocide au Rwanda, lediscours de <strong>MSF</strong> sur le rôle de <strong>la</strong> communauté internationale face aux violences adopte déjà l<strong>et</strong>on de <strong>la</strong> désillusion, ou du moins du scepticisme: « ces interventions paradoxales qui se donnentdes moyens militaires pour atteindre des objectifs humanitaires n’annoncent pas l’avènement d’unnouvel ordre mondial où <strong>la</strong> communauté internationale se mobiliserait pour m<strong>et</strong>tre fin aux exactions<strong>et</strong> secourir les victimes… »«Le temps n’est plus où l’intervention en faveur des Kurdes était célébréecomme <strong>la</strong> promesse que les exactions (…) ne seraient plus tolérées… ». Ce discours critique s’appuiesur le constat que par ailleurs, <strong>la</strong> plupart des pays où intervient <strong>MSF</strong> demeurent «abandonnés àdes conflits meurtriers <strong>et</strong> leurs popu<strong>la</strong>tions sont victimes d’exactions massives dans l’indifférencegénérale » 26 . Le rôle de témoin assurant présence <strong>et</strong> regard dans les conflits est donc loin d’avoirdisparu – il s’est démultiplié avec l’investissement de terrains de plus en plus nombreux, duSoudan à l’Afghanistan <strong>et</strong> du Libéria à l’Ango<strong>la</strong>. Le « maintien du cadre d’intervention <strong>et</strong> des priorités,c’est-à-dire l’accent mis sur les crises <strong>et</strong> les urgences» (RM 1992-93) situe <strong>MSF</strong> plus que jamais aucœur des enjeux d’accès de l’aide <strong>et</strong> de «témoignage » face aux violences : à côté du «point fortde l’année » que constituent « les témoignages de dénonciation » (sur <strong>la</strong> Bosnie par exemple), <strong>la</strong>« campagne contre les exactions » au Soudan ou encore le «témoignage à huis-clos » sur les Royingasen Birmanie sont quelques uns des exemples de ce rôle de sensibilisation que continue de sedonner <strong>MSF</strong> face à des violences le plus souvent négligées.2223. Voir Popu<strong>la</strong>tions en danger 1993, op.cit., p 129-132.24. R. Brauman, « Un général au balcon », Le Monde, 3 avril 1993.25. Il nous semble que du fait de c<strong>et</strong>te perception, le sentiment d’intolérable y est beaucoup plus intense que dans descrises pourtant plus meurtrières. L’usage généralisé de l’expression de «purification <strong>et</strong>hnique» n’est probablement pasétranger à c<strong>et</strong>te perception. Ainsi que le montre A. Krieg-P<strong>la</strong>nque, <strong>la</strong> mise en avant <strong>et</strong> le ‘succès’ mêmes de l’expressionsont à m<strong>et</strong>tre en lien avec <strong>la</strong> charge d’intentionnalité qu’elle porte en elle. Voir A. Krieg-P<strong>la</strong>nque, « L’intentionnalité del’action mise en discours », in Crises extrêmes, op.cit., p.88-102.26. Popu<strong>la</strong>tions en danger 1993, op.cit., p 29, 35 <strong>et</strong> 36.
- Page 1 and 2: LES CAHIERS DU CRASHMSF ET LA PROTE
- Page 3 and 4: DANS LA COLLECTIONDES CAHIERS DU CR
- Page 5 and 6: RemerciementsJe tiens à remercier
- Page 7 and 8: ANNEXESANNEXE 1: 53Etude de cas - T
- Page 9 and 10: Variété des registres d’abord :
- Page 11 and 12: négatives, indiquant l’ambivalen
- Page 14 and 15: I - L’ÈRE DU TÉMOIN - SENTINELL
- Page 16 and 17: Il n’est pourtant pas certain que
- Page 18: Dureté des faits du côté des ré
- Page 21: Pendant cette période, MSF prend d
- Page 25 and 26: la protection des populations civil
- Page 27 and 28: Ces deux événements uniques, cibl
- Page 29 and 30: témoignage, d’un côté l’assi
- Page 31 and 32: 30valeur encore accordée à la pr
- Page 33 and 34: Conséquence de cette volonté de r
- Page 35 and 36: impose un démarquage mais n’a pa
- Page 37 and 38: (RM 1999-2000). Un questionnement r
- Page 39 and 40: Par suite, chez la majorité de ceu
- Page 41 and 42: les plus instables en leur sein, ce
- Page 43 and 44: des hommes en armes pénétrèrent
- Page 45 and 46: De façon similaire, l’idée qu
- Page 47 and 48: personnes ne pouvant rentrer chez e
- Page 49 and 50: et visée «de protection». La mis
- Page 51 and 52: Fruit d’arbitrages complexes, d
- Page 53 and 54: cet espace qui devient parfois celu
- Page 55 and 56: PROLOGUE - 1996, AVANT L’AVANCEE
- Page 57 and 58: PROLOGUE - 1996, AVANT L’AVANCÉE
- Page 59 and 60: les violences sont évoquées en fi
- Page 61 and 62: - Alors que la pression des ONG (et
- Page 63 and 64: autres occasions : d’une part, l
- Page 65 and 66: ou produites): la moindre évidence
- Page 67 and 68: il a failli) : «face à ce bilan p
- Page 69 and 70: détourné : « Deux jours plus tar
- Page 71 and 72: éfugiés ont à dire» «MSF n’a
- Page 73 and 74:
éléments objectifs, validés. La
- Page 75 and 76:
La tension entre présence et parol
- Page 77 and 78:
l’apogée des tensions inter-sect
- Page 79 and 80:
et les limites du processus de rapa
- Page 81 and 82:
EPILOGUEDE LA CONSOLIDATION DES INF
- Page 84 and 85:
ANNEXE N ° 2 / ÉTUDEDECASINTERVEN
- Page 86 and 87:
Comme dans le document sur la « Tr
- Page 88 and 89:
d’assistance dans les villages pr
- Page 90 and 91:
MORNAY, AU CŒUR DES VIOLENCES, UNE
- Page 92 and 93:
Cet appel à prendre ses responsabi
- Page 94 and 95:
C’est ensuite autour du poids res
- Page 96 and 97:
déplacés fuient les «attaques de
- Page 98 and 99:
importants. Selon leur conception d
- Page 100 and 101:
embarrassante (celle par les tenant
- Page 102 and 103:
de leur impact sur la population ;
- Page 104 and 105:
(p.57-60). La question a donc été
- Page 106 and 107:
situation. Nous prolongerons les re
- Page 108 and 109:
LE DÉBAT AUTOUR DES VICTIMES PRIOR
- Page 110 and 111:
ANNEXE N ° 3 / ÉTUDEDECASPRISE EN
- Page 112 and 113:
La présente étude de cas porte su
- Page 114 and 115:
Promesses non tenues - un semblant
- Page 116 and 117:
logistique. Le projet Kayna, dont l
- Page 118 and 119:
part, en dehors de ces moments sail
- Page 120 and 121:
2 - ACTES, PRATIQUES, AUTOUR DE / F
- Page 122 and 123:
violer / être exclue par mon mari
- Page 124 and 125:
Concrètement, nous parlons ici de
- Page 126 and 127:
collective », de sensibiliser diff
- Page 128 and 129:
à des appels : le 12 mai, Oxfam ap
- Page 130 and 131:
éclairer la suite. Il nous semble
- Page 132 and 133:
A chaque fois, ils voient mal quell
- Page 134 and 135:
le coordinateur Nord Kivu disait é
- Page 136 and 137:
ANNEXE N ° 4OCCURRENCES DE MOTS-CL
- Page 138 and 139:
le problème réel n’est pas celu
- Page 140 and 141:
CA 2 mars 2001 :Guinée-Sierra Leon
- Page 142 and 143:
faut dénoncer les atteintes au dro
- Page 144 and 145:
coller le plus possible au médical
- Page 146 and 147:
OCCURRENCES DU MOT «CIVILS / POPUL
- Page 148 and 149:
RM 2000-2001 :« L’intervention m