LE DÉBAT AUTOUR DES VICTIMES PRIORITAIRES, UN DÉBAT SUR LES PERSONNES « PROTÉGÉES» ? -FIN 2006…En novembre 2006, lors de <strong>la</strong> mise à p<strong>la</strong>t Soudan/Darfour, à Paris, un intense débat se fait jourautour de l’opportunité <strong>et</strong> des modalités du maintien d’<strong>une</strong> équipe expatriée stable en zonerebelle, à Kutrum.Dans ce débat, tous sont d’accord sur <strong>la</strong> faible pertinence de cliniques mobiles en zone rebelle(surnommées «campagnes de communication médicalisées» ou «distributions festives de médicaments»108 ); c’est à partir de ce constat que le positionnement d’<strong>une</strong> équipe permanente avait étédécidé, un an plus tôt, lors de <strong>la</strong> mise à p<strong>la</strong>t de fin 2005. Si c<strong>et</strong>te présence permanente n’est pas remiseen <strong>question</strong>, c’est en revanche le degré d’investissement de moyens qui fait débat entre le desk <strong>et</strong> l’exchefde mission. Un débat qui conduit celui-ci à <strong>une</strong> réflexion plus générale sur les raisons qui ontprésidé aux choix opérationnels (en tant que choix de victimes) de <strong>MSF</strong> au Darfour depuis le début,<strong>et</strong> leur évolution, présentée dans l’article «Qui sont les victimes prioritaires ?» qui circule <strong>la</strong>rgement <strong>et</strong>est utilisé comme base de discussion lors de formations internes.En conclusion, le papier p<strong>la</strong>ide pour « l’investissement de moyens importants à Kutrum » :« Là où <strong>la</strong> plupart des ONG sou<strong>la</strong>geaient leur sentiment d’impuissance face au drame politique quiengloutit les Darfouriens en adoptant <strong>une</strong> rhétorique paternaliste appe<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> communauté internationaleà se mobiliser au nom de <strong>la</strong> « responsabilité de protéger », nous apportions <strong>une</strong> aide concrète<strong>et</strong> respectueuse de notre raison d’être – des soins – à ceux qui assuraient efficacement <strong>la</strong> <strong>protection</strong>physique des derniers vil<strong>la</strong>ges Four encore debout. C’est l’<strong>une</strong> des raisons qui me pousse à militeractivement pour <strong>une</strong> réflexion approfondie sur les soins chirurgicaux que nous pouvons apporter auxblessés de guerre en zone rebelle (faire de <strong>la</strong> « <strong>protection</strong> », en quelque sorte !) ». C<strong>et</strong> extrait, qui n’estpas révé<strong>la</strong>teur de l’intégralité des arguments développés dans le texte, nous intéresse en ce qu’ilsouligne (en les utilisant) les ambiguïtés des usages du terme de «<strong>protection</strong> » dans leur articu<strong>la</strong>tionavec l’action médicale. Il récuse d’abord <strong>la</strong> validité de <strong>la</strong> « <strong>protection</strong> » à <strong>la</strong>quelle se réfèrentdivers acteurs internationaux, qui n’est en somme qu’un discours politique. A ce discours, iloppose <strong>la</strong> légitimité de l’action concrète envers des victimes particulières (les popu<strong>la</strong>tions négligéesdu Djebel Mara), qui est argumentée sur le terrain de <strong>la</strong> <strong>protection</strong> au sens du DIH, puisqu’ils’agirait de « faire de <strong>la</strong> <strong>protection</strong> » envers des blessés de guerre (personnes protégées s’ilen est, <strong>et</strong> ‘bonnes victimes’ pour <strong>MSF</strong>).Les blessés de guerre sont de fait présents dans les enjeux entourant le proj<strong>et</strong> de Kutrum lorsde <strong>la</strong> mise à p<strong>la</strong>t, comme ils se sont trouvés au cœur de débats précédents entre desk <strong>et</strong> personnesde r<strong>et</strong>our du terrain. Ainsi lors de son débriefing en juin 2006, le RT Niertiti mentionne queKutrum a été mis en p<strong>la</strong>ce pour <strong>la</strong> prise en charge des blessés de guerre. Le desk conteste : leproj<strong>et</strong> vise à améliorer l’accès aux soins pour des gens incapables de rejoindre Niertiti. Le RTinsiste, avançant que les blessés sont <strong>la</strong> raison d’être du proj<strong>et</strong> ; le desk ramène le débat sur Niertiti,dont <strong>la</strong> raison d’être est <strong>la</strong> présence des dép<strong>la</strong>cés, tandis qu’à Kutrum on n’a pas les moyens(<strong>et</strong> on ne se les donne pas) de faire de <strong>la</strong> chirurgie en permanence. Interrogé, le RT confirmeque « quand il y a un blessé (par balle) alors ‘on est en plein dedans’… On a traversé le Djebel enmul<strong>et</strong> pour aller voir ces blessés ! c’était évident qu’il fal<strong>la</strong>it y aller: ça correspond à l’image que tute fais de <strong>MSF</strong> (…) » Il précise que le coordinateur d’urgence « était à fond pour y aller, très content108. F. Weissman, Qui sont les victimes prioritaires ?, document interne <strong>MSF</strong>, p.8.107
(on était en plein dans ce qu’on est, notre responsabilité). …». Et conclut : « Chaque fois qu’il y a eudes blessés on y est allés. J’ai travaillé à fond dans ce sens-là » (entr<strong>et</strong>ien).Les blessés de guerre nous rappellent que le débat autour des «victimes prioritaires », même s’i<strong>la</strong> pour obj<strong>et</strong> <strong>la</strong> délivrance de soins, s’inscrit dans l’infinie discussion sur le contenu de ce ‘cœurde métier’ <strong>MSF</strong> qu’est <strong>la</strong> guerre – <strong>question</strong>nement autour de <strong>la</strong> vulnérabilité, des vulnérabilitésidentifiées comme pertinentes à prendre en charge pour <strong>MSF</strong>, mais aussi de <strong>la</strong> pertinence politiquedes choix opérés. Blessés de guerre contre femmes <strong>et</strong> enfants, dép<strong>la</strong>cés <strong>et</strong>/ou rebelles isolés,popu<strong>la</strong>tions « sacrifiées » ou menacées, victimes de violence sexuelles versus victimes de ma<strong>la</strong>die,c<strong>et</strong>te ‘lutte de c<strong>la</strong>ssements’ autour des victimes prioritaires <strong>et</strong> victimes secondaires m<strong>et</strong> bien entension différentes catégories de «personnes protégées » (au sens du DIH). Le débat de <strong>la</strong> mise àp<strong>la</strong>t a sûrement ouvert un espace de réflexion perçu comme nécessaire (<strong>la</strong> reconduction duthème à différentes occasions l’atteste) sur les arbitrages entre ces victimes – où peut être <strong>question</strong>née<strong>la</strong> légitimité évidente de certaines victimes <strong>et</strong> l’attention insuffisante à d’autres. Ainsi,sans jamais recourir à <strong>la</strong> <strong>protection</strong> <strong>et</strong> au DIH comme références, <strong>MSF</strong> s’inscrit pourtant dansun cadre qui leur est lié, où l’action est pensée, au moins en partie, en fonction d’<strong>une</strong> appréciationde différents degrés de vulnérabilité.*****La responsabilité que se donne <strong>MSF</strong> face aux violences dans le cadre de <strong>la</strong> crise du Darfour,on le voit ici encore, ne recouvre jamais un champ pré-défini qui existerait à côté du soin, ni <strong>une</strong>nsemble pré-défini d’actions qui en soi relèveraient de <strong>la</strong> « <strong>protection</strong> ».Ce que l’on fait ou ne fait pas, ce à quoi on appelle, ce que l’on dit ou dénonce ou s’abstient dedénoncer, ne peut être compris qu’à l’a<strong>une</strong> du calcul où intervient l’évaluation re<strong>la</strong>tive <strong>et</strong> variabledes besoins vitaux, de leur couverture, du degré de violence, des stratégies des acteurs deviolence, du (des) rôle(s) qu’y jouent les secours, de <strong>la</strong> publicité de <strong>la</strong> crise <strong>et</strong> de l’opportunitéde l’augmenter, des discours environnants <strong>et</strong> de leur impact sur les opérations de secours, <strong>et</strong>c.En particulier, au sein d’<strong>une</strong> crise abondamment pensée <strong>et</strong> décrite à l’a<strong>une</strong> de <strong>la</strong> catégorie de <strong>la</strong>« responsabilité de protéger », le démarquage de <strong>MSF</strong> est patent <strong>et</strong> durable. Et l’assistance, le soindemeurent l’axe autour duquel s’organisent les arbitrages – contre <strong>une</strong> logique que l’on a puqualifier, il y a dix ans, de « défense des popu<strong>la</strong>tions en danger»… contre c<strong>et</strong>te logique, tout contre 109 ?Le débat sur les « victimes prioritaires » vient opportunément rappeler que si <strong>MSF</strong> s’écarte duchamp sémantique de <strong>la</strong> <strong>protection</strong> <strong>et</strong> promeut son identité de secouriste, il serait illusoire decroire qu’<strong>une</strong> pure logique de soin soit au principe des responsabilités qu’elle se donne <strong>et</strong> présideaux arbitrages qu’elle opère.108109. Cf l’article de D. Fassin, « Les ONG contre l’Etat, tout contre », in Politique non gouvernementale, Vacarme n°34, hiver2005-06.
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