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Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

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Certes non. Mais l’on a cru bon de tenter d’influer, de peser sur elle. Les années 1990-1997 sontindéniablement celles au cours desquelles l’idée d’<strong>une</strong> capacité à modifier le cours des choses, àavoir l’impact souhaité, est progressivement re<strong>la</strong>tivisée, contribuant à l’adoption d’<strong>une</strong> postureplus réservée.Pour autant, il faut le noter, ces années n’invalident pas <strong>la</strong> valeur accordée à <strong>la</strong> présence – <strong>une</strong>valeur alliant solidarité, statut de témoin, <strong>et</strong> action médicale, que l’on r<strong>et</strong>rouve exprimée à denombreuses reprises :Irak : « 33 personnes actuellement (…) c’est <strong>une</strong> présence médicale <strong>et</strong> politique » (CA août 1991).Ex-Yougos<strong>la</strong>vie : « ces actions présentent un grand intérêt en termes de présence <strong>et</strong> de solidarité »« <strong>la</strong> présence à Karlovac perm<strong>et</strong> d’avoir un regard sur <strong>la</strong> situation » (CA juin 1993). Rwanda : « onne peut <strong>la</strong>isser le pays sans présence étrangère » (CA mai 1994). Burundi : « en 1994, les équipesavaient augmenté jusqu’à 24-25 personnes (…) L’utilité ne doit pas être définie en termes techniques,il n’y a pas d’urgence médicale mais il y a <strong>une</strong> popu<strong>la</strong>tion en danger (…) Il faut néanmoins mesurer<strong>la</strong> fausse sécurité que l’on pourrait donner aux gens » (CA juin 1995). Réfugiés afghans en Iran :« on peut penser que quand il y a <strong>une</strong> présence c’est mieux. On verra par exemple si ce<strong>la</strong> vaut <strong>la</strong>peine de passer des informations au HCR » (CA novembre 1995). Grands Lacs : « seule <strong>une</strong> présenc<strong>et</strong>erre à terre, prolongée, souple, mais politiquement avisée, perm<strong>et</strong>tra de continuer à faire valoir lesort des popu<strong>la</strong>tions » (CA décembre 1996). Burundi : « on n’envisage pas de tout fermer, parceque notre présence de médecins <strong>et</strong> aussi de témoins est indispensable » (CA février 1997).«NE PAS ÊTRE LES MÉDECINS DOCILES D’UN CENTRE DE DÉTENTION»: DILEMMES FAMILIERSAvant de clore ce que nous avons appelé l’ère de l’interpel<strong>la</strong>tion, il convient de mentionnerpour mémoire que <strong>MSF</strong> s’est aussi trouvée confrontée pendant ces années, à côté des logiquesde violence extrême, à <strong>la</strong> logique de politiques oppressives dans le cadre de régimes autoritaires.Ainsi, au Mozambique en 1991 où, au fur <strong>et</strong> à mesure qu’elle récupère des territoires, l’arméeen regroupe les popu<strong>la</strong>tions dans des camps où <strong>la</strong> mortalité est très importante <strong>et</strong> qui sontutilisés pour appâter les agences d’aide internationale : « l’aide est indispensable étant donné <strong>la</strong>famine qui règne, mais c<strong>et</strong>te aide participe à faire tourner <strong>la</strong> machine infernale conduisant des milliersde gens à <strong>la</strong> famine <strong>et</strong> à <strong>la</strong> mort». Après débat, il est décidé de « continuer <strong>une</strong> aide de toute façonindispensable. Mais, dans le même temps, de dénoncer c<strong>et</strong>te situation, en particulier d’exiger <strong>la</strong> librecircu<strong>la</strong>tion des personnes, <strong>la</strong> liberté de résidence, <strong>la</strong> possibilité de conduire des évaluations… » (CAmars 1991). Au Rwanda, après le génocide, <strong>MSF</strong> décide de dénoncer <strong>la</strong> situation catastrophiquedans les prisons, ce qui contribuera à son expulsion: « pour ne pas se trouver en tant qu’organisationhumanitaire au service de <strong>la</strong> répression <strong>et</strong> de <strong>la</strong> discrimination, pour ne pas être les médecinsdociles d’un centre de détention où les conditions de vie seules étaient responsables en l’espace de neufmois de <strong>la</strong> mort d’un prisonnier sur huit, <strong>MSF</strong> a simplement fait son travail» (RM 1995-96). EnCorée, le débat entre ceux qui considèrent que « <strong>MSF</strong> va traiter avec des preneurs d’otages » <strong>et</strong>ceux qui pensent que « derrière ce régime il y a des popu<strong>la</strong>tions » (CA mai 1996) est d’abord tranchédans le sens de tenter <strong>une</strong> action ; au cours de celle-ci, le constat qu’il est impossible desavoir si l’aide est utile à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, <strong>et</strong> qu’en revanche il est certain qu’elle renforce le régime,mène à <strong>la</strong> décision que «<strong>MSF</strong> reste <strong>et</strong> parle » (CA avril 1998). Dans ces différentes situations, ledilemme naît d’un double écueil : le cautionnement au régime, <strong>et</strong> <strong>la</strong> complicité active avec despolitiques criminelles. C’est à chaque fois <strong>la</strong> deuxième <strong>question</strong> (celle du r<strong>et</strong>ournement de l’aidecontre les popu<strong>la</strong>tions, soit le paradigme éthiopien) qui perm<strong>et</strong> de formuler <strong>et</strong> trancher le dilemme.Dit autrement, <strong>la</strong> répugnance à cautionner un régime ou <strong>une</strong> politique ne suffit pas, à elle seule,à invalider l’idée d’<strong>une</strong> responsabilité d’être présent auprès des popu<strong>la</strong>tions (confirmant c<strong>et</strong>te29

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