part, en dehors de ces moments sail<strong>la</strong>nts, sévit au quotidien <strong>une</strong> «violence sur les popu<strong>la</strong>tions »qui est chronique, <strong>et</strong> dont le seuil reste remarquablement élevé. C’est d’ailleurs c<strong>et</strong>te dernièrequi domine à <strong>la</strong> lecture des rapports du terrain : <strong>une</strong> litanie d’exactions, <strong>une</strong> violence très peu‘politique’, plutôt liée à un faisceau de conditions favorables – prolifération des armes, logiquede survie, prédation, absence de solde des militaires, banalisation de <strong>la</strong> violence, <strong>et</strong>c. –, quidépossède les gens du peu qu’ils ont ; mais surtout, <strong>une</strong> violence permanente, quotidienne,répétée, généralisée 112 .C’est bien le fait d’être au plus près des zones à <strong>la</strong> fois d’instabilité (c’est-à-dire de potentielsaffrontements) <strong>et</strong> de violence chronique élevée (violences sexuelles, prédation) qui fonde <strong>la</strong> légitimitédes proj<strong>et</strong>s <strong>MSF</strong> au Nord Kivu. Puisque <strong>la</strong> violence sévit en permanence, qu’il n’y a pasde camps-sanctuaires où pourrait régner <strong>une</strong> re<strong>la</strong>tive sécurité, <strong>la</strong> <strong>question</strong> d’être «au cœur », « auplus près » est centrale : « Se positionner à KY/KB c’est pour être au plus près de <strong>la</strong> violence »; « ons’est positionnés en ayant <strong>une</strong> volonté de se concentrer sur ça parce qu’on veut être dans l’enjeu humanitairegénéré par ces violences contre les civils » (RP desk RDC, semaine environnement, juin2006) ; le Nord Kivu nécessite <strong>une</strong> «réactivité, se repositionner toujours sur les zones de violence »(RP desk, présentation au CA, 30 mars 2007); « au Nord Kivu on a réussi à se p<strong>la</strong>cer au cœur duconflit » « on s’inscrit au cœur des violences dans le Rutshuru »; à Kayna « [après <strong>une</strong> demande deprécision] au cœur du conflit n’est peut-être effectivement pas le bon terme. Au cœur des violences,ça c’est c<strong>la</strong>ir » (entr<strong>et</strong>ien ex-coordo Nord Kivu). «Elle est là notre activité, être positionné au bonendroit, là où il y a des pics » (entr<strong>et</strong>ien ARP desk RDC).C’est dans <strong>la</strong> conduite <strong>et</strong> <strong>la</strong> mise en œuvre mêmes des opérations que se traduit c<strong>et</strong>te volontéd’être au plus près de <strong>la</strong> violence, donc de ses victimes. Déjà en 2003, <strong>une</strong> telle volonté – d’êtreau plus près des besoins des gens c<strong>et</strong>te fois – était déce<strong>la</strong>ble : «<strong>la</strong> stratégie adoptée en début deprogramme est de suivre les dép<strong>la</strong>cements de popu<strong>la</strong>tion en assurant <strong>une</strong> prise en charge médicaleurgente aux dép<strong>la</strong>cés fuyant les combats <strong>et</strong> les exactions, d’où les différentes ouvertures / ferm<strong>et</strong>uresde centres de santé sur l’axe Béni-Mambasa entre décembre <strong>et</strong> mars 2003» (fiche proj<strong>et</strong> 2004, décembre2003). « Etre au plus près » commande donc d’être dans un souci permanent de réactivité ; defait, celui-ci est sans cesse réaffirmé <strong>et</strong> il fonde des opérations mouvantes, où les interventionscourtes, en urgence, se succèdent nombreuses, en phase avec les différents développements de<strong>la</strong> situation sur le terrain.C’est selon c<strong>et</strong>te même logique que l’année 2006 voit <strong>la</strong> ferm<strong>et</strong>ure de Béni <strong>et</strong> l’ouverture deNyanzale. Non que Beni soit soudain devenu <strong>une</strong> zone pacifiée. Mais le départ progressif desdép<strong>la</strong>cés, l’évolution du profil des victimes de violences sexuelles (<strong>une</strong> proportion majoritaire,<strong>et</strong> croissante, de personnes agressées plusieurs mois auparavant, <strong>et</strong> non des cas récents), alliée112. Pour donner un aperçu plus détaillé de <strong>la</strong> chronicité de <strong>la</strong> violence (c’est moi qui souligne) : «pil<strong>la</strong>ges de plus en plusfréquents » (sitrep général septembre 2004), «pil<strong>la</strong>ge systématique de toute habitation » (Kayna janvier 2005) «pendantque les gens sont aux champs les ANC en profitent pour voler dans les maisons vides. Le soir [ils] pillent les champs, volent lebétail ou ce qu’il en reste. Et toujours les viols qui continuent » (sitrep général mars 2005), «pil<strong>la</strong>ges des champs constantà Miriki, malgré <strong>la</strong> présence des FARDC, ils les <strong>la</strong>issent piller <strong>et</strong> conseillent à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion de <strong>la</strong>isser faire» (sitrep généra<strong>la</strong>vril 05) «le viol <strong>et</strong> de graves vio<strong>la</strong>tions à l’encontre des civils se poursuivent sans relâche» (RA 2004-2005) « toujours <strong>la</strong>même histoire, les militaires rack<strong>et</strong>tent <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>la</strong> nuit» (sitrep KY juin 2005) « les militaires se paient sur <strong>la</strong> bête <strong>et</strong>les popu<strong>la</strong>tions civiles continuent d’en payer le prix avec dép<strong>la</strong>cements, pil<strong>la</strong>ges, viols <strong>et</strong> meurtres » (sitrep général juill<strong>et</strong>2005). « Toujours autant de banditisme sur les axes du Lubéro» (sitrep septembre 2005) « KB est suj<strong>et</strong>te à des pil<strong>la</strong>ges assortisparfois d’enlèvement, de meurtre ou de viol, <strong>et</strong> ce sur <strong>une</strong> base quotidienne » (point NK semaine 36, sept 2006) «dansle Bwisha, les violences contre les pop civiles continuent » (sitrep général sept 2006). Et sur <strong>la</strong> généralisation de <strong>la</strong> violence :« les agressions se produisent partout (champ, maison, sur <strong>la</strong> route ou en brousse) » (point NK semaine 37, septembre 06).Agressions qui sont le fait de tous les acteurs : «tout le monde sait <strong>et</strong> dit que ce sont les militaires responsables de ces exactions» « <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion se p<strong>la</strong>int depuis l’arrivée de MM de pil<strong>la</strong>ges <strong>et</strong> de viols» (sitrep sept 2004) ; visite d’un centre de santéoù le pasteur « confirme que presque toutes nos femmes <strong>et</strong> les filles ont appartenu un jour au NALU» (sitrep Beni semaine17, avril 2006).117
à <strong>la</strong> disposition des autorités à en endosser <strong>la</strong> prise en charge au moins partiellement, indiquentque là n’est plus le «cœur » des troubles, l’endroit où être : «ce qui justifie [de fermer] c’est qu’iln’y a plus à Béni le type de violence qu’il y a dans le Rutshuru»«à Beni le shift [virage] s’est fait surles violences domestiques, les proportions se sont inversées» (entr<strong>et</strong>ien ex-coordo Nord Kivu). Parailleurs, courant 2006, <strong>MSF</strong> constate qu’elle prend en charge de plus en plus de femmes violéespar des hommes en armes, en provenance de Nyanzale, <strong>une</strong> zone considérée comme extrêmementvo<strong>la</strong>tile <strong>et</strong> longtemps demeurée inaccessible. Le nombre des victimes, le profil des agresseurs,<strong>la</strong> vo<strong>la</strong>tilité de <strong>la</strong> zone, autant d’éléments qui convainquent <strong>MSF</strong> de tenter de se positionner surc<strong>et</strong>te zone plutôt que de recevoir les patientes chaque semaine à l’hôpital de Rutshuru.La réactivité que maintient <strong>MSF</strong> au Nord Kivu est, par définition, <strong>une</strong> attitude qui se proposede suivre, réagir en aval des événements. Suivre les dép<strong>la</strong>cements des popu<strong>la</strong>tions fuyant enmasse leurs vil<strong>la</strong>ges, mais aussi répondre aux conséquences des violences sur ces popu<strong>la</strong>tions :dans les deux cas, comme nous l’avons déjà vu, c’est bien de réponse médicale, d’opérationnalitéqu’il s’agit. A aucun moment il n’est <strong>question</strong> pour <strong>MSF</strong> de jouer un rôle protecteur. Dureste, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion ne s’y trompe pas, qui n’attend pas <strong>MSF</strong> pour prendre ses propres décisions,avec <strong>la</strong> fuite comme option dominante, en préventif ou sur le moment même, ainsi que le décriventtous les rapports (<strong>la</strong> seule vue de <strong>la</strong> voiture <strong>MSF</strong> fait s’évaporer dans <strong>la</strong> forêt les gens installésau bord de <strong>la</strong> route, avant qu’ils ne reconnaissent le logo <strong>et</strong> réapparaissent – entr<strong>et</strong>ien RTRusthuru). Il n’est pas non plus <strong>question</strong> d’être <strong>une</strong> sentinelle des droits de l’homme au NordKivu.Et pourtant, il semble qu’un ‘noyau’ dur, difficilement exprimable, soit présent dans <strong>la</strong> volontéd’être au cœur des violences, là où les popu<strong>la</strong>tions sont les plus touchées. Absent des sitrepsprobablement parce que difficile à m<strong>et</strong>tre en mots, c<strong>et</strong> ‘au-delà du médical’, ce sens à ‘être auprèsde’, se dit néanmoins dans tous les entr<strong>et</strong>iens effectués. «Au-delà de <strong>la</strong> prise en charge médicale,l’enjeu, donc <strong>la</strong> pertinence, c’est de révéler c<strong>et</strong>te violence» (RP desk, semaine environnement, juin2006) ; il faudrait « aller plus loin sur les violences », aller plus loin que le médical (discussion,mai 2007) ; si les gens ne pensent pas qu’on les protège, «il y a quand même c<strong>et</strong>te notion-là, quiest un peu plus difficile à toucher, à qualifier », « <strong>une</strong> mise en confiance, <strong>une</strong> ré-assurance », « les genste disent que ‘du fait de <strong>la</strong> présence de <strong>MSF</strong> on arrive à se faire entendre un peu plus par les autorités’,ils revendiquent <strong>la</strong> sécurité auprès de <strong>la</strong> Monuc, des autorités, des BI, j’ai l’impression qu’ils sesentent plus en confiance du fait de <strong>la</strong> présence de <strong>MSF</strong> – comme un appui inconscient», « il y a vraimentun lien de confiance qui va s’installer entre <strong>MSF</strong> <strong>et</strong> les popu<strong>la</strong>tions civiles» (entr<strong>et</strong>ien ex-coordoNord Kivu).En ce sens, l’absence de référence à <strong>la</strong> notion de <strong>protection</strong> comme objectif nous semble cependantcoexister avec un positionnement sur le terrain même des enjeux de <strong>protection</strong> des civilsau sens du DIH, à travers <strong>la</strong> confrontation concrète avec des personnes que ce droit qualifie de« protégées », des blessés, victimes de violence physique directe.118
- Page 1 and 2:
LES CAHIERS DU CRASHMSF ET LA PROTE
- Page 3 and 4:
DANS LA COLLECTIONDES CAHIERS DU CR
- Page 5 and 6:
RemerciementsJe tiens à remercier
- Page 7 and 8:
ANNEXESANNEXE 1: 53Etude de cas - T
- Page 9 and 10:
Variété des registres d’abord :
- Page 11 and 12:
négatives, indiquant l’ambivalen
- Page 14 and 15:
I - L’ÈRE DU TÉMOIN - SENTINELL
- Page 16 and 17:
Il n’est pourtant pas certain que
- Page 18:
Dureté des faits du côté des ré
- Page 21 and 22:
Pendant cette période, MSF prend d
- Page 23 and 24:
esponsabilités » (CA octobre 1992
- Page 25 and 26:
la protection des populations civil
- Page 27 and 28:
Ces deux événements uniques, cibl
- Page 29 and 30:
témoignage, d’un côté l’assi
- Page 31 and 32:
30valeur encore accordée à la pr
- Page 33 and 34:
Conséquence de cette volonté de r
- Page 35 and 36:
impose un démarquage mais n’a pa
- Page 37 and 38:
(RM 1999-2000). Un questionnement r
- Page 39 and 40:
Par suite, chez la majorité de ceu
- Page 41 and 42:
les plus instables en leur sein, ce
- Page 43 and 44:
des hommes en armes pénétrèrent
- Page 45 and 46:
De façon similaire, l’idée qu
- Page 47 and 48:
personnes ne pouvant rentrer chez e
- Page 49 and 50:
et visée «de protection». La mis
- Page 51 and 52:
Fruit d’arbitrages complexes, d
- Page 53 and 54:
cet espace qui devient parfois celu
- Page 55 and 56:
PROLOGUE - 1996, AVANT L’AVANCEE
- Page 57 and 58:
PROLOGUE - 1996, AVANT L’AVANCÉE
- Page 59 and 60:
les violences sont évoquées en fi
- Page 61 and 62:
- Alors que la pression des ONG (et
- Page 63 and 64:
autres occasions : d’une part, l
- Page 65 and 66:
ou produites): la moindre évidence
- Page 67 and 68: il a failli) : «face à ce bilan p
- Page 69 and 70: détourné : « Deux jours plus tar
- Page 71 and 72: éfugiés ont à dire» «MSF n’a
- Page 73 and 74: éléments objectifs, validés. La
- Page 75 and 76: La tension entre présence et parol
- Page 77 and 78: l’apogée des tensions inter-sect
- Page 79 and 80: et les limites du processus de rapa
- Page 81 and 82: EPILOGUEDE LA CONSOLIDATION DES INF
- Page 84 and 85: ANNEXE N ° 2 / ÉTUDEDECASINTERVEN
- Page 86 and 87: Comme dans le document sur la « Tr
- Page 88 and 89: d’assistance dans les villages pr
- Page 90 and 91: MORNAY, AU CŒUR DES VIOLENCES, UNE
- Page 92 and 93: Cet appel à prendre ses responsabi
- Page 94 and 95: C’est ensuite autour du poids res
- Page 96 and 97: déplacés fuient les «attaques de
- Page 98 and 99: importants. Selon leur conception d
- Page 100 and 101: embarrassante (celle par les tenant
- Page 102 and 103: de leur impact sur la population ;
- Page 104 and 105: (p.57-60). La question a donc été
- Page 106 and 107: situation. Nous prolongerons les re
- Page 108 and 109: LE DÉBAT AUTOUR DES VICTIMES PRIOR
- Page 110 and 111: ANNEXE N ° 3 / ÉTUDEDECASPRISE EN
- Page 112 and 113: La présente étude de cas porte su
- Page 114 and 115: Promesses non tenues - un semblant
- Page 116 and 117: logistique. Le projet Kayna, dont l
- Page 120 and 121: 2 - ACTES, PRATIQUES, AUTOUR DE / F
- Page 122 and 123: violer / être exclue par mon mari
- Page 124 and 125: Concrètement, nous parlons ici de
- Page 126 and 127: collective », de sensibiliser diff
- Page 128 and 129: à des appels : le 12 mai, Oxfam ap
- Page 130 and 131: éclairer la suite. Il nous semble
- Page 132 and 133: A chaque fois, ils voient mal quell
- Page 134 and 135: le coordinateur Nord Kivu disait é
- Page 136 and 137: ANNEXE N ° 4OCCURRENCES DE MOTS-CL
- Page 138 and 139: le problème réel n’est pas celu
- Page 140 and 141: CA 2 mars 2001 :Guinée-Sierra Leon
- Page 142 and 143: faut dénoncer les atteintes au dro
- Page 144 and 145: coller le plus possible au médical
- Page 146 and 147: OCCURRENCES DU MOT «CIVILS / POPUL
- Page 148 and 149: RM 2000-2001 :« L’intervention m