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Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

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Expression de c<strong>et</strong>te vision engagée, <strong>la</strong> référence aux droits violés – droits de l’homme, mais aussidroits des peuples, droits des réfugiés (mais pas le droit humanitaire) – est indissociable del’identité de médecin-témoin jusqu’au début des années 1980, <strong>et</strong> pleinement assumée jusqu’à <strong>la</strong>fin de <strong>la</strong> décennie :« Les <strong>MSF</strong> rentrant de mission rendront compte au bureau des vio<strong>la</strong>tions des Droits de l’Homme<strong>et</strong> des faits inacceptables dont ils auraient été témoins » (RM 1978). « Parce que nous sommesmédecins <strong>et</strong> infirmières, parce que nous appliquons <strong>la</strong> sublime phrase de Pasteur, ‘je ne te demandepas quelle est ta race ou ta religion, je te demande quelle est ta douleur’ nous sommes investis d’unpoids de responsabilité considérable, en étant des témoins » (RM 1980). « Tous se joignent à moipour que l’on puisse concrétiser un rêve (…) ce rêve fou de donner sa technique mais aussi soncœur <strong>et</strong> son enthousiasme pour que l’oubli n’existe pas (…) parfois pour témoigner aussi de cesatteintes aux droits des peuples que sont famine, déportation, massacres… » (RM 1981) ; « il fautdénoncer les atteintes au droit des peuples dont nous sommes les seuls témoins » (RM 1982). <strong>MSF</strong>décide de créer un « centre de recherche sur les <strong>question</strong>s de développement, des droits de l’homme<strong>et</strong> des droits des peuples » (RM 1984) ; <strong>MSF</strong> « en tant que praticien des droits de l’homme », penseparticiper à <strong>la</strong> rédaction d’<strong>une</strong> nouvelle déc<strong>la</strong>ration universelle (CA mai 1988).La dénonciation de violences se présente alors comme l’acte qui concrétise c<strong>et</strong>te image du témoinleur faisant obstacle, par opposition au silence «complice» du monde lors des génocides passés. Enparticulier, ainsi que l’on sait, <strong>la</strong> référence à l’attitude de <strong>la</strong> Croix-Rouge face à l’extermination desJuifs pendant <strong>la</strong> Seconde guerre mondiale est fondatrice à c<strong>et</strong> égard – <strong>et</strong> ce de façon explicite:« Mes chers amis, n’oubliez pas ! du temps des camps de concentration nazis, il s’est trouvé desorganisations pour visiter ces camps… (…) nous ne tolérerons pas les verrous, les génocides…<strong>et</strong> nous pèserons de tout notre poids (…) pour alerter l’opinion <strong>et</strong> dire que là où l’on nous présentedes statistiques lénifiantes, des peuples sont assassinés » (RM 1980).Comme <strong>la</strong> naissance du sans-frontiérisme au Biafra dix ans plus tôt, le positionnement de <strong>MSF</strong>en faveur d’<strong>une</strong> « marche pour <strong>la</strong> survie du Cambodge » en 1980 relève de c<strong>et</strong>te logique <strong>et</strong> de cesréférences 9 . Organisée en vue de « faire tomber les barrières qui nous empêchent de secourir cesêtres en danger de mort » 10 , c<strong>et</strong>teinitiative est vécue comme le refus d’<strong>une</strong> complicité de génocide :« nous avons été responsables – <strong>et</strong> devant l’holocauste nous avons parlé – nous quasiment seuls» (RM1980). Référence historique <strong>et</strong> ressort de <strong>la</strong> dénonciation qui sont également à l’œuvre dansl’affaire dite du « p<strong>et</strong>it Hitler » du Soudan, huit ans plus tard. En mars 1988, l’équipe de <strong>MSF</strong>-Hol<strong>la</strong>nde rapporte que des atrocités seraient perpétrées sous <strong>la</strong> responsabilité d’Abdu Gurun,leader sudiste surnommé le p<strong>et</strong>it Hitler du fait de sa brutalité, <strong>et</strong> écrit un rapport confidentiel.Mue par le caractère impérieux de <strong>la</strong> dénonciation des exactions commises par le dirigeantsudiste (probablement perçues comme l’indice visible d’un génocide en cours), <strong>MSF</strong>-F décided’« alerter <strong>la</strong> presse » (CA mai 1988), <strong>et</strong> ce contre l’avis de <strong>MSF</strong>-H qui est à l’origine desinformations a<strong>la</strong>rmantes (<strong>et</strong> de seconde main). Alerter non seulement pour informer le mondemais avec un objectif précis : «L’objectif ? inciter le gouvernement français à entamer <strong>une</strong> démarcheinternationale pour envoyer <strong>une</strong> force neutre d’interposition au centre du Soudan» (RM 1988) – <strong>une</strong>force pour « protéger les civils », dirait-on aujourd’hui…149. Présente dans les camps de réfugiés thaï<strong>la</strong>ndais, <strong>MSF</strong> y assiste à l’afflux de réfugiés exsangues qui, non sans raison, <strong>la</strong>issepenser que sévit <strong>une</strong> famine au Cambodge ; sans en avoir confirmé l’existence, elle l’interprète comme ‘famine-génocide’organisée, le manque d’accès confortant l’idée de l’intentionnalité. C’est alors qu’est décidée l’initiative d’<strong>une</strong> «marche pour<strong>la</strong> survie du Cambodge ».10. Extrait de l’appel publié par <strong>MSF</strong> dans divers journaux. Cité par R. Brauman, article cité, p. 200. Bien sûr, il ne s’agit pasici de faire le procès d’‘erreurs’ passées, mais de souligner comment les références implicites structurent, modèlent le regardposé sur le réel <strong>et</strong> <strong>la</strong> promptitude à vouloir agir.

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