I - L’ÈRE DU TÉMOIN - SENTINELLE DES DROITSDE L’HOMME ET SOUTIEN AUX OPPRIMÉSDès sa naissance dans les suites du Biafra – événement fondateur, raconté mythiquementcomme soutien à un peuple résistant, opprimé, comme geste de rupture d’avec <strong>la</strong> tradition desilence de <strong>la</strong> Croix-Rouge – <strong>MSF</strong> s’inscrit dans un champ de références multiples liées aux enjeuxde son temps 7 . Ce temps, c’est celui de <strong>la</strong> décolonisation <strong>et</strong> des guerres de libération nationaledes années 1960-70, de <strong>la</strong> guerre froide <strong>et</strong> des exactions des régimes totalitaires : ces réalités, <strong>et</strong>les représentations qui les enserrent, balisent le monde dans lequel <strong>MSF</strong> se proj<strong>et</strong>te. Dans lemonde d’où sont originaires les fondateurs de l’association, c’est aussi un temps où se craquellele pouvoir de séduction des idéologies ‘progressistes’, du communisme au maoïsme, <strong>et</strong> où parailleurs <strong>une</strong> nouvelle mémoire de <strong>la</strong> Shoah se fait jour. C’est à <strong>la</strong> fois en réaction aux maux desmondes lointains 8 <strong>et</strong> en cohérence avec certains mouvements de pensée en Occident que <strong>MSF</strong>définit son rôle de sa naissance jusqu’aux années 1980: <strong>la</strong> présence de médecins-témoins, exprimantleur soutien aux peuples opprimés <strong>et</strong> se faisant leur voix.«NOUS PROTÉGEONS LES HOMMES»Cœur de l’engagement des médecins <strong>MSF</strong>, <strong>la</strong> présence est davantage qu’un fait neutre: dans unmonde qui «se ferme», elle est un acte – un acte considéré comme protecteur (au sens commund’empêchement de violences) du fait de sa double visée d’être «auprès de» <strong>et</strong> d’être témoin:« … Une poignée de camarades a décidé de fonder <strong>une</strong> organisation médicale désirant apportersecours <strong>et</strong> conso<strong>la</strong>tion dans les situations de guerre <strong>et</strong> de catastrophes, là où les autres organisationsne pouvaient aller, prisonnières de leur statut <strong>et</strong> de leur conformisme»; «nous qui sommes médecins,nous protégeons les hommes» (Rapport Moral 1980); «… Les habitants d’Afghanistan commençaientà oublier le sens du mot : SOLIDARITE de <strong>la</strong> part des occidentaux » (RM 1981) ; au Nigéria, il fautm<strong>et</strong>tre en avant « <strong>la</strong> nature de notre intervention, dérisoire peut-être, <strong>et</strong> pourtant chargée de sens :celui d’<strong>une</strong> certaine fraternité envers ces hommes plongés dans <strong>la</strong> misère <strong>et</strong> l’humiliation », en Irak,« derrière c<strong>et</strong>te muraille édifiée en commun par le fanatisme des uns <strong>et</strong> <strong>la</strong> raison d’Etat des autres,un peuple étouffe. Nous cherchons, nous trouverons comment forcer les remparts » « Ceux qui ontenvahi l’Afghanistan ne supportent pas, en eff<strong>et</strong>, notre présence, à <strong>la</strong> fois parce qu’elle apporte unsoutien matériel <strong>et</strong> moral à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, <strong>et</strong> parce que nous sommes des témoins gênants » (RM1983) Honduras : « La sécurité de ces réfugiés, considérés en masse comme des suspects aux yeuxdes militaires, continuera d’exiger <strong>une</strong> présence internationale permanente » (RM 1986) Réfugiés :« au-delà de notre action médicale, notre présence physique dans les camps est aussi un acte militant,<strong>une</strong> affirmation sans cesse renouvelée de ce principe humanitaire fondamental » (RM 1988)7. Pour <strong>une</strong> analyse rétrospective critique de ces premiers moments de l’histoire de <strong>MSF</strong>, voir R. Brauman, « Les re<strong>la</strong>tionsdangereuses du témoignage humanitaire <strong>et</strong> des propagandes politiques », in M. Le Pape, J. Siméant, C. Vidal (dir), Crisesextrêmes, La Découverte, 2006, p.188-204.8. Des « maux », <strong>et</strong> non des violences, parce qu’à l’époque ce mot – dont l’usage généralisé est récent – est peu employé.13
Expression de c<strong>et</strong>te vision engagée, <strong>la</strong> référence aux droits violés – droits de l’homme, mais aussidroits des peuples, droits des réfugiés (mais pas le droit humanitaire) – est indissociable del’identité de médecin-témoin jusqu’au début des années 1980, <strong>et</strong> pleinement assumée jusqu’à <strong>la</strong>fin de <strong>la</strong> décennie :« Les <strong>MSF</strong> rentrant de mission rendront compte au bureau des vio<strong>la</strong>tions des Droits de l’Homme<strong>et</strong> des faits inacceptables dont ils auraient été témoins » (RM 1978). « Parce que nous sommesmédecins <strong>et</strong> infirmières, parce que nous appliquons <strong>la</strong> sublime phrase de Pasteur, ‘je ne te demandepas quelle est ta race ou ta religion, je te demande quelle est ta douleur’ nous sommes investis d’unpoids de responsabilité considérable, en étant des témoins » (RM 1980). « Tous se joignent à moipour que l’on puisse concrétiser un rêve (…) ce rêve fou de donner sa technique mais aussi soncœur <strong>et</strong> son enthousiasme pour que l’oubli n’existe pas (…) parfois pour témoigner aussi de cesatteintes aux droits des peuples que sont famine, déportation, massacres… » (RM 1981) ; « il fautdénoncer les atteintes au droit des peuples dont nous sommes les seuls témoins » (RM 1982). <strong>MSF</strong>décide de créer un « centre de recherche sur les <strong>question</strong>s de développement, des droits de l’homme<strong>et</strong> des droits des peuples » (RM 1984) ; <strong>MSF</strong> « en tant que praticien des droits de l’homme », penseparticiper à <strong>la</strong> rédaction d’<strong>une</strong> nouvelle déc<strong>la</strong>ration universelle (CA mai 1988).La dénonciation de violences se présente alors comme l’acte qui concrétise c<strong>et</strong>te image du témoinleur faisant obstacle, par opposition au silence «complice» du monde lors des génocides passés. Enparticulier, ainsi que l’on sait, <strong>la</strong> référence à l’attitude de <strong>la</strong> Croix-Rouge face à l’extermination desJuifs pendant <strong>la</strong> Seconde guerre mondiale est fondatrice à c<strong>et</strong> égard – <strong>et</strong> ce de façon explicite:« Mes chers amis, n’oubliez pas ! du temps des camps de concentration nazis, il s’est trouvé desorganisations pour visiter ces camps… (…) nous ne tolérerons pas les verrous, les génocides…<strong>et</strong> nous pèserons de tout notre poids (…) pour alerter l’opinion <strong>et</strong> dire que là où l’on nous présentedes statistiques lénifiantes, des peuples sont assassinés » (RM 1980).Comme <strong>la</strong> naissance du sans-frontiérisme au Biafra dix ans plus tôt, le positionnement de <strong>MSF</strong>en faveur d’<strong>une</strong> « marche pour <strong>la</strong> survie du Cambodge » en 1980 relève de c<strong>et</strong>te logique <strong>et</strong> de cesréférences 9 . Organisée en vue de « faire tomber les barrières qui nous empêchent de secourir cesêtres en danger de mort » 10 , c<strong>et</strong>teinitiative est vécue comme le refus d’<strong>une</strong> complicité de génocide :« nous avons été responsables – <strong>et</strong> devant l’holocauste nous avons parlé – nous quasiment seuls» (RM1980). Référence historique <strong>et</strong> ressort de <strong>la</strong> dénonciation qui sont également à l’œuvre dansl’affaire dite du « p<strong>et</strong>it Hitler » du Soudan, huit ans plus tard. En mars 1988, l’équipe de <strong>MSF</strong>-Hol<strong>la</strong>nde rapporte que des atrocités seraient perpétrées sous <strong>la</strong> responsabilité d’Abdu Gurun,leader sudiste surnommé le p<strong>et</strong>it Hitler du fait de sa brutalité, <strong>et</strong> écrit un rapport confidentiel.Mue par le caractère impérieux de <strong>la</strong> dénonciation des exactions commises par le dirigeantsudiste (probablement perçues comme l’indice visible d’un génocide en cours), <strong>MSF</strong>-F décided’« alerter <strong>la</strong> presse » (CA mai 1988), <strong>et</strong> ce contre l’avis de <strong>MSF</strong>-H qui est à l’origine desinformations a<strong>la</strong>rmantes (<strong>et</strong> de seconde main). Alerter non seulement pour informer le mondemais avec un objectif précis : «L’objectif ? inciter le gouvernement français à entamer <strong>une</strong> démarcheinternationale pour envoyer <strong>une</strong> force neutre d’interposition au centre du Soudan» (RM 1988) – <strong>une</strong>force pour « protéger les civils », dirait-on aujourd’hui…149. Présente dans les camps de réfugiés thaï<strong>la</strong>ndais, <strong>MSF</strong> y assiste à l’afflux de réfugiés exsangues qui, non sans raison, <strong>la</strong>issepenser que sévit <strong>une</strong> famine au Cambodge ; sans en avoir confirmé l’existence, elle l’interprète comme ‘famine-génocide’organisée, le manque d’accès confortant l’idée de l’intentionnalité. C’est alors qu’est décidée l’initiative d’<strong>une</strong> «marche pour<strong>la</strong> survie du Cambodge ».10. Extrait de l’appel publié par <strong>MSF</strong> dans divers journaux. Cité par R. Brauman, article cité, p. 200. Bien sûr, il ne s’agit pasici de faire le procès d’‘erreurs’ passées, mais de souligner comment les références implicites structurent, modèlent le regardposé sur le réel <strong>et</strong> <strong>la</strong> promptitude à vouloir agir.
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