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Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

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De ce fait, il a été souligné que les victimes doivent être libres de décider de prendre le documentsur le moment, ou plus tard, ou pas du tout. Le paradoxe ici encore veut que c<strong>et</strong>te pratiquesoit couramment associée au champ de <strong>la</strong> « <strong>protection</strong> », y compris à <strong>MSF</strong> même – ce qui est àma connaissance le seul usage légitime du mot en interne aujourd’hui. Nous nous situons iciau cœur des difficultés liées à <strong>la</strong> polysémie du terme : il s’agit bien de <strong>protection</strong> au sens juridiquestrict, c’est à dire que ce document doit perm<strong>et</strong>tre à <strong>la</strong> victime de faire valoir ses droitsplus tard, sur un p<strong>la</strong>n judiciaire (p<strong>la</strong>inte). En ce sens, il n’y a précisément auc<strong>une</strong> raison particulièrepour qu’il concoure au présent à <strong>une</strong> <strong>protection</strong> au sens commun du terme (en l’occurrence,l’insistance sur le possible danger pour <strong>la</strong> victime à l’avoir entre les mains a probablementécarté le risque qu’il soit considéré par les équipes comme ‘protecteur’). Il n’y auc<strong>une</strong> raison nonplus pour que ce document lié à <strong>la</strong> <strong>protection</strong> juridique de l’individu résume à lui seul l’actionpossible ou souhaitable de <strong>MSF</strong> face à ces violences prises collectivement (comme <strong>la</strong> prise deparole par exemple). Les débats internes jouent parfois sur c<strong>et</strong>te ambiguïté, <strong>la</strong> référence à <strong>la</strong>certification y fondant l’idée que <strong>MSF</strong> ‘fait ce qu’elle a à faire’ en termes de «<strong>protection</strong> » (voirl’étude de cas Nord Kivu).NE PASEXPOSERA côté de c<strong>et</strong>te exigence de sécurisation de <strong>la</strong> sphère circonscrite de l’hôpital (comme lieu)<strong>et</strong> du soin (comme moment), c’est plus généralement dans les modalités de mise en œuvre dessecours que s’opèrent des adaptations chaque fois que sont identifiés des canevas de violencesprécis auxquels l’action de <strong>MSF</strong> pourrait exposer.Lors de <strong>la</strong> traque des réfugiés rwandais en 1996-97, deux équipes ‘explo’ différentes font le mêmeconstat que leurs efforts pour atteindre les réfugiés dans <strong>la</strong> forêt semblent ne pas «améliorer les chancesde survie des réfugiés», voire les m<strong>et</strong>tre en danger en perm<strong>et</strong>tant de les localiser. A chaque fois,elles réorientent l’action: arrêt des tentatives d’aller à leur rencontre, décision de ne plus offrir desoins que sur les routes principales; arrêt du recueil d’information au cœur de <strong>la</strong> forêt, auprès desvil<strong>la</strong>geois, après avoir observé que ce<strong>la</strong> m<strong>et</strong>tait ceux-ci également en danger. Un ajustement simi<strong>la</strong>iredu lieu de délivrance des secours est opéré au Darfour en 2004, dès l’ouverture du proj<strong>et</strong> Mornay,quand l’équipe constate que les abords du wadi, à quelque distance du camp proprement dit, sontdangereux pour les dép<strong>la</strong>cés. Le choix d’un point de distribution d’eau plus proche du camp estdirectement lié à c<strong>et</strong>te menace identifiée 52 . Les exemples de tels ajustements sont nombreux, où lerôle que peut jouer l’action dans l’exposition à des violences identifiées est examiné. Ils s’apparententsouvent à des réaménagements ou à des abstentions – abstention de distribution lorsque le risquede pil<strong>la</strong>ges est considéré comme élevé, dans les centres de santé approvisionnés par <strong>MSF</strong> en RDCaujourd’hui, ou auprès de dép<strong>la</strong>cés au Liberia en 2002: «notre stratégie consiste à exposer <strong>et</strong> fixer lemoins possible les dép<strong>la</strong>cés en ne faisant que du médical <strong>et</strong> de l’eau (nous évitons les secours pour ne pasdonner prise aux pil<strong>la</strong>ges systématiques)» (CA février 2002); abstention d’assistance dans les campsde réfugiés de <strong>la</strong> frontière guinéo-libérienne en 2001, situés trop près de <strong>la</strong> zone de combat 53 (CA2 mars 2001). Ces pratiques demeurent donc indexées à l’action de secours.52. Voir dans l’étude de cas Darfour <strong>la</strong> comparaison entre <strong>la</strong> fourniture d’eau <strong>et</strong> celle de fourrage.53. En l’occurrence, <strong>MSF</strong> p<strong>la</strong>ida pour <strong>la</strong> réinstal<strong>la</strong>tion des réfugiés à <strong>une</strong> distance raisonnable de <strong>la</strong> frontière : ce furent lesréfugiés qui refusèrent, préférant rester dans <strong>une</strong> zone considérée comme dangereuse, mais proche de leur région d’origine,plutôt que de s’en éloigner.43

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