De ce fait, il a été souligné que les victimes doivent être libres de décider de prendre le documentsur le moment, ou plus tard, ou pas du tout. Le paradoxe ici encore veut que c<strong>et</strong>te pratiquesoit couramment associée au champ de <strong>la</strong> « <strong>protection</strong> », y compris à <strong>MSF</strong> même – ce qui est àma connaissance le seul usage légitime du mot en interne aujourd’hui. Nous nous situons iciau cœur des difficultés liées à <strong>la</strong> polysémie du terme : il s’agit bien de <strong>protection</strong> au sens juridiquestrict, c’est à dire que ce document doit perm<strong>et</strong>tre à <strong>la</strong> victime de faire valoir ses droitsplus tard, sur un p<strong>la</strong>n judiciaire (p<strong>la</strong>inte). En ce sens, il n’y a précisément auc<strong>une</strong> raison particulièrepour qu’il concoure au présent à <strong>une</strong> <strong>protection</strong> au sens commun du terme (en l’occurrence,l’insistance sur le possible danger pour <strong>la</strong> victime à l’avoir entre les mains a probablementécarté le risque qu’il soit considéré par les équipes comme ‘protecteur’). Il n’y auc<strong>une</strong> raison nonplus pour que ce document lié à <strong>la</strong> <strong>protection</strong> juridique de l’individu résume à lui seul l’actionpossible ou souhaitable de <strong>MSF</strong> face à ces violences prises collectivement (comme <strong>la</strong> prise deparole par exemple). Les débats internes jouent parfois sur c<strong>et</strong>te ambiguïté, <strong>la</strong> référence à <strong>la</strong>certification y fondant l’idée que <strong>MSF</strong> ‘fait ce qu’elle a à faire’ en termes de «<strong>protection</strong> » (voirl’étude de cas Nord Kivu).NE PASEXPOSERA côté de c<strong>et</strong>te exigence de sécurisation de <strong>la</strong> sphère circonscrite de l’hôpital (comme lieu)<strong>et</strong> du soin (comme moment), c’est plus généralement dans les modalités de mise en œuvre dessecours que s’opèrent des adaptations chaque fois que sont identifiés des canevas de violencesprécis auxquels l’action de <strong>MSF</strong> pourrait exposer.Lors de <strong>la</strong> traque des réfugiés rwandais en 1996-97, deux équipes ‘explo’ différentes font le mêmeconstat que leurs efforts pour atteindre les réfugiés dans <strong>la</strong> forêt semblent ne pas «améliorer les chancesde survie des réfugiés», voire les m<strong>et</strong>tre en danger en perm<strong>et</strong>tant de les localiser. A chaque fois,elles réorientent l’action: arrêt des tentatives d’aller à leur rencontre, décision de ne plus offrir desoins que sur les routes principales; arrêt du recueil d’information au cœur de <strong>la</strong> forêt, auprès desvil<strong>la</strong>geois, après avoir observé que ce<strong>la</strong> m<strong>et</strong>tait ceux-ci également en danger. Un ajustement simi<strong>la</strong>iredu lieu de délivrance des secours est opéré au Darfour en 2004, dès l’ouverture du proj<strong>et</strong> Mornay,quand l’équipe constate que les abords du wadi, à quelque distance du camp proprement dit, sontdangereux pour les dép<strong>la</strong>cés. Le choix d’un point de distribution d’eau plus proche du camp estdirectement lié à c<strong>et</strong>te menace identifiée 52 . Les exemples de tels ajustements sont nombreux, où lerôle que peut jouer l’action dans l’exposition à des violences identifiées est examiné. Ils s’apparententsouvent à des réaménagements ou à des abstentions – abstention de distribution lorsque le risquede pil<strong>la</strong>ges est considéré comme élevé, dans les centres de santé approvisionnés par <strong>MSF</strong> en RDCaujourd’hui, ou auprès de dép<strong>la</strong>cés au Liberia en 2002: «notre stratégie consiste à exposer <strong>et</strong> fixer lemoins possible les dép<strong>la</strong>cés en ne faisant que du médical <strong>et</strong> de l’eau (nous évitons les secours pour ne pasdonner prise aux pil<strong>la</strong>ges systématiques)» (CA février 2002); abstention d’assistance dans les campsde réfugiés de <strong>la</strong> frontière guinéo-libérienne en 2001, situés trop près de <strong>la</strong> zone de combat 53 (CA2 mars 2001). Ces pratiques demeurent donc indexées à l’action de secours.52. Voir dans l’étude de cas Darfour <strong>la</strong> comparaison entre <strong>la</strong> fourniture d’eau <strong>et</strong> celle de fourrage.53. En l’occurrence, <strong>MSF</strong> p<strong>la</strong>ida pour <strong>la</strong> réinstal<strong>la</strong>tion des réfugiés à <strong>une</strong> distance raisonnable de <strong>la</strong> frontière : ce furent lesréfugiés qui refusèrent, préférant rester dans <strong>une</strong> zone considérée comme dangereuse, mais proche de leur région d’origine,plutôt que de s’en éloigner.43
De façon simi<strong>la</strong>ire, l’idée qu’<strong>une</strong> sortie tardive de l’hôpital puisse constituer <strong>une</strong> exposition accrueaux risques environnants a donné lieu à des aménagements pratiques, comme à Rutshuru (RDC)par exemple. Ces aménagements ne se sont cependant pas d’emblée présentés à tous sur le modede l’évidence. A plusieurs reprises, des victimes de viol vues en consultation quittèrent l’hôpita<strong>la</strong>u crépuscule ; <strong>la</strong> dangerosité accrue des routes à c<strong>et</strong>te heure n’était en somme pas spontanémentmise en lien avec l’action de <strong>MSF</strong> autour de <strong>la</strong> <strong>question</strong> de l’exposition. L’interventionde personnes extérieures ou plus sensibilisées a probablement joué un rôle dans l’idée que cefaisant, l’action de secours se ‘r<strong>et</strong>ournait’ en mise en danger. A <strong>la</strong> suite de c<strong>et</strong>te prise de conscience,<strong>la</strong> coordination décida de systématiser <strong>la</strong> consigne de garder les personnes <strong>la</strong> nuit dansl’hôpital après <strong>une</strong> certaine heure. Ici encore, individualisation du soin <strong>et</strong> exigence accrue faceà notre propre action se conjuguent pour rendre de moins en moins acceptablel’idée d’<strong>une</strong> ‘casse’, d’un prix à payer pour <strong>la</strong> personne du fait du danger environnant – <strong>et</strong> pourfavoriser l’émergence de <strong>la</strong> <strong>question</strong> du rôle joué par <strong>MSF</strong> dans l’exposition à ce danger.Parler d’<strong>une</strong> aide qui se r<strong>et</strong>ourne en mise en danger, ainsi que nous venons de le faire, ne doitcependant pas <strong>la</strong>isser penser qu’existeraient des entités en soi que seraient l’aide ‘pure’ ou l’aide‘r<strong>et</strong>ournée’. Si nous avons employé ces termes, c’est bien pour signaler des processus de prisede conscience à l’issue desquels les risques, bénéfices, eff<strong>et</strong>s pervers de l’action sont jaugés defaçon différente par les personnes sur le terrain <strong>et</strong> au siège.C<strong>et</strong>te remarque vaut même pour <strong>la</strong> situation extrême où l’aide est utilisée par des acteurs arméspour perpétrer des violences – c’est-à-dire où l’aide devient complice active <strong>et</strong> non plus passive.Certes, nous le savons, il y a là depuis l’Ethiopie pour <strong>MSF</strong> (France en particulier) un saut qualitatifparce que sa responsabilité est directement en jeu. Dans deux situations où le rôle de l’aide« au service des bourreaux » apparut c<strong>la</strong>irement aux personnes gérant les programmes à <strong>MSF</strong>-F(en Ethiopie en 1985, au Zaïre en 1997), elles exprimèrent l’idée d’<strong>une</strong> rupture radicale, où l’urgenceque « ce<strong>la</strong> cesse » <strong>et</strong> soit dénoncé l’emportait sur toute autre considération. Pour autant,l’examen de l’épisode de <strong>la</strong> traque des réfugiés rwandais dans l’est du Zaïre en 1996-97 le souligne,c<strong>et</strong>te image même de l’aide-appât procède d’<strong>une</strong> prise de conscience <strong>et</strong> d’<strong>une</strong> qualificationde <strong>la</strong> situation qui ne furent pas immédiates, ni sur le terrain ni aux sièges respectifs des sections.Que l’on parle rétrospectivement « d’appât » <strong>et</strong> de « traque » ne doit pas masquer le fait que surle moment, il s’agit d’abord pour les équipes ‘explo’ successives de situations de violences <strong>et</strong>d’urgence. L’image d’<strong>une</strong> utilisation de l’aide pour localiser puis tuer les réfugiés ne se constituapour eux que p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it, à partir de tentatives de collecter des informations, de confirmer desdoutes, <strong>et</strong> de constats qui s’agencèrent pour prendre sens. Même alors, ces constats ne suffirentpas à déclencher mécaniquement le r<strong>et</strong>rait ou <strong>la</strong> dénonciation de l’utilisation de l’aide commeappât : <strong>une</strong> urgence opérationnelle d’<strong>une</strong> exceptionnelle acuité commençait au même moment,<strong>et</strong> par ailleurs le siège concerné était réticent à dénoncer des incidents encore perçus commemarginaux. Plusieurs mois plus tard, ceux-ci étaient intégrés dans <strong>une</strong> vision d’<strong>une</strong> stratégieglobale, formalisée <strong>et</strong> dénoncée par <strong>MSF</strong>-F, contre l’avis des autres sections.44Un faisceau d’éléments est donc présent ici : <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tive éviction mutuelle entre intensité opérationnelle<strong>et</strong> attention serrée aux violences ; le rôle joué par le re<strong>la</strong>is que représente le siège dans<strong>la</strong> formalisation d’<strong>une</strong> situation ; le rôle joué par <strong>la</strong> qualification, en amont de l’action ; <strong>la</strong> différencede ‘culture opérationnelle’ entre sections. Autant de déterminations qui président à l’émergence(ou pas) d’un enjeu de <strong>protection</strong> dans c<strong>et</strong> épisode. En somme, si <strong>la</strong> situation d’aidedevenant appât peut sembler particulièrement c<strong>la</strong>ire pour <strong>MSF</strong> en termes d’enjeux opérationnels– comme l’« intolérable », c’est-à-dire <strong>la</strong> limite, d’<strong>une</strong> organisation qui se donne pour premièreexigence de ne pas nuire –, elle ne se présente certainement pas d’emblée comme telle. Comme
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violer / être exclue par mon mari
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Concrètement, nous parlons ici de
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à des appels : le 12 mai, Oxfam ap
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éclairer la suite. Il nous semble
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A chaque fois, ils voient mal quell
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le coordinateur Nord Kivu disait é
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le problème réel n’est pas celu
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coller le plus possible au médical
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