09.07.2015 Views

Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

Judith Soussan, "MSF et la protection, une question réglée?"

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Au 1 er décembre, l’image s’est précisée, les éléments se confirment. Sur le terrain <strong>MSF</strong> est surle point de décider de dénoncer <strong>la</strong> situation : « avec le HCR <strong>et</strong> le CICR, on est arrivé à <strong>la</strong> conclusionqu’il était évident qu’on était utilisé comme des ‘appâts’. (…) Le délégué du CICR a déc<strong>la</strong>ré ‘cen’est pas <strong>la</strong> tradition du CICR, mais (…) on ne peut pas aller soigner des réfugiés <strong>et</strong> par <strong>la</strong> suiteapprendre par les vil<strong>la</strong>geois qu’il y a eu des tirs après notre départ (…) On doit faire quelque chose’.(…) Au moment même où on était en train de prendre c<strong>et</strong>te décision [de partir <strong>et</strong> dénoncer à <strong>la</strong> facedu monde], les officiers de liaison de l’Alliance ont ouvert <strong>la</strong> porte de notre salle de réunion <strong>et</strong> ontdéc<strong>la</strong>ré : ‘Vous voulez des réfugiés ? vous en avez 5000 sur <strong>la</strong> route, allez travailler !’ (…) Ils savaientqu’on était en train de réagir, de monter notre position contre eux. Alors ils ont ouvert les vannes <strong>et</strong>ils ont poussé 5000 réfugiés vers nous pour nous donner un os à ronger». Un os à ronger qui dép<strong>la</strong>cele centre des préoccupations vers <strong>la</strong> prise en charge en urgence de c<strong>et</strong>te foule de réfugiés : «çaa complètement changé notre stratégie ». On se demandera quelques mois plus tard «pourquoi ona cessé d’y prêter attention » (entr<strong>et</strong>ien coordinateur Bukavu).C’est ainsi que dans <strong>la</strong> zone de Bukavu, le souci émergent de dénoncer l’utilisation des organisationsde secours comme appâts fait p<strong>la</strong>ce à ‘l’activisme’ né de <strong>la</strong> nécessité de prendre encharge ces réfugiés qui apparaissent à <strong>la</strong> vue des équipes. Celles-ci vont tenter de m<strong>et</strong>tre enp<strong>la</strong>ce des secours pour des groupes de réfugiés en mouvement.Rappelons que c<strong>et</strong>te r<strong>et</strong>ombée de l’attention à c<strong>et</strong>te problématique est concomitante de plusieursdéveloppements sur <strong>la</strong> scène occidentale : croissance de <strong>la</strong> couverture médiatique des massacrespassés (datant de <strong>la</strong> mi-novembre), pourtant accompagnée de <strong>la</strong> baisse de <strong>la</strong> mobilisationinternationale : <strong>la</strong> force internationale prévue apparaît désormais «sans obj<strong>et</strong> » aux Etats censés<strong>la</strong> promouvoir, suite aux gestes de bonne volonté de Kabi<strong>la</strong> – elle sera dissoute le16 décembre. Une certaine bonne conscience semble s’emparer des uns <strong>et</strong> des autres. Et <strong>la</strong> «querelledes chiffres » déjà mentionnée plus haut se développe ; plusieurs articles paraissent dans lesquelsil est sous-entendu que les agences humanitaires ont menti pour nourrir leur «business»: «pourquoiles Nations unies, <strong>MSF</strong> <strong>et</strong> Oxfam se sont-ils trompés à ce point ? (…) elles ne se développent que sielles savent lever des fonds (…) ces messages [les messages a<strong>la</strong>rmistes] perm<strong>et</strong>tent de lever des fonds »(BBC, 27 novembre).L’attention aux violences n’a cependant pas totalement abandonné les personnes sur le terrain.Le coordinateur se souvient avoir à nouveau alerté Kigali <strong>et</strong> Amsterdam fin décembre : «J’aiproposé 3 ou 4 fois de quitter, de fermer <strong>la</strong> mission ». Face à sa description de l’utilisation de <strong>MSF</strong>comme appât, il se voit <strong>question</strong>ner :« Vous avez entendu les tueurs? es-tu certain que c’était unmassacre ? vous avez eu des histoires des vil<strong>la</strong>geois comme quoi ils sont arrivés deux jours après <strong>et</strong>ils ont tué, mais vous n’avez pas de témoignage visuel direct’. Après le problème des chiffres, ils étaienthyper, hyper prudents. C’était <strong>la</strong> paralysie complète ! » (entr<strong>et</strong>ien coordinateur Bukavu).Pourquoi ce déca<strong>la</strong>ge entre le terrain <strong>et</strong> le siège ? L’équipe de terrain, directement témoin deseff<strong>et</strong>s nuisibles de sa présence <strong>et</strong> de ses tentatives d’approcher les réfugiés, voit le sens de sonaction s’évaporer ; l’espace dans lequel un geste puisse demeurer utile semble avoir disparu.Le fait même d’être partie prenante du processus de traque <strong>et</strong> de tueries semble être le seuildu tolérable. En conséquence, elle est en demande d’<strong>une</strong> réponse forte (<strong>la</strong> dénonciation, ledépart).Mais au niveau décisionnel de <strong>la</strong> capitale, en l’occurrence Amsterdam, si l’on en croit <strong>la</strong> version ducoordinateur de Bukavu, <strong>la</strong> crise des chiffres a suscité (ou renforcé) <strong>la</strong> très grande circonspection àl’égard d’<strong>une</strong> prétendue évidence des faits, de <strong>la</strong> véracité des données (chiffrées ou non, recueillies63

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!