importants. Selon leur conception de <strong>la</strong> région soudanaise en proie à <strong>une</strong> politique exterminatrice<strong>et</strong> au bord de devenir un nouveau Rwanda, <strong>la</strong> délivrance d’<strong>une</strong> assistance devient commeinévitablement dérisoire, insensée. Ainsi le 6 avril, on peut lire dans un article du New YorkTimes (s’appuyant sur le témoignage d’un <strong>MSF</strong>) : « in effect, Mr Gluck said, the aid effort is sustainingvictims so that they can be killed with a full belly ». Mi-mai, l’accès au Darfour s’ouvre, engrande partie grâce à <strong>la</strong> forte pression exercée sur le régime soudanais. Les agences humanitairesaffluent. La campagne médiatique continue de façon intensive avec des rapports d’ONG dedroits de l’homme, un appel au président Bush à «faire cesser le génocide au Darfour » (juin), <strong>une</strong>ssor de l’activité diplomatique (en juill<strong>et</strong>, plusieurs pays occidentaux se disent prêts à fournirdes troupes pour <strong>une</strong> éventuelle force d’intervention, alors que des observateurs viennent d’êtreenvoyés par l’Union africaine). Le 1 er août, le Conseil de sécurité de l’ONU vote <strong>une</strong> résolutionimposant l’embargo sur les armes à destination des rebelles <strong>et</strong> des Jenjaweeds, <strong>et</strong> le désarmementde ceux-ci. Mi-août, les premières troupes de l’UA se déploient. Ces évolutions <strong>et</strong> l’accalmiere<strong>la</strong>tive des violences n’empêchent pas de nouveaux appels à «protéger les civils » <strong>et</strong> à nepas s’abriter derrière « <strong>la</strong> souverain<strong>et</strong>é nationale » (K. Annan, 21 septembre).<strong>MSF</strong> se positionne d’emblée (y compris publiquement dans le cas de <strong>la</strong> section française) endémarquage par rapport à ce discours. Dès le 16 avril, lors d’<strong>une</strong> interview télévisée, l’ARP dudesk urgence, interrogée sur <strong>la</strong> justification de parler de génocide, répond «pas du tout », ce quine manque pas de réjouir le gouvernement soudanais. Suivront, en juill<strong>et</strong>, deux interventionspubliques récusant également c<strong>et</strong>te qualification (J-H Bradol <strong>et</strong> Th. Al<strong>la</strong>fort). Une trib<strong>une</strong> estégalement publiée dans Le Monde en septembre.Sur quoi se fonde un tel démarquage ? en quoi intéresse-t-il <strong>la</strong> problématique de <strong>la</strong> <strong>protection</strong>pour <strong>MSF</strong> ? Sans entrer dans le détail des intenses débats internes autour de <strong>la</strong> notion même degénocide <strong>et</strong> de l’opportunité de se positionner publiquement sur <strong>la</strong> qualification (débat dont lesramifications se prolongent jusqu’à aujourd’hui), nous tenterons plutôt de souligner en quoi c<strong>et</strong>épisode <strong>question</strong>ne pour <strong>MSF</strong> le rôle qu’elle se conçoit face aux violences:La qualification de <strong>la</strong> réalité – pour commencer, <strong>MSF</strong> récuse <strong>la</strong> description qui est faite de <strong>la</strong>situation, c’est-à-dire <strong>la</strong> qualification même de génocide. Elle le fait à partir d’arguments empiriques: ce qu’on observe sur le terrain n’est pas <strong>la</strong> même chose qu’au Rwanda ; il s’agit d’<strong>une</strong>campagne anti-insurrectionnelle très violente, mais où l’intention d’élimination, <strong>la</strong> politiqued’extermination ne sont pas constatées – <strong>et</strong> où, en revanche, pèse directement <strong>la</strong> menace de mortpar attrition pour des dizaines de milliers de personnes, justifiant d’augmenter les secours.Génocide contre possibilité d’assistance – au-delà du diagnostic de <strong>la</strong> situation, l’idée d’<strong>une</strong>incompatibilité de ‘principe’ entre génocide <strong>et</strong> assistance sous-tend le positionnement de <strong>MSF</strong>.La référence à <strong>la</strong> Seconde guerre mondiale, comme l’appel «on n’arrête pas un génocide avec desmédecins » en 1994, fondent en eff<strong>et</strong> l’idée que le génocide, comme cas-limite, rendrait l’assistancedérisoire (d’un point de vue pragmatique) voire indécente (d’un point de vue ‘moral’) : c’est l’absurdede <strong>la</strong> victime morte « le ventre plein » 92 . En somme, en situation de génocide, l’impératifpremier de <strong>protection</strong> (que ce<strong>la</strong> cesse) primerait sur tout le reste, évacuant <strong>la</strong> possibilité mêmeque l’assistance se voie attribuer un poids dans le calcul des réponses souhaitables. Certes, c<strong>et</strong>teidée a depuis lors été fortement re<strong>la</strong>tivisée en interne. Plusieurs personnes à <strong>MSF</strong> contestentaujourd’hui l’idée que le génocide impliquerait <strong>la</strong> perte de sens de l’assistance <strong>et</strong>/ou l’impossibilité92. «Killed with a full belly» est <strong>une</strong> allusion directe à l’expression de «well-fed dead», utilisée afin de pointer le caractèredérisoire de l’«humanitaire-alibi» dans les années 1990, en particulier à Sarajevo.97
de trouver des niches où travailler ; «si l’on se réfère au mythe fondateur de l’humanitaire moderne[le Biafra], on voit que <strong>la</strong> dénonciation du génocide <strong>et</strong> <strong>la</strong> poursuite du travail arrivent malgré tout àfaire bon ménage (…) sur le p<strong>la</strong>n des principes, ce<strong>la</strong> montre au moins que les choses ne se sont pasarrivées aussi solidement au stade où elles sont aujourd’hui, génocide - r<strong>et</strong>rait - protestation» souligneR. Brauman (entr<strong>et</strong>ien). Cependant, il nous semble que l’idée de c<strong>et</strong> enchaînement demeureprégnante <strong>et</strong> a influé sur le positionnement de <strong>MSF</strong> comme institution. C’est bien en eff<strong>et</strong> parcequ’à ses yeux <strong>la</strong> qualification de génocide aurait eu pour conséquence l’occultation du besoinde secours qu’elle estime nécessaire de s’en démarquer publiquement au printemps 2004 93 . Unecrainte qui n’est pas infondée : commentant l’ouverture de l’accès, <strong>la</strong> RCO remarque que «pourautant, les secours se déploient très lentement. L’ONU manque de fonds <strong>et</strong> les nouvelles ONG arrivéesau Darfour sont plus préoccupées par <strong>la</strong> <strong>question</strong> du ‘génocide’, du ‘n<strong>et</strong>toyage <strong>et</strong>hnique’ <strong>et</strong> dudéploiement de forces internationales que par <strong>la</strong> fourniture d’<strong>une</strong> assistance vitale aux 1,2 million dedép<strong>la</strong>cés désormais accessibles mais toujours décimés pas <strong>la</strong> malnutrition <strong>et</strong> les ma<strong>la</strong>dies diarrhéiques »(p. 32).Le spectre d’<strong>une</strong> intervention armée pour « protéger les civils » – L’inscription de <strong>MSF</strong> dansl’idée d’<strong>une</strong> bascule qualitative induisant <strong>une</strong> bascule opérationnelle (mise au second p<strong>la</strong>n del’assistance, primauté de <strong>la</strong> <strong>protection</strong>, appel à intervention) porte avec elle <strong>une</strong> deuxième conséquencepossible de <strong>la</strong> qualification de génocide, à savoir l’intervention armée – ou son spectre–, précisément perçue comme <strong>la</strong> visée de ceux qui font le choix d’user de ce mot : «<strong>la</strong> qualificationde génocide perm<strong>et</strong> à ceux qui <strong>la</strong> portent de faire p<strong>la</strong>ner sur Khartoum <strong>la</strong> menace d’<strong>une</strong> interventionarmée (…) » (CA du 3 septembre 2004). <strong>MSF</strong> perçoit <strong>une</strong> nécessité de marquer publiquementsa différence pour des motifs tant internes qu’externes : d’abord parce qu’elle a explicitementpris ses distances avec « l’appel aux armes » à <strong>la</strong> suite d’un r<strong>et</strong>our critique sur son historique(« vous connaissez <strong>la</strong> réserve qui nous habite désormais au suj<strong>et</strong> des prises de position publiquesconcernant les interventions militaires internationales», J-H Bradol, RM 2004-05, sur le Darfour) 94 .Ensuite, parce que le spectre de l’intervention suscite un durcissement n<strong>et</strong> du régime soudanaisenvers ceux qui <strong>la</strong> promeuvent – ONG ou communauté internationale –, qualifiés de « croisés »,« d’ennemis ».L’appréciation des conséquences – Le positionnement public de <strong>MSF</strong> procède donc directementd’<strong>une</strong> évaluation des conséquences possibles de <strong>la</strong> qualification de génocide, ce pourquoiil importe de ne pas <strong>la</strong> <strong>la</strong>isser demeurer sans réponse. Il faut noter que, cherchant à éviter lesconséquences du discours sur le génocide, <strong>MSF</strong> ne prend pas en compte ses eff<strong>et</strong>s positifs – or,<strong>une</strong> majorité reconnaît a posteriori qu’en faisant pression sur le régime soudanais, <strong>la</strong> campagnecontre le génocide a de fait permis le déblocage de l’accès pour les organismes de secours, aumoins au début. Les conséquences négatives de son propre positionnement, en l’occurrence <strong>la</strong>récupération par le régime de Khartoum, sont également mises au second p<strong>la</strong>n : à ce moment,ce qui prime est de faire valoir sa propre lecture de <strong>la</strong> situation, parce que l’enjeu opérationnelest l’accent sur les secours. L’arbitrage, ici, revient à apprécier quelle récupération est <strong>la</strong> plus9893. D’autres citations font apparaître <strong>la</strong> référence à c<strong>et</strong> enchaînement, que ce soit au p<strong>la</strong>n interne (conséquences sur notreaction) ou externe (quels messages envoyer à l’extérieur). Ainsi de <strong>la</strong> réponse du président à un membre du CA ayantsouhaité que soient explicitées les raisons de ce positionnement public : «<strong>une</strong> qualification précise de <strong>la</strong> nature des événementsest déterminante pour déployer des réponses adaptées. La qualification de génocide aurait eu pour première conséquenced’organiser <strong>la</strong> fuite de notre personnel <strong>et</strong> de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion cible» (CA du 3 septembre 2004). Ou de <strong>la</strong> nécessité perçue des’expliquer sur un ‘changement de cap’ qui aurait semblé incongru à ceux qui ont en mémoire l’appel de 1994 : «compt<strong>et</strong>enudu positionnement public[passé] de <strong>MSF</strong>, il aurait été étrange que <strong>MSF</strong> continue à agir comme si de rien n’était, si <strong>la</strong> qualificationde génocide avait primé (cf jurisprudence Rwanda)» (entr<strong>et</strong>ien R. Brauman).94. Rappelons que <strong>la</strong> formalisation des arguments sur lesquels c<strong>et</strong>te distance s’est construite est opérée dans l’article «L’humanitaire<strong>et</strong> <strong>la</strong> tentation des armes» de Fabrice Weissman (2003).
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