à chaque fois, <strong>la</strong> construction d’<strong>une</strong> réponse est indissociable de <strong>la</strong> mise en récit collective de <strong>la</strong>réalité.C<strong>et</strong> examen des pratiques visant à ne pas accroître par l’action l’exposition à <strong>la</strong> violence fait ainsiapparaître l’évidence d’un «ne pas nuire » en lien direct avec l’exigence accrue de responsabilitésur ce que l’on fait. Evidence d’un champ légitime d’action dont les limites sont néanmoins sanscesse r<strong>et</strong>ravaillées – des pratiques ‘traditionnelles’ à celles introduites ou systématisées récemment.Au-delà de ce socle solide, il s’agit à présent pour nous d’envisager les pratiques mises enœuvre dans l’espace plus mouvant situé au-delà de ce «ne pas nuire ».SOUSTRAIRE À DES VIOLENCESD’avril à juin 1994, en plein génocide au Rwanda, les équipes travail<strong>la</strong>nt à l’hôpital de Kigalidécidèrent d’y maintenir les patients qu’elles avaient soignés – des patients admis pour d’authentiquesraisons médicales, puis gardés avec l’intention explicite de les protéger physiquement.L’hôpital devint <strong>une</strong> structure dont on ne sortait pas, qui s’agrandissait de jour en jour,<strong>MSF</strong> récupérant un à un les bâtiments alentour pour en faire des services supplémentaires oùajouter des lits. Dans des conditions aussi radicales, ce choix relevait d’un pari: celui que l’argumentmédical puisse contreba<strong>la</strong>ncer <strong>la</strong> détermination des milices à éliminer les Tutsis 54 . En l’occurrence,on l’a vu plus haut, « auc<strong>une</strong> exaction n’a été commise dans l’hôpital ».Les équipes de terrain prennent couramment des initiatives simi<strong>la</strong>ires dans des circonstancesmoins extrêmes, visant en général à m<strong>et</strong>tre à l’abri un patient de menaces pesant individuellementsur lui. Peu visibles, ces pratiques apparaissent à peine dans les documents qui rendentcompte des activités, à moins de donner lieu à des problèmes – problèmes de sécurité en m<strong>et</strong>tanten danger le personnel <strong>MSF</strong>, problèmes de gestion des cas. Ainsi, à Port-au-Prince (Haïti), il estarrivé à plusieurs reprises que l’équipe <strong>MSF</strong> protège des blessés ne pouvant sortir de l’hôpitalparce que menacés. Qu’il s’agisse d’un enfant victime de violence au sein de sa famille ou d’unje<strong>une</strong> homme recherché par d’autres, ils étaient gardés, voire cachés en attendant qu’<strong>une</strong> solutionsoit trouvée. Ces « cas de <strong>protection</strong> » sont alors devenus des problèmes à gérer dans <strong>la</strong> mesureoù ils bloquaient des lits de plus en plus nombreux (au même titre que les cas «sociaux » – desparaplégiques, des personnes devenues dépendantes, ne pouvant être prises en charge par leurfamille, <strong>et</strong>c.). Ce problème pratique d’occupation des lits a grandement joué dans <strong>la</strong> création du« p<strong>et</strong>it comité violence », <strong>une</strong> initiative qui institutionnalise <strong>la</strong> recherche de solutions concrètes– procédures d’éloignement ou p<strong>la</strong>cement dans <strong>une</strong> structure appropriée 55 . L’existence d’activitésdites « sociales » à Matare au Kenya renvoie pareillement à <strong>la</strong> prise en charge des «cas de<strong>protection</strong> », pour des victimes de violences domestiques par exemple.Ailleurs, en RDC, les personnes de terrain décrivent <strong>la</strong> prise en charge de cas individuels commeintervenant ad hoc, mais de fait un budg<strong>et</strong> est désormais prévu pour l’accompagnement des54. Il est permis de penser qu’en ce sens, <strong>la</strong> mise à l’abri de personnes qui n’étaient pas des patients n’était pas envisageable,car elle aurait détruit c<strong>et</strong>te capacité d’argumentation médicale.55. Le p<strong>et</strong>it comité violence (PCV) est le nom donné au sous-groupe (chef de mission, assistante sociale, psychologue, coordinateurmédical,…) qui se réunit pour discuter des cas compliqués, qui de ce fait nécessitent <strong>une</strong> réflexion collectivedans <strong>la</strong> recherche de solutions ; d’où le mé<strong>la</strong>nge entre cas de <strong>protection</strong> <strong>et</strong> cas sociaux qui posent des <strong>question</strong>s simi<strong>la</strong>ires(identification d’<strong>une</strong> structure appropriée de prise en charge, investissement de <strong>MSF</strong> dans <strong>la</strong> prise en charge financière,<strong>et</strong>c.). Il est cependant significatif que l’on parle de p<strong>et</strong>it comité «violence », <strong>une</strong> appel<strong>la</strong>tion qui renvoie au ‘cœurde cible’ légitime du programme, tandis que les cas traités révèlent <strong>la</strong> plupart du temps <strong>une</strong> intrication indémê<strong>la</strong>ble entreproblématiques économiques, psychologiques, juridiques <strong>et</strong> sécuritaires.45
personnes ne pouvant rentrer chez elles sans encourir un risque (par exemple pour le soutienà des solutions d’éloignement identifiées par <strong>la</strong> victime mais nécessitant un coup de pouce, <strong>et</strong>c.),<strong>et</strong> le recueil de données inclut désormais des <strong>question</strong>s qui concernent explicitement l’existencede menaces persistantes sur le patient (« <strong>la</strong> personne a-t-elle un endroit sûr où r<strong>et</strong>ourner ?»). Cefaisant, le siège signifie que le renvoi d’un patient vers <strong>une</strong> source de danger fait partie de sespréoccupations. On peut voir dans c<strong>et</strong>te évolution <strong>une</strong> conséquence de l’individualisation dusoin, qui porte avec elle l’extension des responsabilités autour du patient. Elle amène <strong>MSF</strong> àapprocher des problématiques sociales, de <strong>protection</strong>, où l’on remonte en quelque sorte d’uncran dans <strong>la</strong> chaîne de causalité, puisqu’à côté de <strong>la</strong> prise en charge des conséquences de violences,on tente d’en empêcher <strong>la</strong> répétition sur un individu 56 .Des initiatives visant à soustraire un groupe entier de personnes à des violences craintes ontégalement eu lieu dans l’histoire de <strong>MSF</strong>. On se souvient que l’équipe de Srebrenica évacua avecelle des patients de l’hôpital au moment de <strong>la</strong> chute de l’enc<strong>la</strong>ve ; l’équipe de <strong>MSF</strong>-H dans le Kivufit de même avec des enfants de son centre de nutrition au début de <strong>la</strong> crise dans l’est du Zaïrefin 1996. Quelques mois plus tôt, courant 1996, <strong>une</strong> action simi<strong>la</strong>ire avait eu lieu de <strong>la</strong> partd’<strong>une</strong> équipe <strong>MSF</strong>-H dans <strong>la</strong> même région. C<strong>et</strong>te fois, il ne s’agissait pas de patients mais decivils tutsis assistés dans un vil<strong>la</strong>ge ; le massacre d’<strong>une</strong> partie d’entre eux <strong>et</strong> l’absence de réactiondu HCR alerté par l’équipe décidèrent celle-ci à procéder elle-même à l’évacuation d’<strong>une</strong>partie des survivants dans des camions, avec l’accord du siège.Dans les années récentes, un seul exemple d’évacuation de personnes menacées a eu lieu à notreconnaissance, celui de réfugiés nord-coréens ma<strong>la</strong>des ou «dont nous pouvions penser raisonnablementqu’[ils] étaient en danger de mort», que <strong>MSF</strong> a aidés à «franchir les frontières illégalement (…) à arriveren Corée du sud <strong>et</strong> pouvoir enfin être à l’abri» (RM 2002-2003). «Inhabituelles», délicates (certainesopérations échouèrent <strong>et</strong> les personnes furent interceptées), ces décisions ont été décrites a posterioricomme le produit de <strong>la</strong> confrontation avec des situations concrètes, où intervient <strong>une</strong> sollicitation 57 .Il faut également noter qu’elles visaient ici encore des personnes auxquelles le proj<strong>et</strong> était destiné (desréfugiés) donc auxquelles nous nous sentions liés du fait de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion d’assistance; en outre, cesinitiatives furent probablement favorisées par le caractère atypique du proj<strong>et</strong>, qui inscrivait d’emblée<strong>MSF</strong> hors du cadre de référence ‘c<strong>la</strong>ssique’. De telles actions d’évacuation collective de personnesfurent <strong>et</strong> demeurent exceptionnelles.Le lien de responsabilité entre <strong>MSF</strong> <strong>et</strong> des civils en général (ni des patients, ni des personnesassistées) est certainement plus ténu. Il n’exclut néanmoins pas que face à <strong>une</strong> situation aiguë,des actes visant de façon volontariste à soustraire des personnes à des violences aient lieu. Parailleurs, confrontées à des personnes s’étant réfugiées d’elles-mêmes dans leur clinique du faitde violences sévissant alentour, il est plus probable encore que les équipes <strong>MSF</strong> opteraient spontanémentpour <strong>la</strong> décision de les y garder – ce fut le cas à Rutshuru en 2005 alors que des combatsimportants avaient lieu (<strong>et</strong> que l’équipe expatriée avait d’abord évacué) ou à Bentiu alors qu’<strong>une</strong>milice ratissait <strong>la</strong> ville en quête de personnes à recruter de force. Dans ce dernier cas, c<strong>et</strong>te miseà l’abri ‘passive’ devint l’obj<strong>et</strong> d’<strong>une</strong> négociation tendue avec le chef de milice exigeant que les56. Il est intéressant de noter qu’à l’heure où beaucoup de proj<strong>et</strong>s «violence sociale <strong>et</strong> exclusion » ont été fermés, <strong>la</strong> prise encharge ‘de qualité’ des victimes de violence ramène de fait <strong>MSF</strong> vers les problématiques que posaient ces programmes –complexité <strong>et</strong> entremêlement des dynamiques à l’œuvre, caractère chronique des problématiques (pauvr<strong>et</strong>é, fragmentationdes liens sociaux <strong>et</strong> familiaux, multiplicité des formes de violences, impunité, <strong>et</strong>c.) – m<strong>et</strong>tant à l’épreuve sa capacitéà penser des modes opératoires différents.4657. « Nous n’avons pas choisi de prendre l’initiative de ces opérations (…) mais nous avons choisi de ne pas dire non quand des individus,des familles ou des groupes ont fait appel à nous pour les aider » (Rapport moral 2002-03).
- Page 1 and 2: LES CAHIERS DU CRASHMSF ET LA PROTE
- Page 3 and 4: DANS LA COLLECTIONDES CAHIERS DU CR
- Page 5 and 6: RemerciementsJe tiens à remercier
- Page 7 and 8: ANNEXESANNEXE 1: 53Etude de cas - T
- Page 9 and 10: Variété des registres d’abord :
- Page 11 and 12: négatives, indiquant l’ambivalen
- Page 14 and 15: I - L’ÈRE DU TÉMOIN - SENTINELL
- Page 16 and 17: Il n’est pourtant pas certain que
- Page 18: Dureté des faits du côté des ré
- Page 21 and 22: Pendant cette période, MSF prend d
- Page 23 and 24: esponsabilités » (CA octobre 1992
- Page 25 and 26: la protection des populations civil
- Page 27 and 28: Ces deux événements uniques, cibl
- Page 29 and 30: témoignage, d’un côté l’assi
- Page 31 and 32: 30valeur encore accordée à la pr
- Page 33 and 34: Conséquence de cette volonté de r
- Page 35 and 36: impose un démarquage mais n’a pa
- Page 37 and 38: (RM 1999-2000). Un questionnement r
- Page 39 and 40: Par suite, chez la majorité de ceu
- Page 41 and 42: les plus instables en leur sein, ce
- Page 43 and 44: des hommes en armes pénétrèrent
- Page 45: De façon similaire, l’idée qu
- Page 49 and 50: et visée «de protection». La mis
- Page 51 and 52: Fruit d’arbitrages complexes, d
- Page 53 and 54: cet espace qui devient parfois celu
- Page 55 and 56: PROLOGUE - 1996, AVANT L’AVANCEE
- Page 57 and 58: PROLOGUE - 1996, AVANT L’AVANCÉE
- Page 59 and 60: les violences sont évoquées en fi
- Page 61 and 62: - Alors que la pression des ONG (et
- Page 63 and 64: autres occasions : d’une part, l
- Page 65 and 66: ou produites): la moindre évidence
- Page 67 and 68: il a failli) : «face à ce bilan p
- Page 69 and 70: détourné : « Deux jours plus tar
- Page 71 and 72: éfugiés ont à dire» «MSF n’a
- Page 73 and 74: éléments objectifs, validés. La
- Page 75 and 76: La tension entre présence et parol
- Page 77 and 78: l’apogée des tensions inter-sect
- Page 79 and 80: et les limites du processus de rapa
- Page 81 and 82: EPILOGUEDE LA CONSOLIDATION DES INF
- Page 84 and 85: ANNEXE N ° 2 / ÉTUDEDECASINTERVEN
- Page 86 and 87: Comme dans le document sur la « Tr
- Page 88 and 89: d’assistance dans les villages pr
- Page 90 and 91: MORNAY, AU CŒUR DES VIOLENCES, UNE
- Page 92 and 93: Cet appel à prendre ses responsabi
- Page 94 and 95: C’est ensuite autour du poids res
- Page 96 and 97:
déplacés fuient les «attaques de
- Page 98 and 99:
importants. Selon leur conception d
- Page 100 and 101:
embarrassante (celle par les tenant
- Page 102 and 103:
de leur impact sur la population ;
- Page 104 and 105:
(p.57-60). La question a donc été
- Page 106 and 107:
situation. Nous prolongerons les re
- Page 108 and 109:
LE DÉBAT AUTOUR DES VICTIMES PRIOR
- Page 110 and 111:
ANNEXE N ° 3 / ÉTUDEDECASPRISE EN
- Page 112 and 113:
La présente étude de cas porte su
- Page 114 and 115:
Promesses non tenues - un semblant
- Page 116 and 117:
logistique. Le projet Kayna, dont l
- Page 118 and 119:
part, en dehors de ces moments sail
- Page 120 and 121:
2 - ACTES, PRATIQUES, AUTOUR DE / F
- Page 122 and 123:
violer / être exclue par mon mari
- Page 124 and 125:
Concrètement, nous parlons ici de
- Page 126 and 127:
collective », de sensibiliser diff
- Page 128 and 129:
à des appels : le 12 mai, Oxfam ap
- Page 130 and 131:
éclairer la suite. Il nous semble
- Page 132 and 133:
A chaque fois, ils voient mal quell
- Page 134 and 135:
le coordinateur Nord Kivu disait é
- Page 136 and 137:
ANNEXE N ° 4OCCURRENCES DE MOTS-CL
- Page 138 and 139:
le problème réel n’est pas celu
- Page 140 and 141:
CA 2 mars 2001 :Guinée-Sierra Leon
- Page 142 and 143:
faut dénoncer les atteintes au dro
- Page 144 and 145:
coller le plus possible au médical
- Page 146 and 147:
OCCURRENCES DU MOT «CIVILS / POPUL
- Page 148 and 149:
RM 2000-2001 :« L’intervention m