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Jamais moi sans toi

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C ONTROVERSES SUR LE TRAUMATISME 131<br />

Mars », ai-je dit une fois prenant un air solennel. «AhMars, jeconnais,<br />

j’en mange tous les jours (se référant àlabarre chocolatée du même nom) »,<br />

me répondit Gordon, l’air moqueur.<br />

Nous jouâmes au journaliste qui fait l’interview d’un champion. Il préférait<br />

prendre le rôledeZidane ou de Ronaldo,mais n’acceptait pas facilement que<br />

le journaliste lui parle de blessures, debuts et de matchs ratés. Parfois, je<br />

faisais «l’entraîneur »;mais je devais irrémédiablement le mettre en valeur,<br />

par exemple endisant :«Tu es le meilleur joueur du siècle. »<br />

Pour <strong>moi</strong> cette activité se présentait comme un jeu en thérapie ;pour Gordon,<br />

comme une activité concrète, plus tard c’est devenu une activité pré-ludique,<br />

qui avait une «utilité », car il pouvait l’utiliser ailleurs. Il lui était difficile de<br />

concevoir que le jeu soit du «comme si ». S’y combinaient des mécanismes<br />

d’analité et d’avidité orale. Ilvoulait tout prendre de<strong>moi</strong> mais savait àprésent<br />

«cacher son jeu », ce qui est déjà un progrès.<br />

Rappelons-nous qu’au début de la thérapie il paraissait effrayé àl’idée dese<br />

dévoiler en dessinant.<br />

B LESSÉS DE LA VIE<br />

Gordon m’a permis de noter que ces rescapés du traumatisme qui<br />

ont souffert de blessures narcissiques importantes ne sont forcément pas<br />

prêts àprendreconsciencedeleur souffrance, etqueparfoisilsattendent<br />

qu’on leur donne une chance de s’imaginer «choisis du destin, des<br />

dieux ». Gordon me demandaitde resterdansune position modeste,pas<br />

uniquement parce qu’il voulait me dominer, mais parce qu’il savait qu’il<br />

était parson his<strong>toi</strong>requelqu’unquiavaitprisle départ en perdant ;avec<br />

un handicap «àla base ».Ilavaitperdu safamille,quitté les foyers où il<br />

avait été placé chez des personnesqu’il avaitinvesties, avaitété adopté<br />

ensuite etavait vumourir son père adoptif deux ans plus tard. Alors il<br />

fallaitquejereconnaissecela. C’étaitunpréalable. J’avaispeut-êtreeu<br />

une chance plus grande quelui. Il fallaitqu’il trouveune compensation<br />

quelquepart.(Nous avonspuparlerunmomentde cela, vers la troisième<br />

année.) Recevoir une compensation verbale n’a pas suffi ;l’empathie, ce<br />

n’étaitpasassez pour lui.<br />

J’ai dû modifier plusieurs fois ma technique, m’adapter àlui <strong>sans</strong><br />

forcémentsavoiroùj’allais.Gordon avaitdéveloppé unespritcombatif,<br />

c’était uncasse-cou. Ilacompris qu’il pouvait être un «gagnant ». Il<br />

m’enviaitcertainementuntasde choses,maiss’il afini pars’identifier<br />

à<strong>moi</strong>, c’est qu’il adépassé lecap de la haine pour affronter la mer de<br />

l’émulation. L’important c’est que nous avons pu utiliser ce matériel<br />

pour bâtir,parunmoyen luiconvenant, une action quientraitdansune<br />

relation envisageableavec le monde.

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