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Jamais moi sans toi

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22 L ES FONDEMENTS<br />

une jeune fille, ilnedisait jamais :«Elle me plaît », mais :«Elle plaît », en<br />

donnant des détailssur les fréquentations de celle-ci et sessuccèsmondains.<br />

Mais je n’étais pas sûr que Stéphane ait vraiment écouté le point de vue<br />

des autres étant donné la façon dont il changeait subitement d’orientation.<br />

Pourtant je ne parvenais pas àdéduire lepoint de vue qui aurait été le sien.<br />

Stéphane me faisait penser aux personnes en faux-self. Son inauthenticité<br />

se rendait évidente par la façon dont il cherchait àsavoir ce que les autres<br />

pensaient de lui. Pour leur faire comprendre qu’il tenait compte de leur<br />

opinion, il les plaçait dans une position supérieure.<br />

On pouvait aussi déduire qu’ilétait désorientépar le fait qu’il ne parvenait pas<br />

àadmettre que mes interventions avaient un impact sur lui. Son narcissisme<br />

ne l’y autorisait-il pas ?Lereconnaître supposait-il que je devienne supérieur<br />

àlui ?Sadépendanceenvers <strong>moi</strong> serait alors insupportable.Mais la véritable<br />

interprétation sur la nature du transfert était ailleurs...<br />

Lorsqu’il oubliait que j’avais été l’auteur des remarques interprétatives, je<br />

me sentais perplexe, j’en étais quelquefois exaspéré et même affecté, et<br />

limité dans mes réactions possibles ;jen’allais pas lui dire que c’était <strong>moi</strong><br />

qui les avais prononcées et pas un copain àlui. Il m’est arrivé de conclure<br />

qu’il manquait de gratitude àmon égard. Stéphane me réduisait au rôle du<br />

«souffleur »d’un texte que je n’aurais pas écrit. Je me consolais néan<strong>moi</strong>ns<br />

en me disant que le contenu demes interprétations était quand même<br />

«passé ». Il yavait, d’une part, comme un désir certes de m’ignorer mais,<br />

d’autre part, comme une révélation sur l’état de son identité etdecelles des<br />

autres dans son esprit. Dans cette dernière perspective, chacun jouait pour<br />

lui le rôle d’un autre, réciproquement, alternativement, mais il ne jouerait que<br />

rarement lesien. Ainsi apparaissait reflété l’état de son self, décentré par<br />

rapport aux représentations des autres. Ilnepouvait dire «je»,«vous ».<br />

Dire «il»,c’était le plus proche delui, de sa personne, du«je ». Parfois<br />

«il»signifiait «vous ».<br />

Une identification particulière yétait utilisée,qui soulageaitenfait un désordre<br />

significatif.<br />

Dans ma réflexion, je m’étais centré au début sur la dimension narcissique<br />

et j’ai cru mon patient trop suffisant derrière sa modestie. S’il ne pouvait pas<br />

dire que c’était <strong>moi</strong> celui qui avait avancé les interprétations, c’était parce<br />

qu’il souffrait d’une dislocation dans l’organisation de son identité, touchant<br />

la place tant de son je que des autres. J’ai dû accepter dem’effacer pour<br />

être celui que j’étais.<br />

Mais n’est-ce pas ce que nous demande notre travail de thérapeutes ?<br />

À ce moment-là, je ne m’en étais pas aperçu. Je continuais àprotester<br />

aveuglément que Stéphane aménageait un scénario où un autre m’aurait volé<br />

une idée. Etpourtant c’est enconservant cette position que nous pouvons<br />

capter lemieux ceque le patient ignore de lui. Jesuis inéluctablement <strong>moi</strong>,<br />

mais si mon <strong>moi</strong> obture l’horizon, l’inconnu del’autre nepeut se nicher nulle<br />

part. Il va heurter cetrop plein de mon savoir et de mon être. Pour exister, il<br />

sortira éventuellement àson tour une armure défensive. Mon effacement lui<br />

permettrait, enrevanche, deselover dans mon <strong>moi</strong> ;celui-ci serait alors en

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