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Jamais moi sans toi

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A UCŒUR DU LIEN INTERSUBJECTIF 41<br />

O UVERTURES<br />

L’illustration clinique qui va suivre peut étonner. Ils’agit d’une<br />

thérapie familiale réalisée yaune vingtaine d’années 1 .Jel’ai choisie<br />

parce que jepense que toute thérapie nous place dans unbain d’intersubjectivité<br />

etque —dès lors qu’elle est prise encompte sous l’angle<br />

que jedéfends ici —lecontre-transfert yest interprété différemment,<br />

comportant une implication plus profonde de l’analyste, fréquemment<br />

atteintdansson sentimentd’identitémême.<br />

© Dunod –Laphotocopienon autorisée est un délit<br />

Le cas de la famille Dryades est marqué par l’absence :trois femmes, une<br />

mère et ses deux filles adolescentes viennent me voir pour surmonter leurs<br />

conflits relationnels permanents et pour éviter la répétition des troubles<br />

suicidaires graves chez l’une et l’autre des adolescentes. Lepère alcoolique<br />

s’est donné lamort quelques années auparavant, lorsque la plus âgée des<br />

filles passait le cap delapuberté. Lafigure paternelle hante lemilieu familial<br />

qui se refuse le droit àlavie. Les disputes apparaissent liées, d’une part, à<br />

la fidélité au père, dont le nom est invoqué pour critiquer le comportement de<br />

l’une ou de l’autre des trois femmes («Père neserait pas d’accord pour que<br />

tu sortes tous les soirs », par exemple), et, d’autre part, aux comportements<br />

d’imitation delaplus jeune qui prend les vêtements et les bijoux de la plus<br />

âgée, cequi met celle-ci très en colère. Les adolescentes font souvent appel<br />

àl’autorité de la mère, mais, si elle intervient, loin de calmer la dispute, elle<br />

se fait disqualifier. Elle en ressort déçue, abattue, décomposée, infantilisée.<br />

S’avouant vaincue, elle demande conseil àsafille aînée, qui assume de plus<br />

en plus le rôle de leader.<br />

Pendant une séance, je suis confronté àunbien étrange sentiment :les trois<br />

femmes s’entretiennent de la mode féminine actuelle, des vitrines regardées<br />

la veille, des boucles d’oreille, des robes et de leur façon de les porter. Je<br />

commence àmesentir indifférent, je m’ennuie, jedésire que la séance<br />

finisse, enmedisant qu’elles perdent leur temps et surtout qu’elles me font<br />

perdre lemien en parlant de «futilités ». Je vais jusqu’à me sentir misogyne,<br />

me surprenant àprendre àmon compte les arguments les plus banalement<br />

défensifs contre la valeur du monde féminin. Le goût pour la mode me<br />

paraît dérisoire, une distraction qu’elles semblent s’imposer pour sortir de<br />

leur morosité. Je me fâche même en pensant que je peux faire mieux pour<br />

l’évolution de leur situation que de rester «planté »là àles entendre faire<br />

des commentaires sur tel magasin où l’on trouve des chemisiers de telle<br />

qualité. Ce n’est même pas amusant pour <strong>moi</strong>. Si elles veulent me séduire,<br />

me révolté-je, c’est raté d’avance. Leurs goûts sont «insipides ». Rien ne<br />

1. Publié initialement dans La Parenté fantasmatique ,1987, aux É ditions Dunod qui<br />

m’ont autorisé àl’insérer ici. Ce texte aété remanié etenrichi de nouveaux aspects<br />

cliniques.

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