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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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LETTRE LXXI<br />

<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL<br />

Mon étourdi de Chasseur n'a−t−il pas laissé mon portefeuille à Paris ! <strong>Les</strong> l<strong>et</strong>tres de ma Belle, celles de<br />

Danceny pour la p<strong>et</strong>ite Volanges, tout est resté, <strong>et</strong> j'ai besoin de tout. Il va partir pour réparer sa sottise ; <strong>et</strong><br />

tandis qu'il selle son cheval, je vous raconterai mon histoire de c<strong>et</strong>te nuit : car je vous prie de croire que je ne<br />

perds pas mon temps.<br />

L'aventure, par elle−même, est bien peu de chose ; ce n'est qu'un réchauffé avec la Vicomtesse de M...<br />

Mais elle m'a intéressé par les détails. Je suis bien aise d'ailleurs de vous faire voir que si j'ai le talent de<br />

perdre les femmes, je n'ai pas moins, quand je veux, celui de les sauver. Le parti le plus difficile, ou le plus<br />

gai, est toujours celui que je prends ; <strong>et</strong> je ne me reproche pas une bonne action, pourvu qu'elle m'exerce ou<br />

m'amuse.<br />

J'ai donc trouvé la Vicomtesse ici, <strong>et</strong> comme elle joignait ses instances aux persécutions qu'on me faisait<br />

pour passer la nuit au château : «Eh bien ! j'y consens, lui dis−je, à condition que je la passerai avec vous.»<br />

− «Cela m'est impossible, me répondit−elle, Vressac est ici.» Jusque−là je n'avais cru que lui dire une<br />

honnêt<strong>et</strong>é : mais ce mot d'impossible, me révolta comme de coutume. Je me sentis humilié d'être sacrifié à<br />

Vressac, <strong>et</strong> je résolus de ne le pas souffrir : j'insistai donc.<br />

<strong>Les</strong> circonstances ne m'étaient pas favorables. Ce Vressac a eu la gaucherie de donner de l'ombrage au<br />

Vicomte ; en sorte que la Vicomtesse ne peut plus le recevoir chez elle : <strong>et</strong> ce voyage chez la bonne<br />

Comtesse avait été concerté entre eux, pour tâcher d'y dérober quelques nuits. Le Vicomte avait même<br />

d'abord montré de l'humeur d'y rencontrer Vressac ; mais comme il est encore plus Chasseur que jaloux, il<br />

n'en est pas moins resté : <strong>et</strong> la Comtesse, toujours telle que vous la connaissez, après avoir logé la femme<br />

dans le grand corridor, a mis le mari d'un côté <strong>et</strong> l'Amant de l'autre, <strong>et</strong> les a laissés s'arranger entre eux. Le<br />

mauvais destin de tous deux a voulu que je fusse logé vis−à−vis.<br />

Ce jour−là même, c'est−à−dire hier, Vressac, qui, comme vous pouvez croire, cajole le Vicomte,<br />

chassait avec lui, malgré son peu de goût pour la chasse, <strong>et</strong> comptait bien se consoler la nuit, entre les bras de<br />

la femme, de l'ennui que le mari lui causait tout le jour : mais moi, je jugeai qu'il aurait besoin de repos, <strong>et</strong> je<br />

m'occupai des moyens de décider sa Maîtresse à lui laisser le temps d'en prendre.<br />

Je réussis, <strong>et</strong> j'obtins qu'elle lui ferait une querelle de c<strong>et</strong>te même partie de chasse, à laquelle, bien<br />

évidemment, il n'avait consenti que pour elle. On ne pouvait prendre un plus mauvais prétexte : mais nulle<br />

femme n'a mieux que la Vicomtesse ce talent, commun à toutes, de m<strong>et</strong>tre l'humeur à la place de la raison, <strong>et</strong><br />

de n'être jamais si difficile à apaiser que quand elle a tort. Le moment d'ailleurs n'était pas commode pour les<br />

explications ; <strong>et</strong> ne voulant qu'une nuit, je consentais qu'ils se raccommodassent le lendemain.<br />

Vressac fut donc boudé à son r<strong>et</strong>our. Il voulut en demander la cause, on le querella. Il essaya de se<br />

justifier ; le mari qui était présent, servit de prétexte pour rompre la conversation ; il tenta enfin de profiter<br />

d'un moment où le mari était absent, pour demander qu'on voulût bien l'entendre le soir : ce fut alors que la<br />

Vicomtesse devint sublime. Elle s'indigna contre l'audace des hommes qui, parce qu'ils ont éprouvé les bontés<br />

d'une femme, croient avoir le droit d'en abuser encore, même alors qu'elle a à se plaindre d'eux ; <strong>et</strong> ayant<br />

changé de thèse par c<strong>et</strong>te adresse, elle parla si bien délicatesse <strong>et</strong> sentiment, que Vressac resta mu<strong>et</strong> <strong>et</strong><br />

confus ; <strong>et</strong> que moi−même je fus tenté de croire qu'elle avait raison : car vous saurez que comme ami de<br />

tous deux, j'étais en tiers dans c<strong>et</strong>te conversation.<br />

Enfin, elle déclara positivement qu'elle n'ajouterait pas les fatigues de l'amour à celles de la chasse, <strong>et</strong><br />

LETTRE LXXI 104

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