23.06.2013 Views

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

LETTRE C<br />

<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL<br />

Mon amie, je suis joué, trahi, perdu ; je suis au désespoir : Madame de Tourvel est partie. Elle est<br />

partie, <strong>et</strong> je ne l'ai pas su ! <strong>et</strong> je n'étais pas là pour m'opposer à son départ, pour lui reprocher son indigne<br />

trahison ! Ah ! ne croyez pas que je l'eusse laissée partir, elle serait restée ; oui, elle serait restée, eussé−je<br />

dû employer la violence. Mais quoi ! dans ma crédule sécurité, je dormais tranquillement ; je dormais, <strong>et</strong> la<br />

foudre est tombée sur moi. Non, je ne conçois rien à ce départ : il faut renoncer à connaître les femmes.<br />

Quand je me rappelle la journée d'hier ! que dis−je ? la soirée même ! Ce regard si doux, c<strong>et</strong>te voix si<br />

tendre ! <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te main serrée ! <strong>et</strong> pendant ce temps, elle proj<strong>et</strong>ait de me fuir ! Ô femmes, femmes !<br />

Plaignez−vous donc, si l'on vous trompe ! Mais oui, toute perfidie qu'on emploie est un vol qu'on vous fait.<br />

Quel plaisir j'aurai à me venger ! je la r<strong>et</strong>rouverai, c<strong>et</strong>te femme perfide ; je reprendrai mon empire sur<br />

elle. Si l'amour m'a suffi pour en trouver les moyens, que ne fera−t−il pas, aidé de la vengeance ? Je la verrai<br />

encore à mes genoux, tremblante <strong>et</strong> baignée de pleurs, me criant merci de sa trompeuse voix ; <strong>et</strong> moi, je serai<br />

sans pitié.<br />

Que fait−elle à présent ? que pense−t−elle ? Peut−être elle s'applaudit de m'avoir trompé ; <strong>et</strong> fidèle<br />

aux goûts de son sexe, ce plaisir lui paraît le plus doux. Ce que n'a pu la vertu tant vantée, l'esprit de ruse l'a<br />

produit sans effort. Insensé ! je redoutais sa sagesse ; c'était sa mauvaise foi que je devais craindre.<br />

Et être obligé de dévorer mon ressentiment ! n'oser montrer qu'une tendre douleur, quand j'ai le coeur<br />

rempli de rage ! me voir réduit à supplier encore une femme rebelle, qui s'est soustraite à mon empire !<br />

devais−je donc être humilié à ce point ? <strong>et</strong> par qui ? par une femme timide, <strong>et</strong> qui jamais ne s'est exercée à<br />

combattre. A quoi me sert de m'être établi dans son coeur, de l'avoir embrasé de tous les feux de l'amour,<br />

d'avoir porté jusqu'au délire le trouble de ses sens ; si tranquille dans sa r<strong>et</strong>raite, elle peut aujourd'hui<br />

s'enorgueillir de sa fuite plus que moi de mes victoires ? Et je le souffrirais ? mon amie, vous ne le croyez<br />

pas ; vous n'avez pas de moi c<strong>et</strong>te humiliante idée !<br />

Mais quelle fatalité m'attache à c<strong>et</strong>te femme ? cent autres ne désirent−elles pas mes soins ? ne<br />

s'empresseront−elles pas d'y répondre ? quand même aucune ne vaudrait celle−ci, l'attrait de la variété, le<br />

charme des nouvelles conquêtes, l'éclat de leur nombre, n'offrent−ils pas des plaisirs assez doux ? Pourquoi<br />

courir après celui qui nous fuit, <strong>et</strong> négliger ceux qui se présentent ? Ah ! pourquoi ? ... Je l'ignore, mais je<br />

l'éprouve fortement.<br />

Il n'est plus pour moi de bonheur, de repos, que par la possession de c<strong>et</strong>te femme que je hais <strong>et</strong> que<br />

j'aime avec une égale fureur. Je ne supporterai mon sort que du moment où je disposerai du sien. Alors<br />

tranquille <strong>et</strong> satisfait, je la verrai, à son tour, livrée aux orages que j'éprouve en ce moment, j'en exciterai<br />

mille autres encore. L'espoir <strong>et</strong> la crainte, la méfiance <strong>et</strong> la sécurité, tous les maux inventés par la haine, tous<br />

les biens accordés par l'amour, je veux qu'ils remplissent son coeur, qu'ils s'y succèdent à ma volonté. Ce<br />

temps viendra... Mais que de travaux encore ! que j'en étais près hier, <strong>et</strong> qu'aujourd'hui je m'en vois<br />

éloigné ! Comment m'en rapprocher ? je n'ose tenter aucune démarche ; je sens que pour prendre un parti il<br />

faudrait être plus calme, <strong>et</strong> mon sang bout dans mes veines.<br />

Ce qui redouble mon tourment, c'est le sang−froid avec lequel chacun répond ici a mes questions sur c<strong>et</strong><br />

événement, sur sa cause, sur tout ce qu'il offre d'extraordinaire. Personne ne sait rien, personne ne désire de<br />

rien savoir à peine en aurait−on parlé, si j'avais consenti qu'on parlât d'autre chose. Madame de Rosemonde,<br />

chez qui j'ai couru ce matin quand j'ai appris c<strong>et</strong>te nouvelle, m'a répondu avec le froid de son âge que c'était<br />

LETTRE C 163

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!