Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits
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LETTRE LXXX<br />
<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />
LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES<br />
Cécile, ma chère Cécile, quand viendra le temps de nous revoir ? qui m'apprendra à vivre loin de<br />
vous ? qui m'en donnera la force <strong>et</strong> le courage ? Jamais, non, jamais, je ne pourrai supporter c<strong>et</strong>te fatale<br />
absence. Chaque jour ajoute à mon malheur <strong>et</strong> n'y point voir de terme ! Valmont qui m'avait promis des<br />
secours, des consolations, Valmont me néglige, <strong>et</strong> peut−être m'oublie. Il est auprès de ce qu'il aime ; il ne<br />
sait plus ce qu'on souffre quand on en est éloigné. En me faisant passer votre dernière L<strong>et</strong>tre, il ne m'a point<br />
écrit. C'est lui pourtant qui doit m'apprendre quand je pourrai vous voir <strong>et</strong> par quel moyen. N'a−t−il donc rien<br />
à me dire ? Vous−même, vous ne m'en parlez pas, serait−ce que vous n'en partagez plus le désir ? Ah !<br />
Cécile, Cécile, je suis bien malheureux. Je vous aime plus que jamais : mais c<strong>et</strong> amour, qui fait le charme de<br />
ma vie, en devient le tourment.<br />
Non, je ne peux plus vivre ainsi, il faut que je vous voie, il le faut, ne fût−ce qu'un moment. Quand je<br />
me lève, je me dis ; «Je ne la verrai pas.» Je me couche en disant : «Je ne l'ai point vue.» <strong>Les</strong> journées si<br />
longues n'ont pas un moment pour le bonheur. Tout est privation, tout est regr<strong>et</strong>, tout est désespoir ; <strong>et</strong> tous<br />
ces maux me viennent d'où j'attendais tous mes plaisirs ! Ajoutez à ces peines mortelles mon inquiétude sur<br />
les vôtres, <strong>et</strong> vous aurez une idée de ma situation. Je pense à vous sans cesse, <strong>et</strong> n'y pense jamais sans trouble.<br />
Si je vous vois affligée, malheureuse, je souffre de tous vos chagrins ; si je vous vois tranquille <strong>et</strong> consolée,<br />
ce sont les miens qui redoublent. Partout je trouve le malheur.<br />
Ah ! qu'il n'en était pas ainsi, quand vous habitiez les mêmes lieux que moi ! Tout alors était plaisir. La<br />
certitude de vous voir embellissait même les moments de l'absence ; le temps qu'il fallait passer loin de vous<br />
m'approchait de vous en s'écoulant. L'emploi que j'en faisais ne vous était jamais étranger. Si je remplissais<br />
des devoirs, ils me rendaient plus digne de vous ; si je cultivais quelque talent, j'espérais vous plaire<br />
davantage. Lors même que les distractions du monde m'emportaient loin de vous, je n'en étais point séparé.<br />
Au Spectacle, je cherchais à deviner ce qui vous aurait plu ; un concert me rappelait vos talents <strong>et</strong> nos si<br />
douces occupations.<br />
Dans le cercle, comme aux promenades, je saisissais la plus légère ressemblance. Je vous comparais à<br />
tout ; partout vous aviez l'avantage. Chaque moment du jour était marqué par un hommage nouveau, <strong>et</strong><br />
chaque soir j'en apportais le tribut à vos pieds.<br />
A présent, que me reste−t−il ? des regr<strong>et</strong>s douloureux, des privations éternelles, <strong>et</strong> un léger espoir que<br />
le silence de Valmont diminue, que le vôtre change en inquiétude. Dix lieues seulement nous séparent, <strong>et</strong> c<strong>et</strong><br />
espace si facile à franchir devient pour moi seul un obstacle insurmontable ! <strong>et</strong> quand, pour m'aider à le<br />
vaincre, j'implore mon ami, ma Maîtresse, tous deux restent froids <strong>et</strong> tranquilles ! Loin de me secourir, ils ne<br />
me répondent même pas.<br />
Qu'est donc devenue l'amitié active de Valmont ? que sont devenus, surtout, vos sentiments si tendres,<br />
<strong>et</strong> qui vous rendaient si ingénieuse pour trouver les moyens de nous voir tous les jours ? Quelquefois, je<br />
m'en souviens, sans cesser d'en avoir le désir, je me trouvais forcé de le sacrifier à des considérations, à des<br />
devoirs ; que ne me disiez−vous pas alors ? par combien de prétextes ne combattiez−vous pas mes<br />
raisons ! Et qu'il vous en souvienne, ma Cécile, toujours mes raisons cédaient à vos désirs. Je ne m'en fais<br />
point un mérite ! je n'avais pas même celui du sacrifice. Ce que vous désiriez d'obtenir, je brûlais de<br />
l'accorder. Mais enfin je demande à mon tour : <strong>et</strong> quelle est c<strong>et</strong>te demande ? de vous voir un moment, de<br />
vous renouveler <strong>et</strong> de recevoir le serment d'un amour éternel. N'est−ce donc plus votre bonheur comme le<br />
mien ? Je repousse c<strong>et</strong>te idée désespérante, qui m<strong>et</strong>trait le comble à mes maux. Vous m'aimez, vous<br />
m'aimerez toujours ; je le crois, j'en suis sûr, je ne veux jamais en douter : mais ma situation est affreuse <strong>et</strong><br />
LETTRE LXXX 122