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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

du rendez−vous, portant de la lumière avec moi, <strong>et</strong> sous prétexte d'avoir sonné plusieurs fois inutilement.<br />

Mon confident, qui joue ses rôles à merveille, donna une p<strong>et</strong>ite scène de surprise, de désespoir <strong>et</strong> d'excuse,<br />

que je terminai en l'envoyant me faire chauffer de l'eau, dont je feignis avoir besoin ; tandis que la<br />

scrupuleuse Chambrière était d'autant plus honteuse, que le drôle qui avait voulu renchérir sur mes proj<strong>et</strong>s<br />

l'avait déterminée à une toil<strong>et</strong>te que la saison comportait, mais qu'elle n'excusait pas.<br />

Comme je sentais que plus c<strong>et</strong>te fille serait humiliée, plus j'en disposerais facilement, je ne lui permis de<br />

changer ni de situation ni de parure ; <strong>et</strong> après avoir ordonné à mon Val<strong>et</strong> de m'attendre chez moi, je m'assis à<br />

côté d'elle sur le lit qui était fort en désordre, <strong>et</strong> je commençai ma conversation. J'avais besoin de garder<br />

l'empire que la circonstance me donnait sur elle : aussi conservai−je un sang−froid qui eût fait honneur à la<br />

continence de Scipion ; <strong>et</strong> sans prendre la plus p<strong>et</strong>ite liberté avec elle, ce que pourtant sa fraîcheur <strong>et</strong><br />

l'occasion semblaient lui donner le droit d'espérer, je lui parlai d'affaires aussi tranquillement que j'aurais pu<br />

faire avec un Procureur.<br />

Mes conditions furent que je garderais fidèlement le secr<strong>et</strong>, pourvu que le lendemain, à pareille heure à<br />

peu près, elle me livrât les poches de sa Maîtresse. «Au reste», ajoutai−je, «je vous avais offert dix louis<br />

hier ; je vous les prom<strong>et</strong>s encore aujourd'hui. Je ne veux pas abuser de votre situation.» Tout fut accordé,<br />

comme vous pouvez croire ; alors je me r<strong>et</strong>irai, <strong>et</strong> permis à l'heureux couple de réparer le temps perdu.<br />

J'employai le mien à dormir ; <strong>et</strong> à mon réveil, voulant avoir un prétexte pour ne pas répondre à la L<strong>et</strong>tre de<br />

ma Belle avant d'avoir visité ses papiers, ce que je ne pouvais faire que la nuit suivante, je me décidai à aller à<br />

la chasse, où je restai presque tout le jour.<br />

A mon r<strong>et</strong>our, je fus reçu assez froidement. J'ai lieu de croire qu'on fut un peu piqué du peu<br />

d'empressement que je m<strong>et</strong>tais à profiter du temps qui me restait ; surtout après la L<strong>et</strong>tre plus douce que l'on<br />

m'avait écrite. J'en juge ainsi, sur ce que Madame de Rosemonde m'ayant fait quelques reproches sur c<strong>et</strong>te<br />

longue absence, ma Belle reprit avec un peu d'aigreur : «Ah ! ne reprochons pas à M. de Valmont de se<br />

livrer au seul plaisir qu'il peut trouver ici.» Je me plaignis de c<strong>et</strong>te injustice, <strong>et</strong> j'en profitai pour assurer que je<br />

me plaisais tant avec ces Dames, que j'y sacrifiais une L<strong>et</strong>tre très intéressante que j'avais à écrire. J'ajoutai<br />

que, ne pouvant trouver le sommeil depuis plusieurs nuits, j'avais voulu essayer si la fatigue me le rendrait ;<br />

<strong>et</strong> mes regards expliquaient assez <strong>et</strong> le suj<strong>et</strong> de ma L<strong>et</strong>tre, <strong>et</strong> la cause de mon insomnie. J'eus soin d'avoir<br />

toute la soirée une douceur mélancolique qui me parut réussir assez bien, <strong>et</strong> sous laquelle je masquai<br />

l'impatience où j'étais de voir arriver l'heure qui devait me livrer le secr<strong>et</strong> qu'on s'obstinait à me cacher. Enfin<br />

nous nous séparâmes, <strong>et</strong> quelque temps après, la fidèle Femme de chambre vint m'apporter le prix convenu de<br />

ma discrétion.<br />

Une fois maître de ce trésor, je procédai à l'inventaire avec la prudence que vous me connaissez : car il<br />

était important de rem<strong>et</strong>tre tout en place. Je tombai d'abord sur deux L<strong>et</strong>tres du mari, mélange indigeste de<br />

détails de procès <strong>et</strong> de tirades d'amour conjugal, que j'eus la patience de lire en entier, <strong>et</strong> où je ne trouvai pas<br />

un mot qui eût rapport à moi. Je les replaçai avec humeur : mais elle s'adoucit, en trouvant sous ma main les<br />

morceaux de ma fameuse L<strong>et</strong>tre de Dijon, soigneusement rassemblés. Heureusement il me prit fantaisie de la<br />

parcourir. Jugez de ma joie, en y apercevant les traces bien distinctes des larmes de mon adorable Dévote. Je<br />

l'avoue, je cédai à un mouvement de jeune homme, <strong>et</strong> baisai c<strong>et</strong>te L<strong>et</strong>tre avec un transport dont je ne me<br />

croyais plus susceptible. Je continuai l'heureux examen ; je r<strong>et</strong>rouvai toutes mes L<strong>et</strong>tres de suite, <strong>et</strong> par ordre<br />

de dates ; <strong>et</strong> ce qui me surprit plus agréablement encore, fut de r<strong>et</strong>rouver la première de toutes, celle que je<br />

croyais m'avoir été rendue par une ingrate, fidèlement copiée de sa main ; <strong>et</strong> d'une écriture altérée <strong>et</strong><br />

tremblante, qui témoignait assez la douce agitation de son coeur pendant c<strong>et</strong>te occupation.<br />

Jusque−là j'étais tout entier à l'Amour ; bientôt il fit place à la fureur. Qui croyez−vous qui veuille me<br />

perdre auprès de c<strong>et</strong>te femme que j'adore ? quelle Furie supposez−vous assez méchante pour tramer une<br />

pareille noirceur ? Vous la connaissez : c'est votre amie, votre parente ; c'est Madame de Volanges. Vous<br />

n'imaginez pas quel tissu d'horreurs l'infernale Mégère lui a écrit sur mon compte. C'est elle, elle seule, qui a<br />

LETTRE XLIV 67

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