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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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LETTRE CXXXIII<br />

<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL<br />

Quels sont donc, ma belle amie, ces sacrifices que vous jugez que je ne ferais pas, <strong>et</strong> dont pourtant le<br />

prix serait de vous plaire ? Faites−les−moi connaître seulement, <strong>et</strong> si je balance à vous les offrir, je vous<br />

perm<strong>et</strong>s d'en refuser l'hommage. Eh ! comment me jugez−vous depuis quelque temps, si, même dans votre<br />

indulgence, vous doutez de mes sentiments ou de mon énergie ? Des sacrifices que je ne voudrais ou ne<br />

pourrais pas faire ! Ainsi, vous me croyez amoureux, subjugué ? <strong>et</strong> le prix que j'ai mis au succès, vous me<br />

soupçonnez de l'attacher à la personne ? Ah ! grâces au Ciel, je n'en suis pas encore réduit là, <strong>et</strong> je m'offre à<br />

vous le prouver. Oui, je vous le prouverai, quand même ce devrait être envers Madame de Tourvel.<br />

Assurément, après cela, il ne doit pas vous rester de doute.<br />

J'ai pu, je crois, sans me comprom<strong>et</strong>tre, donner quelque temps à une femme, qui a au moins le mérite<br />

d'être d'un genre qu'on rencontre rarement. Peut−être aussi la saison morte dans laquelle est venue c<strong>et</strong>te<br />

aventure m'a fait m'y livrer davantage ; <strong>et</strong> encore à présent, qu'à peine le grand courant commence à<br />

reprendre, il n'est pas étonnant qu'elle m'occupe presque en entier. Mais songez donc qu'il n'y a guère que huit<br />

jours que je jouis du fruit de trois mois de soins. Je me suis si souvent arrêté davantage à ce qui valait bien<br />

moins, <strong>et</strong> ne m'avait pas tant coûté ! ... <strong>et</strong> jamais vous n'en avez rien conclu contre moi.<br />

Et puis, voulez−vous savoir la véritable cause de l'empressement que j'y m<strong>et</strong>s ? la voici. C<strong>et</strong>te femme<br />

est naturellement timide ; dans les premiers temps, elle doutait sans cesse de son bonheur, <strong>et</strong> ce doute<br />

suffisait pour le troubler : en sorte que je commence à peine a pouvoir remarquer jusqu'où va ma puissance<br />

en ce genre. C'est une chose que j'étais pourtant curieux de savoir ; <strong>et</strong> l'occasion ne s'en trouve pas si<br />

facilement qu'on le croit.<br />

D'abord, pour beaucoup de femmes, le plaisir est toujours le plaisir <strong>et</strong> n'est jamais que cela ; <strong>et</strong> auprès<br />

de celles−là, de quelque titre qu'on nous décore, nous ne sommes jamais que des facteurs, de simples<br />

commissionnaires, dont l'activité fait tout le mérite, <strong>et</strong> parmi lesquels, celui qui fait le plus est toujours celui<br />

qui fait le mieux.<br />

Dans une autre classe, peut−être la plus nombreuse aujourd'hui, la célébrité de l'Amant, le plaisir de<br />

l'avoir enlevé à une rivale, la crainte de se le voir enlever à son tour, occupent les femmes presque tout<br />

entières : nous entrons bien, plus ou moins, pour quelque chose dans l'espèce de bonheur dont elles<br />

jouissent ; mais il tient plus aux circonstances qu'à la personne. Il leur vient par nous, <strong>et</strong> non de nous.<br />

Il fallait donc trouver, pour mon observation, une femme délicate <strong>et</strong> sensible, qui fît son unique affaire<br />

de l'amour, <strong>et</strong> qui, dans l'amour même, ne vît que son Amant ; dont l'émotion, loin de suivre la route<br />

ordinaire, partît toujours du coeur, pour arriver aux sens ; que j'ai vue par exemple (<strong>et</strong> je ne parle pas du<br />

premier jour) sortir du plaisir tout éplorée, <strong>et</strong> le moment d'après r<strong>et</strong>rouver la volupté dans un mot qui<br />

répondait à son âme. Enfin, il fallait qu'elle réunît encore c<strong>et</strong>te candeur naturelle, devenue insurmontable par<br />

l'habitude de s'y livrer, <strong>et</strong> qui ne lui perm<strong>et</strong> de dissimuler aucun des sentiments de son coeur. Or, vous en<br />

conviendrez, de telles femmes sont rares ; <strong>et</strong> je puis croire que, sans celle−ci, je n'en aurais peut−être jamais<br />

rencontré.<br />

Il ne serait donc pas étonnant qu'elle me fixât plus longtemps qu'une autre, <strong>et</strong> si le travail que je veux<br />

faire sur elle exige que je la rende heureuse, parfaitement heureuse ! pourquoi m'y refuserais−je, surtout<br />

quand cela me sert, au lieu de me contrarier ? Mais de ce que l'esprit est occupé, s'ensuit−il que le coeur soit<br />

esclave ? non, sans doute. Aussi le prix que je ne me défends pas de m<strong>et</strong>tre à c<strong>et</strong>te aventure ne m'empêchera<br />

pas d'en courir d'autres, ou même de la sacrifier à de plus agréables.<br />

LETTRE CXXXIII 225

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