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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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LETTRE CXXIV<br />

<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE<br />

Au milieu de l'étonnement où m'a j<strong>et</strong>ée, Madame, la nouvelle que j'ai apprise hier, je n'oublie pas la<br />

satisfaction qu'elle doit vous causer, <strong>et</strong> je me hâte de vous en faire part. M. de Valmont ne s'occupe plus ni de<br />

moi ni de son amour ; <strong>et</strong> ne veut plus que réparer, par une vie plus édifiante, les fautes ou plutôt les erreurs<br />

de sa jeunesse. J'ai été informée de ce grand événement par le Père Anselme, auquel il s'est adressé pour le<br />

diriger à l'avenir, <strong>et</strong> aussi pour lui ménager une entrevue avec moi, dont je juge que l'obj<strong>et</strong> principal est de me<br />

rendre mes L<strong>et</strong>tres qu'il avait gardées jusqu'ici, malgré la demande contraire que je lui avais faite.<br />

Je ne puis, sans doute, qu'applaudir à c<strong>et</strong> heureux changement, <strong>et</strong> m'en féliciter, si, comme il le dit, j'ai<br />

pu y concourir en quelque chose. Mais pourquoi fallait−il que j'en fusse l'instrument, <strong>et</strong> qu'il m'en coûtât le<br />

repos de ma vie ? Le bonheur de M. de Valmont ne pouvait−il arriver jamais que par mon infortune ? Oh !<br />

mon indulgente amie, pardonnez−moi c<strong>et</strong>te plainte. Je sais qu'il ne m'appartient pas de sonder les décr<strong>et</strong>s de<br />

Dieu ; mais tandis que je lui demande sans cesse, <strong>et</strong> toujours vainement, la force de vaincre mon malheureux<br />

amour, il la prodigue à celui qui ne la lui demandait pas, <strong>et</strong> me laisse, sans secours, entièrement livrée à ma<br />

faiblesse.<br />

Mais étouffons ce coupable murmure. Ne sais−je pas que l'Enfant prodigue, à son r<strong>et</strong>our, obtint plus de<br />

grâces de son père que le fils qui ne s'était jamais absenté ? Quel compte avons−nous à demander à celui qui<br />

ne nous doit rien ? Et quand il serait possible que nous eussions quelques droits auprès de lui, quels<br />

pourraient être les miens ? Me vanterais−je d'une sagesse que déjà je ne dois qu'à Valmont ? Il m'a sauvée,<br />

<strong>et</strong> j'oserais me plaindre en souffrant pour lui ! Non : mes souffrances me seront chères, si son bonheur en est<br />

le prix. Sans doute il fallait qu'il revînt à son tour au Père commun. Le Dieu qui l'a formé devait chérir son<br />

ouvrage. Il n'avait point créé c<strong>et</strong> être charmant, pour n'en faire qu'un réprouvé. C'est à moi de porter la peine<br />

de mon audacieuse imprudence ; ne devais−je pas sentir que, puisqu'il m'était défendu de l'aimer, je ne<br />

devais pas me perm<strong>et</strong>tre de le voir ?<br />

Ma faute ou mon malheur est de m'être refusée trop longtemps à c<strong>et</strong>te vérité. Vous m'êtes témoin, ma<br />

chère <strong>et</strong> digne amie, que je me suis soumise à ce sacrifice, aussitôt que j'en ai reconnu la nécessité : mais,<br />

pour qu'il fût entier, il y manquait que M. de Valmont ne le partageât point. Vous avouerai−je que c<strong>et</strong>te idée<br />

est à présent ce qui me tourmente le plus ? Insupportable orgueil, qui adoucit les maux que nous éprouvons<br />

par ceux que nous faisons souffrir ! Ah ! je vaincrai ce coeur rebelle, je l'accoutumerai aux humiliations.<br />

C'est surtout pour y parvenir que j'ai enfin consenti à recevoir Jeudi prochain la pénible visite de M. de<br />

Valmont. Là, je l'entendrai me dire lui−même que je ne lui suis plus rien, que l'impression faible <strong>et</strong> passagère<br />

que j'avais faite sur lui est entièrement effacée ! Je verrai ses regards se porter sur moi, sans émotion, tandis<br />

que la crainte de déceler la mienne me fera baisser les yeux. Ces mêmes L<strong>et</strong>tres qu'il refusa si longtemps à<br />

mes demandes réitérées, je les recevrai de son indifférence ; il me les rem<strong>et</strong>tra comme des obj<strong>et</strong>s inutiles, <strong>et</strong><br />

qui ne l'intéressent plus ; <strong>et</strong> mes mains tremblantes, en recevant ce dépôt honteux, sentiront qu'il leur est<br />

remis d'une main ferme <strong>et</strong> tranquille ! Enfin, je le verrai s'éloigner... s'éloigner pour jamais, <strong>et</strong> mes regards,<br />

qui le suivront ne verront pas les siens se r<strong>et</strong>ourner sur moi !<br />

Et j'étais réservée à tant d'humiliation ! Ah ! que du moins je me la rende utile, en me pénétrant par<br />

elle du sentiment de ma faiblesse. Oui, ces L<strong>et</strong>tres qu'il ne se soucie plus de garder, je les conserverai<br />

précieusement. Je m'imposerai la honte de les relire chaque jour, jusqu'à ce que mes larmes en aient effacé les<br />

dernières traces ; <strong>et</strong> les siennes, je les brûlerai comme infectées du poison dangereux qui a corrompu mon<br />

âme. Oh ! qu'est−ce donc que l'amour, s'il nous fait regr<strong>et</strong>ter jusqu'aux dangers auxquels il nous expose ; si<br />

surtout on peut craindre de le ressentir encore, même alors qu'on ne l'inspire plus ! Fuyons c<strong>et</strong>te passion<br />

LETTRE CXXIV 207

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