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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

nous ne disputons plus que sur les mots. C'était toujours, à la vérité, son amitié qui répondait à mon amour :<br />

mais ce langage de convention ne changeait pas le fond des choses ; <strong>et</strong> quand nous serions restés ainsi, j'en<br />

aurais peut−être été moins vite, mais non pas moins sûrement. Déjà même il n'était plus question de<br />

m'éloigner, comme elle le voulait d'abord ; <strong>et</strong> pour les entr<strong>et</strong>iens que nous avons journellement, si je m<strong>et</strong>s<br />

mes soins à lui en offrir l'occasion, elle m<strong>et</strong> les siens à la saisir.<br />

Comme c'est ordinairement à la promenade que se passent nos p<strong>et</strong>its rendez− vous, le temps affreux<br />

qu'il a fait tout aujourd'hui ne me laissait rien espérer : j'en étais même vraiment contrarié ; je ne prévoyais<br />

pas combien je devais gagner à ce contr<strong>et</strong>emps.<br />

Ne pouvant se promener, on s'est mis à jouer en sortant de table ; <strong>et</strong> comme je joue peu, <strong>et</strong> que je ne<br />

suis plus nécessaire, j'ai pris ce temps pour monter chez moi, sans autre proj<strong>et</strong> que d'y attendre, à peu près, la<br />

fin de la partie.<br />

Je r<strong>et</strong>ournais joindre le cercle, quand j'ai trouvé la charmante femme qui entrait dans son appartement, <strong>et</strong><br />

qui, soit imprudence ou faiblesse, m'a dit de sa douce voix : «Où allez−vous donc ? Il n'y a personne au<br />

salon.» Il ne m'en a pas fallu davantage, comme vous pouvez croire, pour essayer d'entrer chez elle ; j'y ai<br />

trouvé moins de résistance que je ne m'y attendais. Il est vrai que j'avais eu la précaution de commencer la<br />

conversation a la porte, <strong>et</strong> de la commencer indifférente ; mais à peine avons−nous été établis, que j'ai<br />

ramené la véritable, <strong>et</strong> que j'ai parlé de mon amour à mon amie . Sa première réponse, quoique simple, m'a<br />

paru assez expressive : «Oh ! tenez, m'a−t−elle dit, ne parlons pas de cela ici», <strong>et</strong> elle tremblait. La pauvre<br />

femme ! elle se voit mourir.<br />

Pourtant elle avait tort de craindre. Depuis quelque temps, assuré du succès un jour ou l'autre, <strong>et</strong> la<br />

voyant user tant de force dans d'inutiles combats, j'avais résolu de ménager les miennes, <strong>et</strong> d'attendre sans<br />

effort qu'elle se rendît de lassitude. Vous sentez bien qu'ici il faut un triomphe compl<strong>et</strong>, <strong>et</strong> que je ne veux rien<br />

devoir à l'occasion. C'était même d'après ce plan formé, <strong>et</strong> pour pouvoir être pressant, sans m'engager trop,<br />

que je suis revenu à ce mot d'amour, si obstinément refusé ; sûr qu'on me croyait assez d'ardeur, j'ai essayé<br />

un ton plus tendre. Ce refus ne me fâchait plus, il m'affligeait ; ma sensible amie ne me devait−elle pas<br />

quelques consolations ?<br />

Tout en me consolant, une main était restée dans la mienne ; le joli corps était appuyé sur mon bras, <strong>et</strong><br />

nous étions extrêmement rapprochés. Vous avez sûrement remarqué combien, dans c<strong>et</strong>te situation, à mesure<br />

que la défense mollit, les demandes <strong>et</strong> les refus se passent de plus près ; comment la tête se détourne <strong>et</strong> les<br />

regards se baissent, tandis que les discours, toujours prononcés d'une voix faible, deviennent rares <strong>et</strong><br />

entrecoupés. Ces symptômes précieux annoncent, d'une manière non équivoque, le consentement de l'âme :<br />

mais rarement a−t−il encore passé jusqu'aux sens ; je crois même qu'il est toujours dangereux de tenter alors<br />

quelque entreprise trop marquée ; parce que c<strong>et</strong> état d'abandon n'étant jamais sans un plaisir très doux, on ne<br />

saurait forcer d'en sortir, sans causer une humeur qui tourne infailliblement au profit de la défense.<br />

Mais, dans le cas présent, la prudence m'était d'autant plus nécessaire, que j'avais surtout à redouter<br />

l'effroi que c<strong>et</strong> oubli d'elle−même ne manquerait pas de causer à ma tendre rêveuse. Aussi c<strong>et</strong> aveu que je<br />

demandais, je n'exigeais pas même qu'il fût prononcé ; un regard pouvait suffire ; un seul regard, <strong>et</strong> j'étais<br />

heureux.<br />

Ma belle amie, les beaux yeux se sont en eff<strong>et</strong> levés sur moi, la bouche céleste a même prononcé : «Eh<br />

bien ! oui, je...» Mais tout à coup le regard s'est éteint, la voix a manqué, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te femme adorable est tombée<br />

dans mes bras. A peine avais−je eu le temps de l'y recevoir, que se dégageant avec une force convulsive, la<br />

vue égarée, <strong>et</strong> les mains élevées vers le Ciel... «Dieu... ô mon Dieu, sauvez−moi», s'est−elle écriée ; <strong>et</strong><br />

sur−le−champ, plus prompte que l'éclair, elle était à genoux à dix pas de moi. Je l'entendais prête à suffoquer.<br />

Je me suis avancé pour la secourir ; mais elle, prenant mes mains qu'elle baignait de pleurs, quelquefois<br />

LETTRE XCIX 161

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