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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

Je ne me crois pas plus bête qu'un autre ; des moyens de déshonorer une femme, j'en ai trouvé cent, j'en<br />

ai trouvé mille : mais quand je me suis occupé de chercher comment elle pourrait s'en sauver, je n'en ai<br />

jamais vu la possibilité. Vous−même, ma belle amie, dont la conduite est un chef−d'oeuvre, cent fois j'ai cru<br />

vous voir plus de bonheur que de bien joué.<br />

Mais après tout, je cherche peut−être une raison à ce qui n'en a point. J'admire comment, depuis une<br />

heure, je traite sérieusement ce qui n'est, à coup sûr, qu'une plaisanterie de votre part. Vous allez vous moquer<br />

de moi ! Hé bien ! soit ; mais dépêchez−vous, <strong>et</strong> parlons d'autre chose. D'autre chose ! je me trompe, c'est<br />

toujours de la même ; toujours des femmes à avoir ou à perdre, <strong>et</strong> souvent tous les deux.<br />

J'ai ici, comme vous l'avez fort bien remarqué, de quoi m'exercer dans les deux genres, mais non pas<br />

avec la même facilité. Je prévois que la vengeance ira plus vite que l'amour. La p<strong>et</strong>ite Volanges est rendue,<br />

j'en réponds ; elle ne dépend plus que de l'occasion, <strong>et</strong> je me charge de la faire naître. Mais il n'en est pas de<br />

même de Madame de Tourvel : c<strong>et</strong>te femme est désolante, je ne la conçois pas ; j'ai cent preuves de son<br />

amour, mais j'en ai mille de sa résistance ; <strong>et</strong> en vérité, je crains qu'elle ne m'échappe.<br />

Le premier eff<strong>et</strong> qu'avait produit mon r<strong>et</strong>our me faisait espérer davantage. Vous devinez que je voulais<br />

en juger par moi−même ; <strong>et</strong> pour m'assurer de voir les premiers mouvements, je ne m'étais fait précéder par<br />

personne, <strong>et</strong> j'avais calculé ma route pour arriver pendant qu'on serait à table. En eff<strong>et</strong>, je tombai des nues,<br />

comme une Divinité d'Opéra qui vient faire un dénouement.<br />

Ayant fait assez de bruit en entrant pour fixer les regards sur moi, je pus voir du même coup d'oeil la<br />

joie de ma vieille tante, le dépit de Madame de Volanges, <strong>et</strong> le plaisir décontenancé de sa fille. Ma Belle, par<br />

la place qu'elle occupait, tournait le dos à la porte. Occupée dans ce moment à couper quelque chose, elle ne<br />

tourna seulement pas la tête : mais j'adressai la parole à Madame de Rosemonde ; <strong>et</strong> au premier mot, la<br />

sensible Dévote ayant reconnu ma voix, il lui échappa un cri dans lequel je crus reconnaître plus d'amour que<br />

de surprise <strong>et</strong> d'effroi. Je m'étais alors assez avancé pour voir sa figure : le tumulte de son âme, le combat de<br />

ses idées <strong>et</strong> de ses sentiments, s'y peignirent de vingt façons différentes. Je me mis à table à côté d'elle ; elle<br />

ne savait exactement rien de ce qu'elle faisait ni de ce qu'elle disait. Elle essaya de continuer de manger ; il<br />

n'y eut pas moyen : enfin, moins d'un quart d'heure après, son embarras <strong>et</strong> son plaisir devenant plus forts<br />

qu'elle, elle n'imagina rien de mieux que de demander permission de sortir de table, <strong>et</strong> elle se sauva dans le<br />

parc, sous le prétexte d'avoir besoin de prendre l'air. Madame de Volanges voulut l'accompagner ; la tendre<br />

Prude ne le permit pas : trop heureuse, sans doute, de trouver un prétexte pour être seule, <strong>et</strong> se livrer sans<br />

contrainte à la douce émotion de son coeur.<br />

J'abrégeai le dîner le plus qu'il me fut possible. A peine avait−on servi le dessert, que l'infernale<br />

Volanges, pressée apparemment du besoin de me nuire, se leva de sa place pour aller trouver la charmante<br />

malade : mais j'avais prévu ce proj<strong>et</strong>, <strong>et</strong> je le traversai. Je feignis donc de prendre ce mouvement particulier<br />

pour le mouvement général ; <strong>et</strong> m'étant levé en même temps, la p<strong>et</strong>ite Volanges <strong>et</strong> le Curé du lieu se<br />

laissèrent entraîner par ce double exemple ; en sorte que Madame de Rosemonde se trouva seule à table avec<br />

le vieux Commandeur de T. , <strong>et</strong> tous deux prirent aussi le parti d'en sortir. Nous allâmes donc tous rejoindre<br />

ma Belle, que nous trouvâmes dans le bosqu<strong>et</strong> près du Château ; <strong>et</strong> comme elle avait besoin de solitude <strong>et</strong><br />

non de promenade, elle aima autant revenir avec nous, que nous faire rester avec elle.<br />

Dès que je fus assuré que Madame de Volanges n'aurait pas l'occasion de lui parler seule, je songeai à<br />

exécuter vos ordres, <strong>et</strong> je m'occupai des intérêts de votre pupille. Aussitôt après le café, je montai chez moi,<br />

<strong>et</strong> j'entrai aussi chez les autres, pour reconnaître le terrain ; je fis mes dispositions pour assurer la<br />

correspondance de la p<strong>et</strong>ite ; <strong>et</strong> après ce premier bienfait, j'écrivis un mot pour l'en instruire <strong>et</strong> lui demander<br />

sa confiance ; je joignis mon bill<strong>et</strong> à la L<strong>et</strong>tre de Danceny. Je revins au salon. J'y trouvai ma Belle établie sur<br />

une chaise longue dans un abandon délicieux.<br />

LETTRE LXXVI 113

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