23.06.2013 Views

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

LETTRE CXXIX<br />

<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL<br />

Dites−moi donc, ma belle amie, d'où peut venir ce ton d'aigreur <strong>et</strong> de persiflage qui règne dans votre<br />

dernière L<strong>et</strong>tre ? Quel est donc ce crime que j'ai commis, apparemment sans m'en douter, <strong>et</strong> qui vous donne<br />

tant d'humeur ? J'ai eu l'air, me reprochez−vous, de compter sur votre consentement avant de l'avoir<br />

obtenu : mais je croyais que ce qui pourrait paraître de la présomption pour tout le monde ne pouvait jamais<br />

être pris, de vous à moi, que pour de la confiance : <strong>et</strong> depuis quand ce sentiment nuit−il à l'amitié ou à<br />

l'amour ? En réunissant l'espoir au désir, je n'ai fait que céder à l'impulsion naturelle, qui nous fait nous<br />

placer toujours le plus près possible du bonheur que nous cherchons ; <strong>et</strong> vous avez pris pour l'eff<strong>et</strong> de<br />

l'orgueil ce qui ne l'était que de mon empressement. Je sais fort bien que l'usage a introduit, dans ce cas, un<br />

doute respectueux : mais vous savez aussi que ce n'est qu'une forme, un simple protocole ; <strong>et</strong> j'étais, ce me<br />

semble, autorisé à croire que ces précautions minutieuses n'étaient plus nécessaires entre nous.<br />

Il me semble même que c<strong>et</strong>te marche franche <strong>et</strong> libre, quand elle est fondée sur une ancienne liaison, est<br />

bien préférable à l'insipide cajolerie qui affadit si souvent l'amour. Peut−être, au reste, le prix que je trouve à<br />

c<strong>et</strong>te manière ne vient−il que de celui que j'attache au bonheur qu'elle me rappelle : mais par là même, il me<br />

serait plus pénible encore de vous voir en juger autrement.<br />

Voilà pourtant le seul tort que je me connaisse : car je n'imagine pas que vous ayez pu penser<br />

sérieusement qu'il existât une femme dans le monde qui me parût préférable à vous ; <strong>et</strong> encore moins que<br />

j'aie pu vous apprécier aussi mal que vous feignez de le croire. Vous vous êtes regardée, me dites−vous, à ce<br />

suj<strong>et</strong>, <strong>et</strong> vous ne vous êtes pas trouvée déchue à ce point. Je le crois bien, <strong>et</strong> cela prouve seulement que votre<br />

miroir est fidèle. Mais n'auriez−vous pas pu en conclure avec plus de facilité <strong>et</strong> de justice qu'à coup sûr je<br />

n'avais pas jugé ainsi de vous ?<br />

Je cherche vainement une cause à c<strong>et</strong>te étrange idée. Il me semble pourtant qu'elle tient, de plus ou<br />

moins près, aux éloges que je me suis permis de donner à d'autres femmes. Je l'infère au moins de votre<br />

affectation à relever les épithètes d'adorable, de céleste, d'attachante , dont je me suis servi en vous parlant<br />

de Madame de Tourvel, ou de la p<strong>et</strong>ite Volanges. Mais ne savez− vous pas que ces mots, plus souvent pris au<br />

hasard que par réflexion, expriment moins le cas que l'on fait de la personne que la situation dans laquelle on<br />

se trouve quand on en parle ? Et si, dans le moment même où j'étais si vivement affecté ou par l'une ou par<br />

l'autre, je ne vous en désirais pourtant pas moins ; si je vous donnais une préférence marquée sur toutes<br />

deux, puisque enfin je ne pouvais renouveler notre première liaison qu'au préjudice es deux autres, je ne crois<br />

pas qu'il y ait là si grand suj<strong>et</strong> de reproche.<br />

Il ne me sera pas plus difficile de me justifier sur le charme inconnu dont vous me paraissez aussi un<br />

peu choquée : car d'abord, de ce qu'il est inconnu, il ne s'ensuit pas qu'il soit plus fort. Hé ! qui pourrait<br />

l'emporter sur les délicieux plaisirs que vous seule savez rendre toujours nouveaux, comme toujours plus<br />

vifs ? J'ai donc voulu dire seulement que celui−là était d'un genre que je n'avais pas encore éprouvé ; mais<br />

sans prétendre lui assigner de classe ; <strong>et</strong> j'avais ajouté, ce que je répète aujourd'hui, que, quel qu'il soit, je<br />

saurai le combattre <strong>et</strong> le vaincre. J'y m<strong>et</strong>trai bien plus de zèle encore, si je peux voir dans ce léger travail un<br />

hommage à vous offrir.<br />

Pour la p<strong>et</strong>ite Cécile, je crois bien inutile de vous en parler. Vous n'avez pas oublié que c'est à votre<br />

demande que je me suis chargé de c<strong>et</strong>te enfant, <strong>et</strong> je n'attends que votre congé pour m'en défaire. J'ai pu<br />

remarquer son ingénuité <strong>et</strong> sa fraîcheur ; j'ai pu même la croire un moment attachante , parce que, plus ou<br />

moins, on se complaît toujours un peu dans son ouvrage : mais assurément, elle n'a assez de consistance en<br />

aucun genre pour fixer en rien l'attention.<br />

LETTRE CXXIX 218

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!