23.06.2013 Views

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LETTRE CXLIX<br />

<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE<br />

J'ai espéré hier, presque toute la journée, ma digne amie, pouvoir vous donner ce matin des nouvelles<br />

plus favorables de la santé de notre chère malade : mais depuis hier au soir c<strong>et</strong> espoir est détruit, <strong>et</strong> il ne me<br />

reste que le regr<strong>et</strong> de l'avoir perdu. Un événement, bien indifférent en apparence, mais bien cruel par les<br />

suites qu'il a eues, a rendu l'état de la malade au moins aussi fâcheux qu'il était auparavant, si même il n'a pas<br />

empiré.<br />

Je n'aurais rien compris à c<strong>et</strong>te révolution subite, si je n'avais reçu hier l'entière confidence de notre<br />

malheureuse amie. Comme elle ne m'a pas laissé ignorer que vous étiez instruite aussi de toutes ses<br />

infortunes, je puis vous parler sans réserve sur sa triste situation.<br />

Hier matin, quand je suis arrivée au Couvent, on me dit que la malade dormait depuis plus de trois<br />

heures ; <strong>et</strong> son sommeil était si profond <strong>et</strong> si tranquille que j'eus peur un moment qu'il ne fût léthargique.<br />

Quelque temps après elle se réveilla, <strong>et</strong> ouvrit elle−même les rideaux de son lit. Elle nous regarda tous avec<br />

l'air de la surprise ; <strong>et</strong> comme je me levais pour aller à elle, elle me reconnut, me nomma, <strong>et</strong> me pria<br />

d'approcher. Elle ne me laissa le temps de lui faire aucune question, <strong>et</strong> me demanda où elle était, ce que nous<br />

faisions là, si elle était malade, <strong>et</strong> pourquoi elle n'était pas chez elle ? Je crus d'abord que c'était un nouveau<br />

délire, seulement plus tranquille que le précédent : mais je m'aperçus qu'elle entendait fort bien mes<br />

réponses. Elle avait en eff<strong>et</strong> r<strong>et</strong>rouvé sa tête mais non pas sa mémoire.<br />

Elle me questionna, avec beaucoup de détail, sur tout ce qui lui était arrivé depuis qu'elle était au<br />

Couvent, où elle ne se souvenait pas d'être venue. Je lui répondis exactement, en supprimant seulement ce qui<br />

aurait pu la trop effrayer : <strong>et</strong> lorsque à mon tour je lui demandai comment elle se trouvait, elle me répondit<br />

qu'elle ne souffrait pas dans ce moment ; mais qu'elle avait été bien tourmentée pendant son sommeil <strong>et</strong><br />

qu'elle se sentait fatiguée. Je l'engageai à se tranquilliser <strong>et</strong> à parler peu ; après quoi, je refermai en partie ses<br />

rideaux, que je laissai entrouverts, <strong>et</strong> je m'assis auprès de son lit. Dans le même temps, on lui proposa un<br />

bouillon qu'elle prit <strong>et</strong> qu'elle trouva bon.<br />

Elle resta ainsi environ une demi−heure, durant laquelle elle ne parla que pour me remercier des soins<br />

que je lui avais donnés ; <strong>et</strong> elle mit dans ses remerciements l'agrément <strong>et</strong> la grâce que vous lui connaissez.<br />

Ensuite elle garda pendant quelque temps un silence absolu, qu'elle ne rompit que pour dire : «Ah ! oui, je<br />

me ressouviens d'être venue ici», <strong>et</strong> un moment après elle s'écria douloureusement : Mon amie, mon amie,<br />

plaignez−moi ; je r<strong>et</strong>rouve tous mes malheurs.» Comme alors je m'avançai vers elle, elle saisit ma main, <strong>et</strong><br />

s'y appuyant la tête : «Grand Dieu ! continua−t−elle, ne puis−je donc mourir ? » Son expression, plus<br />

encore que ses discours, m'attendrit jusqu'aux larmes ; elle s'en aperçut à ma voix, <strong>et</strong> me dit : «Vous me<br />

plaignez ! Ah ! si vous connaissiez ! ... « Et puis s'interrompant : «Faites «qu'on nous laisse seules, <strong>et</strong> je<br />

vous dirai tout.»<br />

Ainsi que je crois vous l'avoir marqué, j'avais déjà des soupçons sur ce qui devait faire le suj<strong>et</strong> de c<strong>et</strong>te<br />

confidence ; <strong>et</strong> craignant que c<strong>et</strong>te conversation, que je prévoyais devoir être longue <strong>et</strong> triste, ne nuisît<br />

peut−être à l'état de notre malheureuse amie, je m'y refusai d'abord, sous prétexte qu'elle avait besoin de<br />

repos : mais elle insista, <strong>et</strong> je me rendis à ses instances. Dès que nous fûmes seules, elle m'apprit tout ce que<br />

déjà vous avez su d'elle, <strong>et</strong> que par c<strong>et</strong>te raison je ne vous répéterai point.<br />

Enfin, en me parlant de la façon cruelle dont elle avait été sacrifiée, elle ajouta : «Je me croyais bien<br />

sûre d'en mourir, <strong>et</strong> j'en avais le courage ; mais de survivre à mon malheur <strong>et</strong> à ma honte, c'est ce qui m'est<br />

impossible.» Je tentai de combattre ce découragement ou plutôt ce désespoir, avec les armes de la Religion,<br />

LETTRE CXLIX 251

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!