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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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même embrassant mes genoux : «Oui, ce sera vous, disait− elle, ce sera vous qui me sauverez ! Vous ne<br />

voulez pas ma mort, laissez−moi ; sauvez−moi ; laissez−moi ; au nom de Dieu, laissez−moi ! » Et ces<br />

discours peu suivis s'échappaient à peine à travers des sanglots redoublés. Cependant elle me tenait avec une<br />

force qui ne m'aurait pas permis de m'éloigner ; alors rassemblant les miennes, je l'ai soulevée dans mes<br />

bras. Au même instant les pleurs ont cessé ; elle ne parlait plus ; tous ses membres se sont roidis, <strong>et</strong> de<br />

violentes convulsions ont succédé à c<strong>et</strong> orage.<br />

J'étais, je l'avoue, vivement ému, <strong>et</strong> je crois que j'aurais consenti à sa demande, quand les circonstances<br />

ne m'y auraient pas forcé. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'après lui avoir donné quelques secours, je l'ai laissée<br />

comme elle m'en priait, <strong>et</strong> que je m'en félicite. Déjà j'en ai presque reçu le prix.<br />

Je m'attendais qu'ainsi que le jour de ma première déclaration, elle ne se montrerait pas de la soirée.<br />

Mais vers les huit heures, elle est descendue au salon, <strong>et</strong> a seulement annoncé au cercle qu'elle s'était trouvée<br />

fort incommodée. Sa figure était abattue, sa voix faible, <strong>et</strong> son maintien composé ; mais son regard était<br />

doux, <strong>et</strong> souvent il s'est fixé sur moi. Son refus de jouer m'ayant même obligé de prendre sa place, elle a pris<br />

la sienne à mon côté. Pendant le souper, elle est restée seule dans le salon. Quand on y est revenu, j'ai cru<br />

m'apercevoir qu'elle avait pleuré : pour m'en éclaircir, je lui ai dit qu'il me semblait qu'elle s'était encore<br />

ressentie de son incommodité ; à quoi elle m'a obligeamment répondu : «Ce mal−là ne s'en va pas si vite<br />

qu'il vient ! » Enfin quand on s'est r<strong>et</strong>iré, je lui ai donné la main ; <strong>et</strong> à la porte de son appartement elle a<br />

serré la mienne avec force. Il est vrai que ce mouvement m'a paru avoir quelque chose d'involontaire : mais<br />

tant mieux ; c'est une preuve de plus de mon empire.<br />

Je parierais qu'à présent elle est enchantée d'en être là : tous les frais sont faits ; il ne reste plus qu'à<br />

jouir. Peut−être, pendant que je vous écris, s'occupe−t−elle déjà de c<strong>et</strong>te douce idée ! <strong>et</strong> quand même elle<br />

s'occuperait, au contraire, d'un nouveau proj<strong>et</strong> de défense, ne savons−nous pas bien ce que deviennent tous<br />

ces proj<strong>et</strong>s−là ? Je vous le demande, cela peut−il aller plus loin que notre prochaine entrevue ? Je m'attends<br />

bien, par exemple, qu'il y aura quelques façons pour l'accorder, mais bon ! le premier pas franchi, ces Prudes<br />

austères savent−elles s'arrêter ? leur amour est une véritable explosion ; la résistance y donne plus de force.<br />

Ma farouche Dévote courrait après moi, si je cessais de courir après elle.<br />

Enfin, ma belle amie, incessamment j'arriverai chez vous, pour vous sommer de votre parole. Vous<br />

n'avez pas oublié sans doute ce que vous m'avez promis après le succès ; c<strong>et</strong>te infidélité à votre Chevalier ?<br />

êtes−vous prête ? pour moi je le désire comme si nous ne nous étions jamais connus. Au reste, vous<br />

connaître est peut−être une raison pour le désirer davantage :<br />

Je suis juste, <strong>et</strong> ne suis point galant [VOLTAIRE, Comédie de Nanine].<br />

Aussi ce sera la première infidélité que je ferai à ma grave conquête ; <strong>et</strong> je vous prom<strong>et</strong>s de profiter du<br />

premier prétexte pour m'absenter vingt−quatre heures d'auprès d'elle. Ce sera sa punition, de m'avoir tenu si<br />

longtemps éloigné de vous. Savez−vous que voilà plus de deux mois que c<strong>et</strong>te aventure m'occupe ? oui,<br />

deux mois <strong>et</strong> trois jours ; il est vrai que je compte demain, puisqu'elle ne sera véritablement consommée<br />

qu'alors. Cela me rappelle que Mademoiselle de B*** a résisté les trois mois compl<strong>et</strong>s. Je suis bien aise de<br />

voir que la franche coqu<strong>et</strong>terie a plus de défense que l'austère vertu.<br />

Adieu, ma belle amie ; il faut vous quitter, car il est fort tard. C<strong>et</strong>te L<strong>et</strong>tre m'a mené plus loin que je ne<br />

comptais ; mais comme j'envoie demain matin à Paris, j'ai voulu en profiter, pour vous faire partager un jour<br />

plus tôt la joie de votre ami.<br />

Du Château de ..., ce 2 octobre 17**, au soir.<br />

<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

LETTRE XCIX 162

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