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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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LETTRE CL<br />

<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

LE CHEVALIER DANCENY A LA MARQUISE DE MERTEUIL<br />

En attendant le bonheur de te voir, je me livre, ma tendre amie, au plaisir de t'écrire ; <strong>et</strong> c'est en<br />

m'occupant de toi, que je charme le regr<strong>et</strong> d'en être éloigné. Te tracer mes sentiments, me rappeler les tiens<br />

est pour mon coeur une vraie jouissance ; <strong>et</strong> c'est par elle que le temps même des privations m'offre encore<br />

mille biens précieux à mon amour. Cependant, s'il faut t'en croire, je n'obtiendrai point de réponse de toi :<br />

c<strong>et</strong>te L<strong>et</strong>tre même sera la dernière ; <strong>et</strong> nous nous priverons d'un commerce qui, selon toi, est dangereux, <strong>et</strong><br />

dont nous n'avons pas besoin . Sûrement je t'en croirai, si tu persistes : car que peux−tu vouloir, que par c<strong>et</strong>te<br />

raison même je ne le veuille aussi ? Mais avant de te décider entièrement, ne perm<strong>et</strong>tras−tu pas que nous en<br />

causions ensemble ?<br />

Sur l'article des dangers, tu dois juger seule : je ne puis rien calculer, <strong>et</strong> je m'en tiens à te prier de veiller<br />

à ta sûr<strong>et</strong>é, car je ne puis être tranquille quand tu seras inquiète. Pour c<strong>et</strong> obj<strong>et</strong>, ce n'est pas nous deux qui ne<br />

sommes qu'un, c'est toi qui es nous deux.<br />

Il n'en est pas de même sur le besoin ; ici nous ne pouvons avoir qu'une même pensée ; <strong>et</strong> si nous<br />

différons d'avis, ce ne peut être que faute de nous expliquer ou de nous entendre. Voici donc ce que je crois<br />

sentir.<br />

Sans doute, une L<strong>et</strong>tre paraît bien peu nécessaire, quand on peut se voir librement. Que dirait−elle, qu'un<br />

mot, un regard, ou même le silence, n'exprimassent cent fois mieux encore ? Cela me paraît si vrai que, dans<br />

le moment où tu me parlas de ne plus nous écrire, c<strong>et</strong>te idée glissa facilement sur mon âme ; elle la gêna<br />

peut−être, mais ne l'affecta point. Tel à peu près, quand voulant donner un baiser sur ton coeur, je rencontre<br />

un ruban ou une gaze, je l'écarte seulement, <strong>et</strong> n'ai cependant pas le sentiment d'un obstacle.<br />

Mais depuis, nous nous sommes séparés ; <strong>et</strong> dès que tu n'as plus été là, c<strong>et</strong>te idée de L<strong>et</strong>tre est revenue<br />

me tourmenter. Pourquoi, me suis−je dit, c<strong>et</strong>te privation de plus ? Quoi ! pour être éloignés, n'a−t−on plus<br />

rien à se dire ? Je suppose que, favorisés par les circonstances, on passe ensemble une journée entière ;<br />

faudra−t−il prendre le temps de causer sur celui de jouir ? Oui, de jouir, ma tendre amie ; car auprès de toi,<br />

les moments même du repos fournissent encore une jouissance délicieuse. Enfin, quel que soit le temps, on<br />

finit par se séparer, <strong>et</strong> puis, on est si seul ! C'est alors qu'une L<strong>et</strong>tre est si précieuse ; si on ne la lit pas, du<br />

moins on la regarde... Ah ! sans doute, on peut regarder une L<strong>et</strong>tre sans la lire, comme il me semble que la<br />

nuit j'aurais encore quelque plaisir à toucher ton portrait...<br />

Ton portrait, ai−je dit ? Mais une L<strong>et</strong>tre est le portrait de l'âme. Elle n'a pas, comme une froide image,<br />

c<strong>et</strong>te stagnance si éloignée de l'amour ; elle se prête à tous nos mouvements : tour à tour elle s'anime, elle<br />

jouit, elle se repose... Tes sentiments me sont tous si précieux ! me priveras−tu d'un moyen de les<br />

recueillir ?<br />

Es−tu donc sûre que le besoin de m'écrire ne te tourmentera jamais ? Si dans la solitude, ton coeur se<br />

dilate ou s'oppresse, si un mouvement de joie passe jusqu'à ton âme, si une tristesse involontaire vient la<br />

troubler un moment ; ce ne sera donc pas dans le sein de ton ami que tu répandras ton bonheur ou ta peine ?<br />

tu auras donc un sentiment qu'il ne partagera pas ? tu le laisseras donc, rêveur <strong>et</strong> solitaire, s'égarer loin de<br />

toi ? Mon amie... ma tendre amie ! Mais c'est à toi qu'il appartient de prononcer. J'ai voulu discuter<br />

seulement, <strong>et</strong> non pas te séduire ; je ne t'ai dit que des raisons, j'ose croire que j'eusse été plus fort par des<br />

prières. Je tâcherai donc, si tu persistes, de ne pas m'affliger ; je ferai mes efforts pour me dire ce que tu<br />

m'aurais écrit, mais tiens, tu le dirais mieux que moi ; <strong>et</strong> j'aurais surtout plus de plaisir à l'entendre.<br />

LETTRE CL 253

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