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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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LETTRE XCIX<br />

<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL<br />

Encore de p<strong>et</strong>its événements, ma belle amie ; mais des scènes seulement, point d'actions. Ainsi,<br />

armez−vous de patience ; prenez−en même beaucoup : car tandis que ma Présidente marche à si p<strong>et</strong>its pas,<br />

votre pupille recule, <strong>et</strong> c'est bien pis encore. Hé bien ! j'ai le bon esprit de m'amuser de ces misères−là.<br />

Véritablement je m'accoutume fort bien à mon séjour ici ; <strong>et</strong> je puis dire que dans le triste Château de ma<br />

vieille tante, je n'ai pas éprouvé un moment d'ennui. Au fait, n'y ai−je pas jouissances, privations, espoir,<br />

incertitude ? Qu'a− t−on de plus sur un plus grand théâtre ? des spectateurs ? Hé ! laissez faire, ils ne<br />

manqueront pas. S'ils ne me voient pas à l'ouvrage, je leur montrerai ma besogne faite ; ils n'auront plus qu'à<br />

admirer <strong>et</strong> applaudir. Oui, ils applaudiront ; car je puis enfin prédire, avec certitude, le moment de la chute<br />

de mon austère Dévote. J'ai assisté ce soir à l'agonie de la vertu. La douce faiblesse va régner à sa place. Je<br />

n'en fixe pas l'époque plus tard qu'à notre première entrevue : mais déjà je vous entends crier à l'orgueil.<br />

Annoncer sa victoire, se vanter à l'avance. Hé, là, là, calmez−vous ! Pour vous prouver ma modestie, je vais<br />

commencer par l'histoire de ma défaite.<br />

En vérité, votre pupille est une p<strong>et</strong>ite personne bien ridicule ! C'est bien un enfant qu'il faudrait traiter<br />

comme tel, <strong>et</strong> à qui on ferait grâce en ne le m<strong>et</strong>tant qu'en pénitence ! Croiriez−vous qu'après ce qui s'est<br />

passé avant−hier entre elle <strong>et</strong> moi, après la façon amicale dont nous nous sommes quittés hier matin ; lorsque<br />

j'ai voulu y r<strong>et</strong>ourner le soir, comme elle en était convenue, j'ai trouvé sa porte fermée en dedans ? Qu'en<br />

dites−vous ? on éprouve quelquefois de ces enfantillages−là la veille : mais le lendemain ! cela n'est−il pas<br />

plaisant ?<br />

Je n'en ai pourtant pas ri d'abord, jamais je n'avais autant senti l'empire de mon caractère. Assurément<br />

j'allais à ce rendez−vous sans plaisir, <strong>et</strong> uniquement par procédé. Mon lit, dont j'avais grand besoin, me<br />

semblait, pour le moment, préférable à celui de tout autre, <strong>et</strong> je ne m'en étais éloigné qu'à regr<strong>et</strong>. Cependant je<br />

n'ai pas eu plutôt trouvé un obstacle que je brûlais de le franchir ; j'étais humilié, surtout, qu'un enfant m'eût<br />

joué. Je me r<strong>et</strong>irai donc avec beaucoup d'humeur : <strong>et</strong> dans le proj<strong>et</strong> de ne plus me mêler de ce sot enfant, ni<br />

de ses affaires, je lui avais écrit, sur−le−champ, un bill<strong>et</strong> que je comptais lui rem<strong>et</strong>tre aujourd'hui, <strong>et</strong> où je<br />

l'évaluais à son juste prix. Mais, comme on dit, la nuit porte conseil ; j'ai trouvé ce matin que, n'ayant pas ici<br />

le choix des distractions, il fallait garder celle−là ; j'ai donc supprimé le sévère bill<strong>et</strong>. Depuis que j'y ai<br />

réfléchi, je ne reviens pas d'avoir eu l'idée de finir une aventure, avant d'avoir en main de quoi en perdre<br />

l'Héroïne. Où nous mène pourtant un premier mouvement ! Heureux, ma belle amie, qui a su, comme vous,<br />

s'accoutumer à n'y jamais céder. Enfin j'ai différé ma vengeance ; j'ai fait ce sacrifice à vos vues sur Gercourt.<br />

A présent que je ne suis plus en colère, je ne vois plus que du ridicule dans la conduite de votre pupille.<br />

En eff<strong>et</strong>, je voudrais bien savoir ce qu'elle espère gagner par là ! pour moi je m'y perds : si ce n'est que pour<br />

se défendre, il faut convenir qu'elle s'y prend un peu tard. Il faudra bien qu'un jour elle me dise le mot de c<strong>et</strong>te<br />

énigme ! J'ai grande envie de le savoir. C'est peut−être seulement qu'elle se trouvait fatiguée ? franchement<br />

cela se pourrait ; car sans doute elle ignore encore que les flèches de l'Amour, comme la lance d'Achille,<br />

portent avec elles le remède aux blessures qu'elles font. Mais non, à sa p<strong>et</strong>ite grimace de toute la journée, je<br />

parierais qu'il entre là−dedans du repentir... là... quelque chose... comme de la vertu... De la vertu ! ... c'est<br />

bien à elle qu'il convient d'en avoir ! Ah ! qu'elle la laisse à la femme véritablement née pour elle, la seule<br />

qui sache l'embellir, qui la ferait aimer ! ... Pardon, ma belle amie : mais c'est ce soir même que s'est passée,<br />

entre Madame de Tourvel <strong>et</strong> moi, la scène dont j'ai à vous rendre compte, <strong>et</strong> j'en conserve encore quelque<br />

émotion. J'ai besoin de me faire violence pour me distraire de l'impression qu'elle m'a faite, c'est même pour<br />

m'y aider, que je me suis mis à vous écrire. Il faut pardonner quelque chose à ce premier moment.<br />

Il y a déjà quelques jours que nous sommes d'accord, Madame de Tourvel <strong>et</strong> moi, sur nos sentiments ;<br />

LETTRE XCIX 160

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