23.06.2013 Views

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LETTRE CLXV<br />

<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE<br />

Je vous sais déjà instruite, ma chère <strong>et</strong> digne amie, de la perte que vous venez de faire ; je connaissais<br />

votre tendresse pour M. de Valmont, <strong>et</strong> je partage bien sincèrement l'affliction que vous devez ressentir. Je<br />

suis vraiment peinée d'avoir à ajouter de nouveaux regr<strong>et</strong>s à ceux que vous éprouvez déjà : mais hélas ! il<br />

rie vous reste non plus que des larmes à donner à notre malheureuse amie. Nous l'avons perdue, hier, à onze<br />

heures du soir. Par une fatalité attachée à son sort, <strong>et</strong> qui semblait se jouer de toute prudence humaine, ce<br />

court intervalle qu'elle a survécu à M. de Valmont lui a suffi pour en apprendre la mort ; <strong>et</strong>, comme elle a dît<br />

elle−même, pour n'avoir pu succomber sous le poids de ses malheurs qu'après que la mesure en a été comblée.<br />

En eff<strong>et</strong>, vous avez su que depuis plus de deux jours elle était absolument sans connaissance ; <strong>et</strong> encore<br />

hier matin, quand son Médecin arriva que nous approchames de son lit, elle ne nous reconnut ni l'un ni l'autre,<br />

<strong>et</strong> nous ne pûmes en obtenir ni une parole, ni le moindre signe. Hé bien ! à peine étions− nous revenus à la<br />

cheminée, <strong>et</strong> pendant que le Médecin m'apprenait le triste événement de la mort de M. de Valmont, c<strong>et</strong>te<br />

femme infortunée a r<strong>et</strong>rouvé toute sa tête, soit que la nature seule ait produit c<strong>et</strong>te révolution, soit qu'elle ait<br />

été causée par ces mots répétés de M. de Valmont <strong>et</strong> de mort , qui ont pu rappeler à la malade les seules idées<br />

dont elle s'occupait depuis longtemps.<br />

Quoi qu'il en soit, elle ouvrit précipitamment les rideaux de son lit en s'écriant : «Quoi ! que dites<br />

vous ? M. de Valmont est mort ? » J'espérais lui faire croire qu'elle s'était trompée, <strong>et</strong> je l'assurai d'abord<br />

qu'elle avait mal entendu : mais loin de se laisser persuader ainsi, elle exigea du Médecin qu'il recommençât<br />

ce cruel récit ; <strong>et</strong> sur ce que je voulus essayer encore de la dissuader, elle m'appela <strong>et</strong> me dit à voix basse :<br />

«Pourquoi vouloir me tromper ? n'était−il pas déjà mort pour moi ! » Il a donc fallu céder.<br />

Notre malheureuse amie a écouté d'abord d'un air assez tranquille, mais bientôt après, elle a interrompu<br />

le récit, en disant : «Assez, j'en ai assez.» Elle a demandé sur−le−champ qu'on fermât ses rideaux <strong>et</strong> lorsque<br />

le Médecin a voulu s'occuper ensuite des soins de son état, elle n'a jamais voulu souffrir qu'il approchât d'elle.<br />

Dès qu'il a été sorti, elle a pareillement renvoyé sa garde <strong>et</strong> sa Femme de chambre ; <strong>et</strong> quand nous<br />

avons été seules, elle m'a priée de l'aider à se m<strong>et</strong>tre à genoux sur son lit, <strong>et</strong> de l'y soutenir. Là, elle est restée<br />

quelque temps en silence, <strong>et</strong> sans autre expression que celle de ses larmes qui coulaient abondamment. Enfin,<br />

joignant ses mains <strong>et</strong> les élevant vers le Ciel : «Dieu tout−puissant», a−t−elle dit d'une voix faible, mais<br />

fervente, «je me soum<strong>et</strong>s à ta justice : mais pardonne à Valmont. Que mes malheurs, que je reconnais avoir<br />

mérités, ne lui soient pas un suj<strong>et</strong> de reproche, <strong>et</strong> je bénirai ta miséricorde ! » Je me suis permis, ma chère <strong>et</strong><br />

digne amie, d'entrer dans ces détails sur un suj<strong>et</strong> que je sens bien devoir renouveler <strong>et</strong> aggraver vos douleurs,<br />

parce que je ne doute pas que c<strong>et</strong>te prière de Madame de Tourvel ne porte cependant une grande consolation<br />

dans votre âme.<br />

Après que notre amie eut proféré ce peu de mots, elle se laissa r<strong>et</strong>omber dans mes bras ; <strong>et</strong> elle était à<br />

peine replacée dans son lit, qu'il lui prit une faiblesse qui fut longue, mais qui céda pourtant aux secours<br />

ordinaires. Aussitôt qu'elle eut repris connaissance, elle me demanda d'envoyer chercher le Père Anselme, <strong>et</strong><br />

elle ajouta : «C'est à présent le seul médecin dont j'aie besoin ; je sens que mes maux vont bientôt finir.»<br />

Elle se plaignait de beaucoup d'oppression, <strong>et</strong> elle parlait difficilement.<br />

Peu de temps après, elle me fit rem<strong>et</strong>tre, par sa Femme de chambre, une cass<strong>et</strong>te que je vous envoie,<br />

qu'elle me dit contenir des papiers à elle ; <strong>et</strong> qu'elle me chargea de vous faire passer aussitôt après sa mort<br />

[C<strong>et</strong>te cass<strong>et</strong>te contenait toutes les L<strong>et</strong>tres relatives à son aventure avec M. de Valmont]. Ensuite elle me<br />

parla de vous, <strong>et</strong> de votre amitié pour elle, autant que sa situation le lui perm<strong>et</strong>tait, <strong>et</strong> avec beaucoup<br />

LETTRE CLXV 273

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!