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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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LETTRE CLII<br />

<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT<br />

Prenez donc garde, Vicomte, <strong>et</strong> ménagez davantage mon extrême timidité ! Comment voulez−vous que<br />

je supporte l'idée accablante d'encourir votre indignation, <strong>et</strong> surtout que je ne succombe pas à la crainte de<br />

votre vengeance ? d'autant que, comme vous savez, si vous me faisiez une noirceur, il me serait impossible<br />

de vous la rendre. J'aurais beau parler, votre existence n'en serait ni moins brillante ni moins paisible. Au fait,<br />

qu'auriez−vous à redouter ? d'être obligé de partir, si on vous en laissait le temps. Mais ne vit−on pas chez<br />

l'Étranger comme ici ? <strong>et</strong> à tout prendre, pourvu que la Cour de France vous laissât tranquille à celle où vous<br />

vous fixeriez, ce ne serait pour vous que changer le lieu de vos triomphes. Après avoir tenté de vous rendre<br />

votre sang−froid par ces considérations morales, revenons à nos affaires.<br />

Savez−vous, Vicomte, pourquoi je ne me suis jamais remariée ? ce n'est assurément pas faute d'avoir<br />

trouvé assez de partis avantageux ; c'est uniquement pour que personne n'ait le droit de trouver à redire à<br />

mes actions. Ce n'est même pas que j'aie craint de ne pouvoir plus faire mes volontés, car j'aurais bien<br />

toujours fini par là ; mais c'est qu'il m'aurait gênée que quelqu'un eût eu seulement le droit de s'en plaindre ;<br />

c'est qu'enfin je ne voulais tromper que pour mon plaisir, <strong>et</strong> non par nécessité. Et voilà que vous m'écrivez la<br />

L<strong>et</strong>tre la plus maritale qu'il soit possible de voir ! Vous ne m'y parlez que de torts de mon côté, <strong>et</strong> de grâces<br />

du vôtre ! Mais comment donc peut−on manquer à celui à qui on ne doit rien ? je ne saurais le concevoir !<br />

Voyons ; de quoi s'agit−il tant ? Vous avez trouvé Danceny chez moi, <strong>et</strong> cela vous a déplu ? à la<br />

bonne heure : mais qu'avez−vous pu en conclure ? ou que c'était l'eff<strong>et</strong> du hasard, comme je vous le disais,<br />

ou celui de ma volonté, comme je ne vous le disais pas. Dans le premier cas, votre L<strong>et</strong>tre est injuste ; dans le<br />

second, elle est ridicule : c'était bien la peine d'écrire ! Mais vous êtes jaloux, <strong>et</strong> la jalousie ne raisonne pas.<br />

Hé bien ! je vais raisonner pour vous.<br />

Ou vous avez un rival, ou vous n'en avez pas. Si vous en avez un, il faut plaire pour lui être préféré ; si<br />

vous n'en avez pas, il faut encore plaire pour éviter d'en avoir. Dans tous les cas, c'est la même conduite à<br />

tenir : ainsi, pourquoi vous tourmenter ? pourquoi, surtout, me tourmenter moi−même ? Ne savez− vous<br />

donc plus être le plus aimable ? <strong>et</strong> n'êtes−vous plus sûr de vos succès ? Allons donc, Vicomte, vous vous<br />

faites tort. Mais, ce n'est pas cela ; c'est qu'à vos yeux, je ne vaux pas que vous vous donniez tant de peine.<br />

Vous désirez moins mes bontés que vous ne voulez abuser de votre empire. Allez, vous êtes un ingrat. Voilà<br />

bien, je crois, du sentiment ! <strong>et</strong> pour peu que je continuasse, c<strong>et</strong>te L<strong>et</strong>tre pourrait devenir fort tendre ; mais<br />

vous ne le méritez pas.<br />

Vous ne méritez pas davantage que je me justifie. Pour vous punir de vos soupçons, vous les garderez :<br />

ainsi, sur l'époque de mon r<strong>et</strong>our, comme sur les visites de Danceny, je ne vous dirai rien. Vous vous êtes<br />

donné bien de la peine pour vous en instruire, n'est−il pas vrai ? Hé bien ! en êtes−vous plus avancé ? Je<br />

souhaite que vous y ayez trouvé beaucoup de plaisir ; quant à moi, cela n'a pas nui au mien.<br />

Tout ce que je peux donc répondre à votre menaçante L<strong>et</strong>tre, c'est qu'elle n'a eu ni le don de me plaire, ni<br />

le pouvoir de m'intimider ; <strong>et</strong> que pour le moment je suis on ne peut pas moins disposée à vous accorder vos<br />

demandes.<br />

Au vrai, vous accepter tel que vous vous montrez aujourd'hui, ce serait vous faire une infidélité réelle.<br />

Ce ne serait pas là renouer avec mon ancien Amant ; ce serait en prendre un nouveau, <strong>et</strong> qui ne vaut pas<br />

l'autre à beaucoup près. Je n'ai pas assez oublié le premier pour m'y tromper ainsi. Le Valmont que j'aimais<br />

était charmant. Je veux bien convenir même que je n'ai pas rencontré d'homme plus aimable. Ah ! je vous en<br />

prie, Vicomte, si vous le r<strong>et</strong>rouvez, amenez−le−moi ; celui−là sera toujours bien reçu.<br />

LETTRE CLII 257

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