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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

Prévan se rendit exactement au rendez−vous qu'il avait indiqué ; il y trouva ses trois rivaux, un peu<br />

surpris de leur rencontre, <strong>et</strong> peut−être chacun d'eux déjà consolé en partie, en se voyant des compagnons<br />

d'infortune. Il les aborda d'un air affable <strong>et</strong> cavalier, <strong>et</strong> leur tint ce discours, qu'on m'a rendu fidèlement :<br />

«Messieurs, leur dit−il, en vous trouvant rassemblés ici, vous avez deviné sans doute que vous aviez<br />

tous trois le même suj<strong>et</strong> de plainte contre moi. Je suis prêt à vous rendre raison. Que le sort décide, entre<br />

vous, qui des trois tentera le premier une vengeance à laquelle vous avez tous un droit égal. Je n'ai amené ici<br />

ni second, ni témoins. Je n'en ai point pris pour l'offense ; je n'en demande point pour la réparation.» Puis<br />

cédant à son caractère joueur : «Je sais, ajouta−t−il, qu'on gagne rarement le sept <strong>et</strong> le va ; mais quel que<br />

soit le sort qui m'attend, on a toujours assez vécu, quand on a eu le temps d'acquérir l'amour des femmes <strong>et</strong><br />

l'estime des hommes.»<br />

Pendant que ses adversaires étonnés se regardaient en silence, <strong>et</strong> que leur délicatesse calculait peut−être<br />

que ce triple combat ne laissait pas la partie égale, Prévan reprit la parole : «Je ne vous cache pas,<br />

continua−t−il donc, que la nuit que je viens de passer m'a cruellement fatigué. Il serait généreux à vous de me<br />

perm<strong>et</strong>tre de réparer mes forces. J'ai donné mes ordres pour qu'on tînt ici un déjeuner prêt ; faites−moi<br />

l'honneur de l'accepter. Déjeunons ensemble, <strong>et</strong> surtout déjeunons gaiement. On peut se battre pour de<br />

semblables bagatelles ; mais elles ne doivent pas, je crois, altérer notre humeur.»<br />

Le déjeuner fut accepté. Jamais, dit−on, Prévan ne fut plus aimable. Il eut l'adresse de n'humilier aucun<br />

de ses rivaux ; de leur persuader que tous eussent eu facilement les mêmes succès, <strong>et</strong> surtout de les faire<br />

convenir qu'ils n'en eussent pas plus que lui laissé échapper l'occasion. Ces faits une fois avoués, tout<br />

s'arrangeait de soi−même. Aussi le déjeuner n'était−il pas fini, qu'on y avait déjà répété dix fois que de<br />

pareilles femmes ne méritaient pas que d'honnêtes gens se battissent pour elles. C<strong>et</strong>te idée amena la<br />

cordialité ; le vin la fortifia ; si bien que peu de moments après, ce ne fut pas assez de n'avoir plus de<br />

rancune, on se jura amitié sans réserve.<br />

Prévan, qui sans doute aimait bien autant ce dénouement que l'autre, ne voulait pourtant y rien perdre de<br />

sa célébrité. En conséquence, pliant adroitement ses proj<strong>et</strong>s aux circonstances : «En eff<strong>et</strong>, dit−il aux trois<br />

offensés, ce n'est pas de moi, mais de vos infidèles Maîtresses que vous avez à vous venger. Je vous en offre<br />

l'occasion. Déjà je ressens, comme vous−mêmes, une injure que bien tôt je partagerai : car si chacun de vous<br />

n'a pu parvenir à en fixer une seule, puis−je espérer de les fixer toutes trois ? Votre querelle devient la<br />

mienne. Acceptez pour ce soir un souper dans ma p<strong>et</strong>ite maison, <strong>et</strong> j'espère ne pas différer plus long temps<br />

votre vengeance.» On voulut le faire expliquer : mais lui, avec ce ton de supériorité que la circonstance<br />

l'autorisait à prendre : «Messieurs, répondit−il, je crois vous avoir prouvé que j'avais quelque esprit de<br />

conduite ; reposez−vous sur moi.» Tous consentirent ; <strong>et</strong> après avoir embrassé leur nouvel ami, ils se<br />

séparèrent jusqu'au soir, en attendant l'eff<strong>et</strong> de ses promesses.<br />

Celui−ci, sans perdre de temps, r<strong>et</strong>ourne à Paris, <strong>et</strong> va, suivant l'usage, visiter ses nouvelles conquêtes. Il<br />

obtint de toutes trois qu'elles viendraient le soir même souper en tête−à−tête à sa p<strong>et</strong>ite maison. Deux d'entre<br />

elles firent bien quelques difficultés, mais que reste−t−il à refuser le lendemain ? Il donna le rendez−vous à<br />

une heure de distance, temps nécessaire à ses proj<strong>et</strong>s. Après ces préparatifs, il se r<strong>et</strong>ira, fit avertir les trois<br />

conjurés, <strong>et</strong> tous quatre allèrent gaiement attendre leurs victimes.<br />

On entend arriver la première. Prévan se présente seul, la reçoit avec l'air de l'empressement, la conduit<br />

jusque dans le sanctuaire dont elle se croyait la Divinité ; puis, disparaissant sur un léger prétexte, il se fait<br />

remplacer aussitôt par l'Amant outragé.<br />

Vous jugez que la confusion d'une femme qui n'a point encore l'usage des aventures rendait, en ce<br />

moment, le triomphe bien facile : tout reproche qui ne fut pas fait fut compté pour une grâce ; <strong>et</strong> l'esclave<br />

fugitive, livrée de nouveau à son ancien maître, fut trop heureuse de pouvoir espérer son pardon, en reprenant<br />

LETTRE LXXIX 120

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