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Les liaisons dangereuses - Ebooks libres et gratuits

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<strong>Les</strong> <strong>liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong><br />

Remarquez que voilà une affaire arrangée, <strong>et</strong> que personne n'a encore vu Prévan dans ma société. Je le<br />

rencontre à souper chez une de mes amies, il lui offre sa loge pour une pièce nouvelle, <strong>et</strong> j'y accepte une<br />

place. J'invite c<strong>et</strong>te femme à souper, pendant le Spectacle <strong>et</strong> devant Prévan ; je ne puis presque pas me<br />

dispenser de lui proposer d'en être. Il accepte <strong>et</strong> me fait, deux jours après, une visite que l'usage exige. Il<br />

vient, à la vérité, me voir le lendemain matin : mais, outre que les visites du matin ne marquent plus, il ne<br />

tient qu'à moi de trouver celle−ci trop leste ; <strong>et</strong> je le m<strong>et</strong>s en eff<strong>et</strong> dans la classe des gens moins liés avec<br />

moi, par une invitation écrite, pour un souper de cérémonie. Je puis bien dire comme Ann<strong>et</strong>te : Mais voilà<br />

tout, pourtant ! Le jour fatal arrivé, ce jour où je devais perdre ma vertu <strong>et</strong> ma réputation, je donnai mes<br />

instructions à ma fidèle Victoire, <strong>et</strong> elle les exécuta comme vous le verrez bientôt.<br />

Cependant le soir vint. J'avais déjà beaucoup de monde chez moi, quand on y annonça Prévan. Je le<br />

reçus avec une politesse marquée, qui constatait mon peu de liaison avec lui ; <strong>et</strong> je le mis à la partie de la<br />

Maréchale, comme étant celle par qui j'avais fait c<strong>et</strong>te connaissance. La soirée ne produisit rien qu'un très<br />

p<strong>et</strong>it bill<strong>et</strong>, que le discr<strong>et</strong> Amoureux trouva moyen de me rem<strong>et</strong>tre, <strong>et</strong> que j'ai brûlé suivant ma coutume. Il<br />

m'y annonçait que je pouvais compter sur lui ; <strong>et</strong> ce mot essentiel était entouré de tous les mots parasites,<br />

d'amour, de bonheur, <strong>et</strong>c., qui ne manquent jamais de se trouver à pareille fête.<br />

A minuit, les parties étant finies, je proposai une courte macédoine [Quelques personnes ignorent<br />

peut−être qu'une macédoine est un assemblage de plusieurs jeux de hasard, parmi lesquels chaque Coupeur a<br />

droit de choisir lorsque c'est à lui à tenir la main. C'est une des inventions du siècle.]. J'avais le double proj<strong>et</strong><br />

de favoriser l'évasion de Prévan, <strong>et</strong> en même temps de la faire remarquer ; ce qui ne pouvait pas manquer<br />

d'arriver, vu sa réputation de Joueur. J'étais bien aise aussi qu'on pût se rappeler au besoin que je n'avais pas<br />

été pressée de rester seule.<br />

Le jeu dura plus que je n'avais pensé. Le Diable me tentait, <strong>et</strong> je succombai au désir d'aller consoler<br />

l'impatient prisonnier. Je m'acheminais ainsi à ma perte, quand je réfléchis qu'une fois rendue tout à fait, je<br />

n'aurais plus sur lui l'empire de le tenir dans le costume de décence nécessaire à mes proj<strong>et</strong>s. J'eus la force de<br />

résister. Je rebroussai chemin, <strong>et</strong> revins, non sans humeur, reprendre place à ce jeu éternel. Il finit pourtant, <strong>et</strong><br />

chacun s'en alla. Pour moi, je sonnai mes femmes, je me déshabillai fort vite, <strong>et</strong> les renvoyai de même.<br />

Me voyez−vous, Vicomte, dans ma toil<strong>et</strong>te légère, marcher d'un pas timide <strong>et</strong> circonspect, <strong>et</strong> d'une main<br />

mal assurée ouvrir la porte à mon vainqueur ? Il m'aperçut, l'éclair n'est pas plus prompt. Que vous<br />

dirai−je ? je fus vaincue, tout à fait vaincue, avant d'avoir pu dire un mot pour l'arrêter ou me défendre. Il<br />

voulut ensuite prendre une situation plus commode <strong>et</strong> plus convenable aux circonstances. Il maudissait sa<br />

parure, qui, disait−il, l'éloignait de moi, il voulait me combattre à armes égales : mais mon extrême timidité<br />

s'opposa à ce proj<strong>et</strong>, <strong>et</strong> mes tendres caresses ne lui en laissèrent pas le temps. Il s'occupa d'autre chose.<br />

Ses droits étaient doublés, <strong>et</strong> ses prétentions revinrent ; mais alors : «Ecoutez− moi, lui dis−je ; vous<br />

aurez jusqu'ici un assez agréable récit à faire aux deux Comtesses de P***, <strong>et</strong> à mille autres : mais je suis<br />

curieuse de savoir comment vous raconterez la fin de l'aventure.» En parlant ainsi, je sonnais de toutes mes<br />

forces. Pour le coup j'eus mon tour, <strong>et</strong> mon action fut plus vive que sa parole. Il n'avait encore que balbutié,<br />

quand j'entendis Victoire accourir, <strong>et</strong> appeler les Gens qu'elle avait gardés chez elle, comme je le lui avais<br />

ordonné. Là, prenant mon ton de Reine, <strong>et</strong> élevant la voix : «Sortez, Monsieur, continuai−je, <strong>et</strong> ne<br />

reparaissez jamais devant moi.» Là−dessus, la foule de mes gens entra.<br />

Le pauvre Prévan perdit la tête, <strong>et</strong> croyant voir un gu<strong>et</strong>−apens dans ce qui n'était au fond qu'une<br />

plaisanterie, il se j<strong>et</strong>a sur son épée. Mal lui en prit : car mon Val<strong>et</strong> de chambre, brave <strong>et</strong> vigoureux, le saisit<br />

au corps <strong>et</strong> le terrassa. J'eus, je l'avoue, une frayeur mortelle. Je criai qu'on arrêtât, <strong>et</strong> ordonnai qu'on laissât sa<br />

r<strong>et</strong>raite libre, en s'assurant seulement qu'il sortît de chez moi. Mes gens m'obéirent : mais la rumeur était<br />

grande parmi eux : ils s'indignaient qu'on eût osé manquer à leur vertueuse Maîtresse . Tous<br />

accompagnèrent le malheureux Chevalier, avec bruit <strong>et</strong> scandale, comme je le souhaitais. La seule Victoire<br />

LETTRE LXXXV 139

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