13.07.2013 Views

Le Bloc

Le Bloc

Le Bloc

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Tu as besoin de picoler. Tu ne veux pas t’autoriser à sniffer de la<br />

coke ou une petite culotte d’Agnès. Alors, au moins, un verre.<br />

Mais tu ne vas pas boire pour te saouler. Pas question de<br />

t’endormir. T’anesthésier, oui, mais pas t’endormir.<br />

Tu remarques avec étonnement depuis quelques années, de<br />

toute façon, un effet paradoxal de l’alcool chez toi qui en as<br />

tellement bu : il te permet de filtrer l’essentiel et de laisser<br />

l’accessoire dans le flou. Tu deviens ainsi dangereusement<br />

lucide sur ce qu’ont laissé au fond du tamis de ta conscience le<br />

vin, le whisky irlandais ou la vodka, qui est ton poison préféré<br />

depuis quelques mois.<br />

Agnès ne serait pas très contente. Agnès trouve que tu bois<br />

trop. Agnès râle parce que tu ne fais pas tes analyses et que tu<br />

crois avoir toujours vingt-cinq ans. Agnès grimace quand tu te<br />

rends à La Tour de Montlhéry, rue des Prouvaires, deux ou trois<br />

fois par an pour dîner avec les membres de l’Association des<br />

amis de TNT, un écrivain proche du <strong>Bloc</strong>, mort il y a quelques<br />

années. Vous appelez ça le « banquet des léopards ». Il réunit<br />

une dizaine de convives où se mêlent des bloquistes, des<br />

journalistes sympathisants et aussi de simples admirateurs. Il y<br />

a même un écrivain communiste au banquet des léopards, c’est<br />

dire. Ça dure jusqu’au soir et ça finit par des dérives dans Paris<br />

qui empruntent les chemins de Debord et le vocabulaire de<br />

Marcel Aymé revu par Audiard. La seule excuse piteuse que tu<br />

trouves pour justifier ces agapes se résume en quelques mots,<br />

toujours les mêmes :<br />

— Mais TNT était ton parrain, tout de même, Agnès, et c’est<br />

lui qui t’a fait lire ton premier Jacques Perret et ton premier<br />

Blondin, non ?<br />

En général, Agnès soupire, sourit un peu tristement et tu<br />

viens l’embrasser. Un baiser d’amoureux des premiers temps.<br />

Un baiser des commencements radieux. Vous ne vous<br />

embrassez jamais autrement avec Agnès. Vous aimez vos<br />

langues, vos salives.<br />

Au bout de combien de temps les couples ne s’embrassent<br />

plus comme ça, même en prélude ou pendant l’amour ? Vous<br />

êtes toujours étonnés de voir les autres se contenter d’effleurer<br />

leurs lèvres, voire de se faire la bise, ce que vous trouvez d’un<br />

105

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!