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<strong>Le</strong> père et le réceptionniste s’engueulent à qui mieux mieux.<br />
— Bordel de merde, je dis, c’est pas possible de dormir ici ?<br />
Ils se taisent d’un seul coup.<br />
Je sais que mon physique met toujours mal à l’aise. Antoine<br />
me l’a souvent dit mais il m’a souvent dit aussi que, si je savais<br />
en jouer, c’était un atout, un sacré atout. Savoir utiliser cette<br />
aura de rage glacée que je trimbale avec moi, ces ondes de<br />
violence rentrée qui donnent l’impression de pouvoir se<br />
déchaîner à n’importe quel moment de manière totalement<br />
irrationnelle et pour les motifs les plus anodins.<br />
Et il avait raison, Antoine. Je l’ai vu quand j’ai enchaîné Coët<br />
par l’ETAP sur son conseil et après encore par cinq ans de<br />
huitième RPIMA. Je l’ai vu aussi quand il a fallu m’imposer aux<br />
GPP où ça dégoulinait de testostérone presque autant que chez<br />
les paras…<br />
— Je leur dis qu’ils n’ont pas le droit de cuisiner dans les<br />
chambres, c’est marqué partout, alors, comme ils n’écoutent<br />
pas, je les vire…<br />
— En pleine nuit ? Et pourquoi vous n’allez pas casser les<br />
couilles aux Turcs, juste dehors, qui empoisonnent l’atmosphère<br />
depuis la rue avec leurs kebabs ? Vous avez quelque chose<br />
contre la cuisine sénégalaise ?<br />
— Vous n’avez pas à me dire ce que j’ai à faire, monsieur.<br />
Vous aussi, si ça ne vous plaît pas, vous pouvez partir. Vous avez<br />
l’air d’avoir les moyens, mais peut-être que vous ne pouvez pas<br />
aller non plus ailleurs, n’est-ce pas ?<br />
Et le sourire fielleux et entendu qui va avec.<br />
Pendant quelques secondes, je ressens exactement la même<br />
chose que lorsque j’ai tué mon premier homme, à quinze ans, à<br />
Denain.<br />
Quand j’ai tué cet enculé d’épicier algérien.<br />
Quelque chose de très proche du désir sexuel, mais confondu<br />
avec une colère qui fait affluer le sang non seulement dans la<br />
queue mais aussi dans la tête et de manière beaucoup trop forte,<br />
au point que la douleur devient aussi insoutenable que celle<br />
d’une rage de dents ou d’une migraine ophtalmique. Et la seule<br />
chose qui la soulage, c’est quand on commence à frapper,<br />
frapper, frapper, qu’on sent les os et les pommettes se briser,<br />
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