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Le Bloc

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Pour tout dire, Antoine et moi, on était bourrés. Surtout lui.<br />

On était très chics dans nos costards, mais bourrés comme des<br />

coings.<br />

Quand il avait annoncé à Agnès, le soir même de mon<br />

entretien avec Molène, qu’il allait partir quinze jours dans le<br />

Sud pour filer un coup de main aux GPP locaux, elle avait eu son<br />

beau visage qui s’était transformé. Un mélange de tristesse et de<br />

colère qui la laissait, au bout du compte, complètement<br />

vulnérable.<br />

On lisait en elle comme dans un livre ouvert. Maintenant,<br />

quand elle passe à la téloche, elle a appris à maîtriser ça. Il n’y a<br />

que ceux qui la connaissent très bien qui voient brièvement<br />

apparaître ce visage désemparé face à une question bien vache<br />

ou bien emmerdante, avant qu’elle ne se refasse aussitôt ce<br />

masque souriant et ironique qui fait sa force. Et qu’elle contreattaque<br />

avec son regard noisette pétillant et sa voix calme de<br />

jeune fille bon chic bon genre, avec la mèche noire qui s’échappe<br />

du chignon et retombe toujours sur sa joue mate et qu’elle<br />

replace machinalement derrière l’oreille.<br />

Comme Antoine m’avait demandé de rester pour dîner rue<br />

La Boétie, on s’était retrouvés à trois dans la grande salle à<br />

manger avec ses dorures partout, ses miroirs, ses colonnes<br />

torsadées et ses statues de négrillons portant des corbeilles de<br />

fruits. Toujours l’impression de faire les figurants dans un décor<br />

de série américaine, de celles que maman a commencé à<br />

regarder jour et nuit, après la mort de papa.<br />

— On a vraiment besoin de toi, Antoine ? Ou tu as envie de<br />

prendre un peu l’air loin de moi ? a demandé Agnès.<br />

Antoine a souri mécaniquement et s’est caché derrière son<br />

verre de vin. Je savais ce qui se passait. Ça faisait six ans qu’ils<br />

étaient mariés. Agnès – et Antoine aussi, sans doute – espérait<br />

encore avoir un enfant. Mais rien ne venait, alors que son frère<br />

Éric et sa sœur Emma avaient déjà des mômes.<br />

— Tu nous excuses deux secondes, Stanko ? m’a dit Agnès<br />

qui a entraîné Antoine hors de la pièce.<br />

Je me suis retrouvé tout seul, gêné comme tout, devant ma<br />

glace Häagen-Dazs vanille et noix de pécan. C’était la grande<br />

mode. Si on me demande le goût qu’avait le début des années<br />

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