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Le Bloc

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le monde mais le monde s’en fout. Non, ce n’est même pas qu’il<br />

s’en foute. Au contraire, ça le rassure, des jeunes qui tiennent<br />

des positions tellement marginales que c’est la meilleure preuve<br />

qu’à un moment ou à un autre ils vont rentrer dans le rang.<br />

Tu as écrasé ta cigarette. Tu t’es senti très triste et tu ne<br />

savais pas si tu devais remercier Cicriac ou lui mettre ta main<br />

sur la gueule.<br />

Tu t’es juste levé et tu as laissé Cricri le coco sous l’arbre de<br />

la cour.<br />

Dans la rue, en sortant du lycée, une fille t’a croisé. Des yeux<br />

délurés, un sourire aguicheur. Elle devait apprécier les grands<br />

formats.<br />

Il faut dire que, pour ajouter au malheur de tes parents et<br />

confirmer ta nature décidément inquiétante, tu t’étais mis à<br />

représenter une exception physiologique assez terrifiante par<br />

rapport à ta famille, proche et lointaine. Personne, en effet, chez<br />

toi, ne dépassait le mètre soixante-cinq, ton père faisant office<br />

de géant en ayant atteint cette barre fatidique. Ils étaient tous,<br />

également, noirs de poil et d’œil, le teint mat, secs et anguleux<br />

avec un faux air espagnol. Toi, en revanche, tu apparus très vite<br />

comme le seul à avoir un physique de Normand. Tu gardas la<br />

blondeur de ton jeune âge, avec une peau d’Anglais et des yeux<br />

très clairs. Mais surtout, tu te mis à grandir et à grossir au point<br />

de laisser perplexe le pédiatre attitré de la famille.<br />

— C’est Pantagruel, madame Maynard, votre Antoine…<br />

Cette particularité physique acheva de faire de toi un<br />

étranger définitif dans le foyer familial et ce fut avec une<br />

certaine tristesse mais sans vraiment de surprise que ton père<br />

apprit, lorsque tu entras en terminale, que tu te déclarais de<br />

façon fracassante et décomplexée « fasciste surréaliste » et qu’il<br />

avait fallu, chose rarissime pour un bon élève au lycée, t’exclure<br />

deux jours.<br />

Tu avais tordu le bras d’un pion, en salle de permanence,<br />

quand celui-ci s’était permis des remarques alors que tu lisais à<br />

haute voix <strong>Le</strong>s Poèmes de Fresnes de Brasillach, au grand<br />

scandale des prépas HEC qui révisaient.<br />

— Maynard, cessez ce petit jeu ou je vous confisque votre<br />

torchon.<br />

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