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Le Bloc

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Bien rangés dans des caisses et enveloppés de sacs huilés en<br />

jute, on trouvait des Luger P08, des Sten démontés et des<br />

carabines « babygun » M1.<br />

Vous aviez quitté Rouen au matin, vous donnant rendezvous<br />

devant la gare. Tu n’avais pas dormi de la nuit, mais tu<br />

étais habitué. Tu avais lu d’une traite Au-delà du fleuve et sous<br />

les arbres d’Hemingway. Tu avais trouvé ça chouette et tu t’étais<br />

dit que tu aimerais bien un jour écrire un roman qui ressemble<br />

à ça.<br />

C’était Brou qui conduisait. Il avait une Fiat Polski verte, une<br />

vraie caisse à savon, qui n’avait aucune tenue de route.<br />

L’habitacle puait le tabac et l’alcool. Tu montas à l’arrière avec<br />

Simon. <strong>Le</strong> CRS était le seul du groupe à avoir une carrure<br />

encore plus impressionnante que la tienne.<br />

C’était un garçon mélancolique qui vivait tout le temps à la<br />

caserne de Darnétal, contrairement à nombre de ses collègues.<br />

Il en devenait populaire car il était toujours prêt à rendre service<br />

pour les astreintes du week-end ou des jours fériés.<br />

Simon était persuadé, sincèrement persuadé, que les<br />

Soviétiques allaient franchir le Rhin et que Giscard était un<br />

agent du KGB, tout comme Mitterrand. La gauche avait perdu<br />

les dernières législatives, celles de 78, mais ça ne le rassurait<br />

pas. Il souffrait de fait d’une légère paranoïa et passait ses loisirs<br />

à lire dans sa chambrée des magazines de cul comme ses<br />

collègues : il n’aurait pas voulu qu’on le prît pour une tafiole.<br />

Mais, dès qu’il se retrouvait seul, il se gavait de romans<br />

d’espionnage avec une prédilection pour les SAS que lui prêtait<br />

Brou. Pour aggraver les choses, Brou lui prêtait aussi des<br />

romans de Saint-Loup et de Jean Mabire.<br />

Tu portas d’ailleurs le coup de grâce avec la poésie.<br />

Un jour que tu étais arrivé le premier au Métropole et que tu<br />

lisais Clair de terre d’André Breton, il vint s’asseoir en face de<br />

toi pour t’annoncer que Brou et Jean Émile allaient arriver en<br />

retard.<br />

Il te demanda de sa voix douce ce que tu lisais et, sans que tu<br />

saches au juste ce qui te prit, tu lui lus un extrait d’« Union<br />

libre » :<br />

198

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