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Le Bloc

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Tu as peut-être perdu conscience cinq ou six minutes, mais<br />

pas davantage, si tu en crois ta montre. Tu es toujours dans la<br />

même position, assis sur un canapé club devant le grand écran<br />

plat qui a renoncé un instant à diffuser ses images anxiogènes<br />

d’émeutes raciales pour les remplacer par des flashs de sport. Et<br />

c’est un match qui oppose entre elles des basketteuses sudcoréennes<br />

sur lequel tu tombes. Elles ont des moues<br />

concentrées dans l’effort et les cheveux noirs collés par la sueur<br />

sur les tempes comme dans ces films pornographiques<br />

asiatiques, vaguement sado-maso-bondage, que tu as appréciés,<br />

sois honnête, à une certaine période de ta vie.<br />

Tu affectes de te demander ce qui t’a réveillé, mais rien de<br />

précis ne t’a réveillé, tu ne le sais que trop bien. Tu es soumis<br />

depuis toujours ou presque, dans ton mauvais sommeil, à ces<br />

sursauts d’homme traqué, à ces retours soudains de lucidité<br />

paniquée, semblables à ceux de la sentinelle qui se rend compte<br />

qu’elle était sur le point de sombrer. Ou pire, tu as l’impression<br />

d’être à la place du conducteur qui a présumé de ses forces<br />

pendant un trajet de nuit et qui, malgré sa lutte contre<br />

l’endormissement, s’est assoupi un bref instant. Quand il rouvre<br />

les yeux, c’est pour s’apercevoir qu’il quitte la route pour le<br />

fossé, ou qu’il défonce le rail de sécurité de la voie de gauche, ou<br />

que la calandre hurlante et illuminée d’un poids lourd arrive sur<br />

lui : dans tous les cas, il est évidemment trop tard pour espérer<br />

survivre.<br />

Et tu sais aussi que rien, comme d’habitude, ne peut<br />

expliquer objectivement ce genre de réveil qui te laisse le cœur<br />

battant à tout rompre : il n’y a eu aucun signal de l’interphone<br />

de l’appartement comme, par exemple, les cinq coups brefs,<br />

entrecoupés par une pause après le troisième (Al-gé-rie française,<br />

Al-gé-rie fran-çaise !) de Loux, le chauffeur et garde du<br />

corps d’Agnès, qui signale ainsi qu’il a fait entrer la C6 dans le<br />

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