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Je n’ai plus rien que la haine, cette nuit. La haine simple et<br />
nette d’un monde qui veut à nouveau ma peau comme il voulait<br />
la peau du petit garçon, quand Usinor a fermé. J’ai des images<br />
de pluie et de friches industrielles qui me reviennent. J’avais<br />
tout oublié. Ou plutôt, je croyais avoir tout oublié, à la longue.<br />
Et pourtant, j’y suis retourné souvent mais j’ai toujours évité<br />
Denain, Lourches, Douchy. Et puis aussi <strong>Le</strong>ns, Liévin, Aire-surla-Lys.<br />
Trop de tristesse qui vient du fond de ma vie. Trop de<br />
honte. Trop d’horreur.<br />
Quand même, c’est là que j’ai tué mon premier homme.<br />
Et Antoine m’a fait lire assez de polars pour que je ne fasse<br />
pas comme tous ces caves qui reviennent sur le lieu du crime.<br />
Mais j’essaie quand même de passer à Valenciennes, par<br />
exemple, deux ou trois fois par an. J’ai logé maman dans un F2<br />
du centre-ville, juste derrière l’hôtel de ville, rue de la Nouvelle-<br />
Hollande.<br />
C’est Antoine qui m’a filé du pognon pour le premier apport.<br />
Comme ça. Sans rien demander en échange. J’étais encore<br />
qu’une petite main des GPP, je sortais des paras et j’avais pas un<br />
flèche en poche, à part quelques billets donnés par-ci par-là par<br />
la compta du <strong>Bloc</strong>, et encore il fallait qu’Antoine et Molène<br />
insistent.<br />
Heureusement, d’ailleurs, parce que avec ma gueule de skin,<br />
mes tatouages « Commando Excalibur », pour trouver un job,<br />
c’était pas ça. Et comme je n’étais ni raton ni karlouche, pour<br />
toucher quoi que ce soit, je pouvais toujours me brosser. En<br />
plus, c’était la crise et les agences d’intérim étaient bondées de<br />
gens qui hurlaient à la mort pour avoir du taf…<br />
Enfin, la crise, elle avait bon dos. Ça a toujours été la crise,<br />
en fait. Depuis que je suis né, depuis Usinor.<br />
La crise, la crise, la crise.<br />
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