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Le Bloc

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par les manifestants rue de la République. Elle est descendue<br />

pour regarder le cortège. Tu veux descendre aussi mais elle<br />

t’ordonne de rester dans la voiture sur cette moleskine rouge de<br />

la banquette qui colle à tes cuisses en culottes courtes.<br />

Il fait chaud et l’école est fermée, en plus. Tu t’ennuies. Alors<br />

tu descends quand même, le jardin Solferino est tout près. On<br />

peut jouer des après-midi entiers sous les arbres, il suffit juste<br />

de traverser le cortège.<br />

Ce que tu fais. Tu entends ta mère derrière toi, paniquée –<br />

« Antoine, reviens ! reviens ! » –, tu te faufiles entre les jambes<br />

des manifestants, tu sais aller vite, diablement vite. Tu entends<br />

toujours : « Antoine ! Antoine ! » Mais c’est couvert par les<br />

slogans, tu vas arriver au jardin, franchir la grille verte quand<br />

un bras te saisit.<br />

C’est un grand type qui sent le tabac, il a une canadienne en<br />

cuir, un brassard de service d’ordre. Il rigole. Il te soulève à sa<br />

hauteur.<br />

— Bah, dis donc, garçon, tu pèses ton poids ! Mais t’es trop<br />

jeune pour faire la révolution !<br />

Ta mère est là, soudain. Ce sera sans doute la seule fois de sa<br />

vie qu’elle verra un syndicaliste ouvrier de si près. Chez vous, on<br />

a beau, en bon démocrates-chrétiens, ne pas aimer de Gaulle, ce<br />

général qu’on soupçonne d’être toujours tenté par la dictature,<br />

c’est quand même lui qui est l’ultime recours contre les<br />

gauchistes dans les facs et les ouvriers en grève, pendant ces<br />

semaines qui sentent l’insurrection. On se demande ce qu’il<br />

attend, d’ailleurs, pour parler, pour reprendre la main.<br />

— Je vous le rends, madame, on est déjà assez nombreux, dit<br />

le type en canadienne avec un sourire toujours amusé.<br />

Ta mère te repose sur le trottoir, tu es trop lourd, il fait trop<br />

chaud, elle est rouge de colère, elle n’aime pas le regard ironique<br />

du prolo et elle te gifle.<br />

— C’est pas une solution, madame !<br />

Elle ne répond pas, te ramène vers la 4L, verrouille les<br />

portières.<br />

Masculin-Féminin, Masculin-Féminin, toujours et encore.<br />

Sur l’écran plat, c’est le moment où Chantal Goya enregistre<br />

tandis que Jean-Pierre Léaud écrit avec un copain « American,<br />

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