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Le Bloc

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doit avoir sincèrement le sentiment de sauver un peuple qu’il<br />

aime.<br />

Et tu repenses à ses adversaires, à ses ennemis depuis<br />

quarante ans, ces antifascistes qui ont commis une erreur<br />

fondamentale. Ils l’ont attaqué sur sa duplicité, son passé de<br />

mercenaire, son racisme réel ou supposé, la fortune de Suzanne,<br />

sans penser un seul instant que, éventuellement, il était sincère,<br />

qu’il y croyait, ce qui de leur point de vue, pour le coup, aurait<br />

pu vraiment leur faire peur.<br />

Puis vous achetiez, en ressortant, des journaux et une<br />

bourriche d’huîtres Utah Beach chez un vendeur en demi-gros.<br />

Tu te dis que le premier repas que tu feras avec Agnès,<br />

demain ou après-demain, quand vous aurez enfin une heure ou<br />

deux à vous, ce sera deux douzaines de Saint-Vaast. Puis deux<br />

douzaines de Prat-ar-Coum pour faire bonne mesure. Et du<br />

muscadet. Liberté, égalité, muscadet : le <strong>Bloc</strong> a gagné !<br />

Maintenant, tu ne suis plus que d’un œil distrait Masculin-<br />

Féminin et tu t’aperçois que tu es fatigué, comme tu ne l’as<br />

jamais été, une fatigue qui ne doit rien à l’Absolut Vodka et aux<br />

dernières journées d’agitation politique, une fatigue qui n’est<br />

pas non plus, ou pas seulement, due à l’impatience angoissée<br />

que tu as de serrer Agnès contre toi.<br />

Non, cette douleur dans l’épaule, cette crampe qui guette<br />

dans le mollet, ce début de lumbago qui pointe te renvoient à<br />

ton âge et tu comprends que tu n’as désormais plus rien de<br />

commun avec les Jean-Pierre Léaud, Catherine-Isabelle Duport,<br />

Marlène Jobert et Chantal Goya de 1966, non plus qu’avec<br />

l’époque, la réalité, ni même, désormais, leur éternelle jeunesse<br />

dans le film : toi, dans quelques mois, tu auras cinquante ans.<br />

Alors autant revenir, puisque personne ne t’appelle, puisqu’il<br />

ne faut pas penser à Stanko, à ce qu’on va faire à Stanko, autant<br />

revenir à Rouen, à tes dix-sept ans, à ce dingue de Brou.<br />

Tu l’impressionnais parce que tu lisais sans arrêt mais<br />

surtout tu lisais aussi tous les journaux que tu allais acheter à la<br />

gare ; tu aimais la phrase de Hegel qui disait qu’ils étaient la<br />

prière quotidienne du rationaliste. Mais les journaux salissaient<br />

les doigts, étaient mal écrits et tu te souvenais aussi de cette<br />

remarque de Proust qui déplorait qu’on passe sa vie à lire des<br />

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