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LES VOYAGES DE GULLIVER

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près semblable à celle des yahous que sur le visage et sur les<br />

pattes de devant, mais sans poil. Mon maître savait bien ce qui<br />

en était, car une chose qui était arrivée environ quinze jours<br />

auparavant m’avait obligé de lui découvrir ce mystère, que je lui<br />

avais toujours caché jusqu’alors, de peur qu’il ne me prît pour<br />

un vrai yahou et qu’il ne me mît dans leur compagnie.<br />

J’ai déjà dit au lecteur que tous les soirs, quand toute la<br />

maison était couchée, ma coutume était de me déshabiller et de<br />

me couvrir de mes habits. Un jour, mon maître m’envoya de<br />

grand matin son laquais le bidet alezan. Lorsqu’il entra dans ma<br />

chambre, je dormais profondément ; mes habits étaient tombés,<br />

et mes jambes étaient nues. Je me réveillai au bruit qu’il fit, et je<br />

remarquai qu’il s’acquittait de sa commission d’un air inquiet et<br />

embarrassé. Il s’en retourna aussitôt vers son maître et lui<br />

raconta confusément ce qu’il avait vu. Lorsque je fus levé, j’allai<br />

souhaiter le bonjour à Son Honneur (c’est le terme dont on se<br />

sert parmi les Houyhnhnms, comme nous nous servons de ceux<br />

d’altesse, de grandeur et de révérence). Il me dit d’abord ce que<br />

son laquais lui avait raconté le matin ; que je n’étais pas le<br />

même endormi qu’éveillé, et que, lorsque j’étais couché, j’avais<br />

une autre peau que debout.<br />

J’avais jusque-là caché ce secret, comme j’ai dit, pour n’être<br />

point confondu avec la maudite et infâme race des yahous ;<br />

mais, hélas ! il fallut alors me découvrir malgré moi. D’ailleurs,<br />

mes habits et mes souliers commençaient à s’user ; et, comme il<br />

m’aurait fallu bientôt les remplacer par la peau d’un yahou ou<br />

de quelque autre animal, je prévoyais que mon secret ne serait<br />

pas encore longtemps caché. Je dis à mon maître que, dans le<br />

pays d’où je venais, ceux de mon espèce avaient coutume de se<br />

couvrir le corps du poil de certains animaux, préparé avec art,<br />

soit pour l’honnêteté et la bienséance, soit pour se défendre<br />

contre la rigueur des saisons ; que, pour ce qui me regardait,<br />

j’étais prêt à lui faire voir clairement ce que je venais de lui dire ;<br />

que je m’allais dépouiller, et ne lui cacherais seulement que ce<br />

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