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LES VOYAGES DE GULLIVER

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médicinales, vu qu’ils étudient sans cesse la botanique dans<br />

leurs promenades et souvent même pendant leurs repas.<br />

Leur poésie est fort belle, et surtout très harmonieuse. Elle<br />

ne consiste ni dans un badinage familier et bas, ni dans un<br />

langage affecté, ni dans un jargon précieux, ni dans des pointes<br />

épigrammatiques, ni dans des subtilités obscures, ni dans des<br />

antithèses puériles, ni dans les agudezas des Espagnols, ni dans<br />

les concetti des Italiens, ni dans les figures outrées des<br />

Orientaux. L’agrément et la justesse des similitudes, la richesse<br />

et l’exactitude des descriptions, la liaison et la vivacité des<br />

images, voilà l’essence et le caractère de leur poésie. Mon maître<br />

me récitait quelquefois des morceaux admirables de leurs<br />

meilleurs poèmes : c’était en vérité tantôt le style d’Homère,<br />

tantôt celui de Virgile, tantôt celui de Milton.<br />

Lorsqu’un Houyhnhnm meurt, cela n’afflige ni ne réjouit<br />

personne. Ses plus proches parents et ses meilleurs amis<br />

regardent son trépas d’un œil sec et très indifférent. Le mourant<br />

lui-même ne témoigne pas le moindre regret de quitter le<br />

monde ; il semble finir une visite et prendre congé d’une<br />

compagnie avec laquelle il s’est entretenu longtemps. Je me<br />

souviens que mon maître ayant un jour invité un de ses amis<br />

avec toute sa famille à se rendre chez lui pour une affaire<br />

importante, on convint de part et d’autre du jour et de l’heure.<br />

Nous fûmes surpris de ne point voir arriver la compagnie au<br />

temps marqué. Enfin l’épouse, accompagnée de ses deux<br />

enfants, se rendit au logis, mais un peu tard, et dit en entrant<br />

qu’elle priait qu’on l’excusât, parce que son mari venait de<br />

mourir ce matin d’un accident imprévu. Elle ne se servit<br />

pourtant pas du terme de mourir, qui est une expression<br />

malhonnête, mais de celui de shnuwnh, qui signifie à la lettre<br />

aller retrouver sa grand’mère. Elle fut très gaie pendant tout le<br />

temps qu’elle passa au logis, et mourut elle-même gaiement au<br />

bout de trois mois, ayant eu une assez agréable agonie.<br />

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