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LES VOYAGES DE GULLIVER

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que la nature nous défend de faire voir. Mon discours parut<br />

l’étonner ; il ne pouvait surtout concevoir que la nature nous<br />

obligeât à cacher ce qu’elle nous avait donné. « La nature,<br />

disait-il, nous a-t-elle fait des présents honteux, furtifs et<br />

criminels ? Pour nous, ajouta-t-il, nous ne rougissons point de<br />

ses dons, et ne sommes point honteux de les exposer à la<br />

lumière. Cependant, reprit-il, je ne veux point vous<br />

contraindre. »<br />

Je me déshabillai donc honnêtement, pour satisfaire la<br />

curiosité de Son Honneur, qui donna de grands signes<br />

d’admiration en voyant la configuration de toutes les parties<br />

honnêtes de mon corps. Il leva tous mes vêtements les uns après<br />

les autres, les prenant entre son sabot et son paturon, et les<br />

examina attentivement ; il me flatta, me caressa, et tourna<br />

plusieurs fois autour de moi ; après quoi, il me dit gravement<br />

qu’il était clair que j’étais un vrai yahou, et que je ne différais de<br />

tous ceux de mon espèce qu’en ce que j’avais la chair moins dure<br />

et plus blanche, avec une peau plus douce ; qu’en ce que je<br />

n’avais point de poil sur la plus grande partie de mon corps ;<br />

que j’avais les griffes plus courtes et un peu autrement<br />

configurées, et que j’affectais de ne marcher que sur mes pieds<br />

de derrière. Il n’en voulut pas voir davantage, et me laissa<br />

m’habiller, ce qui me fit plaisir, car je commençais à avoir froid.<br />

Je témoignai à Son Honneur combien il me mortifiait de<br />

me donner sérieusement le nom d’un animal infâme et odieux.<br />

Je le conjurai de vouloir bien m’épargner une dénomination si<br />

ignominieuse et de recommander la même chose à sa famille, à<br />

ses domestiques et à tous ses amis ; mais ce fut en vain. Je le<br />

priai en même temps de vouloir bien ne faire part à personne du<br />

secret que je lui avais découvert touchant mon vêtement, au<br />

moins tant que je n’aurais pas besoin d’en changer, et que, pour<br />

ce qui regardait le laquais alezan, Son Honneur pouvait lui<br />

ordonner de ne point parler de ce qu’il avait vu.<br />

– 213 –

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